Prosper Vandenbroucke a écrit:Oh tu sais, François Delpla n'est pas tellement aimé par les médias.
Pourquoi??
Car il sait de quoi il parle, et surtout qu'il est difficile de le contredire au niveau de ses recherches.
C'est gentil mais...
Je crois plus à une censure par méconnaissance que par désamour.
Il y a aussi une sorte de course contre la crise : dans le cadre de la précarisation de l'emploi, l'examen du flux de livres qui arrive est de plus en plus confié à des étudiants qui, s'ils veulent en vivre, doivent en avaler 40 par semaine; eux-mêmes sont chargés de plus en plus souvent de la recension des 4 ou 5 qu'ils ont sélectionnés. Si ce sont des romans, le jeu est plus ouvert; mais si ce sont des livres d'histoire, à moins que le sujet ne tombe pile au coeur des spécialités de l'étudiant, il va prendre 5 minutes pour chercher si l'auteur est "reconnu" et si non ça sent déjà le sapin; ou il va en parler à un prof... et là, le problème se déplace entièrement vers l'université et ses spécialistes.
Cela dépend aussi du sujet : l'arrivée au pouvoir de Hitler (thème de mon petit dernier), notre étudiant va considérer cela comme "rebattu". "Qu'est-ce qu'on peut bien encore avoir à dire ? Il est fort probable qu'on ne cherche qu'à faire du pognon en resuçant les classiques" : là encore, je risque de ne pas faire de vieux os sur le dessus de la pile !
Bref, la crise n'est pas propice à l'élargissement du spectre des gens reconnus, ni au renouvellement des analyses. Sur un plan plus général d'ailleurs, elle favorise le manichéisme et l'éclatement de l'humanité en clans antagonistes. Là c'est mon vice de n'appartenir à aucune chapelle qui m'expose au blizzard du silence !
Pour ma part, si j'analyse les blocages, je ne me plains de rien. Ce silence préserve ma liberté et tant que j'ai de quoi vivre j'avance, dans une passion toujours renouvelée de la découverte. Je ne cultive pas l'isolement comme un snobisme et fais ce que je peux pour le briser, à condition que cela ne prenne pas le pas sur la recherche. Il y a parfois des moyens de transformer le plomb en or : ainsi l'habilitation que j'ai passée l'an dernier, et qui, en tant que diplôme universitaire suprême, donne au public en général et aux étudiants en particulier l'idée que mon travail vaut peut-être le détour, est un sous-produit d'un accident d'édition. Un éditeur incompétent avait refusé au dernier moment le manuscrit de Churchill et Hitler, en 2003; cela me laissait sur les bras un livre de recherche de plus de 300 pages, soit exactement ce qu'il faut comme mémoire principal d'habilitation; mais la priorité était de le publier, je venais de soutenir ma thèse et une règle non écrite veut qu'on laisse passer 5 ans au minimum entre la thèse et l'habilitation; or quand un livre en état de finition avancé est rejeté par un éditeur, les autres ne se précipitent pas pour le récupérer ! C'était déjà arrivé, dans des conditions très différentes, en 1993 avec Churchill et les Français : il avait fallu à ma colère et à ma ténacité 7 ans pour le réimposer dans les librairies. Il en alla presque de même pour celui-là : arrivé aux éditions du Rocher dans les bagages de François-Xavier de Guibert, j'y fis d'abord un Mers el-Kébir en 2010 puis, tout naturellement, pus proposer mon Churchill et Hitler... qui va d'ailleurs sortir en poche chez Tempus en juin. Cela tombait pile pour une habilitation, qui doit se faire sur un livre inédit, du moins au moment de l'inscription.
Le fond de l'affaire, donc, gît bel et bien, non dans les médias, mais dans l'université, et dans mon domaine de recherche lui-même. Je traite résolument, et de plus en plus, le nazisme comme un sujet vierge sur lequel tout ou presque est à trouver et considère mes propres bricolages comme des "pierres d'attente" (le terme se retrouve dans l'introduction de certains de mes livres). Cela secoue -y compris moi-même. En ce moment, je relis, également pour une édition en poche, ma bio de Hitler (1999, et toujours la seule française) et je ne suis jamais plus heureux que quand j'en trouve les formulations ringardes.
Pour en revenir à Kersaudy, il écrit dans l'article sur Kersten cette formule digne de Molière : "des médecins qui soignent on en trouve, des médecins qui guérissent on en cherche", ce qui parodie une formule attribuée à de Gaulle au début de sa République qui pourrit sous nos yeux, "des chercheurs qui cherchent on en trouve, des chercheurs qui trouvent on en cherche".
Présent, mon Général !
PS.- On aura noté que ce petit exposé portait sur les médias de façon très générale et non sur le présent dossier du Point. Je ne doute pas un instant que ses rédacteurs aient accordé à mon Hitler / 30 janvier 1933 / La véritable histoire toute l'attention requise, n'aient pas trouvé la place pour l'évoquer dans ce dossier déjà très riche et s'apprêtent à en parler.