Témoignage sur une mission de P Closterman ...
Témoignage inédit .
"Vous me demandiez ce que l’on pouvais penser dans les combats. Je n’avais jamais publié (ce passage). Nous sommes donc en patrouille anti jabo au dessus de Brighton. Tout est mouillé. Deux Focke Wulf se glissent sous nous, bombardent la gare avant que nous puissions intervenir, font demi tour et filent. Nous les interceptons. Tandis que l’autre me passe entre les doigts, Max tire l’ailier, le touche tout de même sévèrement mais son moteur Rolls Royce le lâche à basse altitude. Il réussi à se poser sur une plage et s’en tire par miracle. Avant, il m’ordonne de poursuivre l’éclopé, de le descendre, pour moi ! Je le rattrape au milieu de la manche mais mes armes s’enrayent. Problème récurent avec les nouveaux spitfire IX C. Je me rapproche du Focke Wulf mal en point qui a ralenti et perd lentement de l’altitude. Une petite flamme sournoise apparaît à gauche de son capot, aussitôt suivi d’une traînée de fumée grise. Il n’ira pas loin. Le pilote devrait sauter en parachute tant qu’il est encore temps. Je préviendrais les secours pour lui. Un prisonnier est toujours intéressant à interroger. Je ne pouvais pas lui crier - car il n’y avait pas moyen de communiquer - : « Saute, idiot ! Avant qu’il ne soit trop tard ! » . imperturbable, le Focke Wulf continue à perdre sa précieuse altitude. Cap sur la France et un bien improbable salut désormais. 500 mètres... 300 mètres... 250 mètres...
- A ce moment là, vous l’escortiez ?
- J’étais à coté de lui. Je m’étais mis (de front) à 20 mètres.
- Mais comment réagissait l’allemand ?
- Il ne réagissait pas. Ce qu’il voulait, c’était rentrer en France. « Son moteur a des ratés, ponctués par des bouffées de fumée noire. Je l’accompagne et je me rapproche tout près, un peu en arrière, par prudence. Je vois le visage du pilote qui a ôté son masque comme une tache pale dans le long cockpit de son avion. Le Focke Wulf est maintenant au ras des flots. Il se rapproche de plus en plus de son image reflétées par le miroir de la surface. Il va mourir. Il est foutu car on ne pose pas un chasseur sur l’eau sans y passer 99 fois sur 100. Je ne veux pas voir ! Je ne veux surtout pas voir ce gamin mourir. A cet instant je réalise que l’on tire sur les avions ennemis comme au stand de foire sur des cibles mouvantes sauf que l’on ne gagne pas un ours en peluche offert à la première fille rencontrée. On tire sur une machine d’aluminium ornée de croix noires et on ne pense pas, ou alors on oublie qu’il y a un homme à l’intérieur. Ce n’est plus du métal, c’est de la chair comme la mienne. Un frère humain, qui a une mère comme moi, qui aime la vie qu’il va perdre. Pourquoi ? Pour qui ? Je ne veux pas voir ! Je ne veux surtout pas voir ce gamin mourir ! C’est un pilote comme moi. Il a sans doute des cheveux blonds et comme moi, il a vingt ans. Dans quelques secondes, il va mourir, sous mes yeux... Non ! Je refuse ! et je ne vis en jetant un regard en arrière qu’une longue et large flaque d’écume sur une mer calme. Mon dieu, c’est trop bête ! et c’est ça la guerre... Pourquoi l’ai je fait ?
Une heure plus tard, je suis au mess et boit une tasse de thé avec Jacques et Max. Le visage fermé, je confirme sa victoire : « Oui, le pilote est mort. Non je ne saurais jamais son nom. »
- Eh, Clo - Clo, tu fais une drôle de gueule ! » (dit Jacques). »"