Une interwiew par Telephone realisée l'année passée :
A l’occasion de son 89e anniversaire, la tentation était trop forte de réaliser pour le compte de France-Simulation une interview de ce grand as, trop discret, qu’est M. Marcel ALBERT. Cette interview téléphonique a été réalisée le 16 novembre 2006.
Georges GUILLAUME,
GG : M. ALBERT, pouvez vous nous résumer votre carrière et votre palmarès ?
M.A : « J’ai participé à 37 missions de combat durant la campagne de France, 15 missions en Afrique du Nord (y compris au-dessus de Mers el-Kébir), 47 missions en Grande-Bretagne dont 15 sweep au-dessus de la France occupée et 199 missions en Russie.J’ai descendu 24 appareils. »
GG : Avez vous vous-même été abattu ou touché ?
M.A : « Non, je n’ai jamais été abattu.
Par contre, mon avion a été touché une fois, en octobre 1944, par deux balles. J’avais mitraillé un Junker 87 qui du coup était en feu, je me suis rapproché pour l’observer et j’ai vu le type à l’arrière tourner sa pétoire et me tirer dessus. Du coup, je lui ai envoyé une autre rafale. C’est de retour de mission qu’on m'a dit que j’avais été touché. »
GG : Quels souvenirs gardez-vous du GC 1/3 ?
M.A : « Le départ du groupe, le 14 octobre 1940. »
GG : Et de la campagne de France ?
M.A : «Il y avait vraiment beaucoup d’avions allemands en l’air.
Le 14 mai j’ai abattu un DO 17, j’en ai tiré quelques-uns uns durant la campagne. »
GG : Quelle mission de la campagne de France vous a le plus marqué ?
M.A : « Le bombardement de Paris par les Allemands en 1940.
On est intervenu à partir de Meaux et on a perdu deux pilotes, j’ai tiré quelques avions allemands mais sans résultat. »
GG : Que pensez vous du D 520 ?
M.A : « Un avion pas mal, un moteur de 860 ch mais pas assez puissant, il aurait fallu un 1.200 ch. C’était un bon avion, solide et rapide malgré son petit moteur. Il était meilleur que les Spitfire I et II qui étaient des patates. »
GG : Votre décision de partir pour Gibraltar a t-elle été longue à prendre ?
M.A : « Non, plutôt rapide.
Durand et Lefèbvre sont venus me voir et m’ont dit de partir avec eux. Je ne devais pas voler ce jour là, alors j’ai demandé à Pierre Salva l’autorisation de voler : il a été d’accord et m’a dit de simuler un combat aérien avec un gars. Je suis donc parti le 14 octobre 1941 pour Gibraltar sans problème … »
GG : Que saviez vous des FAFL ?
M.A : « Rien. Un peu sur De Gaulle mais on n’en parlait pas. »
GG : Quelles conséquences ont eu pour vous et vos proches votre départ ?
M.A : « J’ai été condamné à mort, d’ailleurs j’ai encore le papier de ma condamnation ici.
Les gendarmes sont venus à Orly clouer sur la porte de ma mère la feuille de ma condamnation ainsi que sur la porte de la mairie. Ils lui ont dit qu’ils ne pouvaient pas ne pas la clouer, mais qu’elle pouvait toujours l’arracher. Ma mère a arraché les deux feuilles. Ma mère et ma sœur ont eu de la chance de ne pas être inquiétées car elles auraient pu être déportées. »
GG : «Quels types de missions avez vous menés en Grande-Bretagne ?
M.A : « Des missions sur Spitfire II, couverture maritime, sweep, décollage sur alerte. Finalement le Spitfire n’était pas mal, mais rien de sensationnel, mieux valait ne pas rencontrer d’Allemands quand même … L’armement dans les ailes n’était pas terrible, ni en disposition ni en puissance, contre les bombardiers. »
GG : Que pouvez vous dire des pilotes allemands de 1940-41 et de leurs avions ?
M.A : « Les pilotes n’étaient pas mauvais.
Les 109 étaient plus rapides, ils avaient un meilleur armement. Les bombardiers He 111 étaient difficiles à descendre. »
GG : Pourquoi partir en Russie ?
M.A : « Quand on a rencontré De Gaulle, on était en chaussettes, sans le sou, il a donné 30 Livres à chaque pilote sur ses comptes personnels. Du coup, on lui a demandé si on pouvait partir en Russie, car il semblait que les Russes menaient un combat du tonnerre alors qu’en Angleterre on ne menait que de petits combats avec peu d’avions. La Russie c’était loin, y a même un gars qui a dit que le temps qu’on y arrive la guerre serait finie ! »
GG : Pourquoi choisir le Yak 1 ?
M.A : « Si on avait voulu des Hurricane on les aurait eus, mais on était en Russie, alors c’était normal de vouloir un avion russe. C’était l’avion du moment, les autres avions russes étaient dépassés. Le Yak 1 était un bon avion. »
GG : Existait-il des différences entre les combats aériens au-dessus de la France, du Royaume-Uni ou de la Russie ?
M.A : « Pas vraiment, simplement il y avait plus de combats en Russie.
Souvent les Allemands évitaient le combat. Les Russes étaient très accrocheurs et on pouvait compter sur eux. Ils tenaient parole : quand ils vous promettaient deux types vous les aviez. »
GG : Quelle mission avec le Normandie Niémen vous a le plus marqué ?
M.A : « Lors de ma première mission, je me suis retrouvé à 150 km derrière les lignes ennemies et mon moteur s’est arrêté. L’hélice tournait toujours mais le moteur n’avançait plus. J’étais à 3.500 mètres en légère descente. Je me suis dit que me poser près d’un village était une mauvaise idée car ils étaient pleins d’Allemands et je serais immédiatement fusillé. Sauter en parachute c’était perdre ses bottes et en chaussettes dans la neige c’est pas terrible. J’ai eu l’idée de la petite pompe manuelle d’essence, j’ai pris le levier et au bout d’au moins 20 coups le moteur est reparti. »
GG : Que pensez vous des appareils russes que vous avez pilotés ?
M.A : « Le meilleur avion est le petit Yak 3 : il était supérieur à tous les autres appareils, même les appareils anglais et les américains. De plus il avait un armement puissant avec son canon de 20 mm et ses deux mitrailleuses à 1.500 coups minutes en 12.7. On a eu aussi un temps celui avec le canon de 37 qui était impressionnant : il était tellement long qu’on pilotait assis sur le canon. Il était trop lourd et quand on tirait on sentait le souffle du coup de départ et l’odeur de frite … »
GG : Que pensez vous des pilotes russes que vous avez rencontrés ou escortés ?
M.A : « C’était des pilotes du tonnerre. Ils se battaient pour leur pays et ne faisaient pas d’histoires.
J’en ai un très bon souvenir .»
GG : Que pensez-vous des appareils allemands que vous avez rencontrés et abattus ?
M.A : « Lors de l’un de mes premiers combats, 4 FW 190 attaquaient une piste. Je me suis glissé sous eux et j’ai tiré le premier, puis le second, le troisième et le quatrième. Deux sont partis en vrille et il me semble que le troisième aussi. Les Russes ont confirmé que les quatre étaient tombés avec les pilotes dans les appareils.
A la fin de la guerre j’ai fait un tour en 109 et Fw 190 : le 109 était pas terrible et le Fw 190 était pas mal, sans plus. »
GG : Les appareils allemands étaient-ils supérieurs aux appareils russes ?
M.A : « Les bombardiers allemands étaient supérieurs aux russes sauf pour le Pe 2 car il était rapide. Les Russes allaient prendre des photos avec à 600 km/h…En 1944-45, les Allemands refusaient souvent le combat s’ils savaient que les Français du Normandie Niémen étaient en l’air ou s’ils savaient qu’il y avait le 6. »
GG : Ils savaient que le numéro 6 c’était vous ?
M.A : « Oui, on entendait leurs messages à la radio. »
GG : Quels sont les pilotes du Normandie Niémen qui vous ont le plus marqué ?
M.A : « Aucun en particulier.
Chacun faisait son boulot, mais un boulot pas très drôle. On n’avait pas peur. »
GG : Vous n’avez jamais eu peur ?
M.A : « Non, je n’ai jamais eu peur car je n’ai jamais été en danger. »
GG : Des pilotes comme Hartmann ont décrit leur méthode pour abattre un appareil. Existait-il une méthode Albert ?
M.A : « Non, je n’ai pas eu de méthode, je comptais sur la chance et j’en ai eu pas mal. L’important dans un combat aérien c’est de voir de loin et j’avais une très bonne vue, je les voyais toujours arriver. »
GG : Comment s’est arrêté le Normandie Niémen pour vous ?
M.A : « En décembre 1944 je suis rentré en permission en France par Le Caire et Alger. C’est De Gaulle qui nous avait prêté son appareil pour rentrer en France. A Alger, on est resté plus longtemps que prévu et l’avion est parti sans nous. Il n’est jamais arrivé … pourtant le pilote était confirmé.
Je suis retourné en Russie avant la fin des combats. La dernière mission était prévue pour Dantzig où des Allemands combattaient toujours. Sauvage m’avait prêté son avion, le 5, les moteurs tournaient quand les Russes nous ont dit que les Allemands venaient de se rendre : du coup cette mission n’a pas eu lieu. La guerre terminée, les Russes étaient perdus, pauvres gars… »
GG : Quels souvenirs gardez-vous de votre arrivée au Bourget ?
M.A : « Au Bourget j’étais malade, j’avais de la fièvre. Il y a eu les cérémonies puis on m’a conduit à l’hôpital Chaptal où je suis resté 45 jours. »
GG : Qu’est devenu votre Yak 3 ?
M.A : « Il a été essayé par plusieurs pilotes puis il a été ferraillé. »
GG : Quelle leçon tirez-vous de ces années de guerre ?
M.A : « Pas de leçon en particulier, si ce n’est que j’en suis sorti vivant. »
GG : Quelles ont été vos activités après 1945 ?
M.A : « Je me suis retrouvé au centre d’essai d’Orange.
Là, une fois, je me suis posé avec un avion qui avait pris feu avec 10 passagers.
J’ai aussi décollé avec un D 520 pour faire de l’acrobatie pour des gosses : au décollage l’avion a pris feu, j’ai touché des arbres et l’avion a explosé. Je m’en suis sorti vivant sans savoir pourquoi ni comment … J’ai marché et c’est un gamin qui m’a récupéré. On m’a cherché durant 6 heures. C’est le gamin qui est allé les prévenir. Ils avaient même commencé à creuser autour de l’épave …
J’ai été attaché de l’air à Prague, c’est là-bas que j’ai rencontré ma femme, puis on est rentré aux Etats-Unis où j’ai fait du petit et du grand business »
GG : Est ce votre volonté d’avoir été aussi discret ?
M.A : « On ne m’a jamais rien demandé et j’ai eu trop de travail pour écrire quoi que ce soit. »
GG : Qu’est ce que le Normandie Niémen aujourd’hui pour vous ?
M.A : « Aucune relation.
J’ai eu quelques lettres de pilotes. Les seuls contacts que j’ai eu régulièrement ont été avec Risso ou De La Poype. De La Poype m’a invité récemment à venir en France. »