Daniel écrit :
Bruno, l'un de nos amis communs est en train de finir un livre, qui sera publie cet ete, et qui montre que l'assassinat du "Juif Mandel", s'il fut bien accompli par des Miliciens, a ete commandite par la SS, probablement suite a un ordre venu de haut.
Loin de moi l'idée de préjuger de l'explication que ce livre à venir fournira, mais si c'est pour aboutir à un "probablement", je ne vois vraiment pas ce qu'il apportera de nouveau.
En effet, à la suite des dépositions de Laval, Darnand, Brinon devant la Haute Cour de justice, de celles du chef milicien Max Knipping et des miliciens accusés du meurtre lors de leur procès, tout le monde sait que l'ancien ministre Georges Mandel a été livré par le SD à la prison de la Santé et à la Milice.
D'après Denis Daubras ("Trois morts en fraude : Zay, Henriot, Mandel",
Historia hors série n° 40 : "La Milice, la collaboration en uniforme") :
Le 6 juillet [1944] au matin, l'adjoint du général SS Oberg [haut responsable de la SS et chef de la police allemande en France], le colonel SS Knochen [chef de la Sipo-SD, police de sécurité allemande en France] téléphona à Max Knipping [chef milicien et] délégué général du Maintien de l'ordre en zone nord :
"- Georges Mandel vient d'arriver par avion d'Allemagne sur ordre du Reichsführer-SS Himmler. Nous le mettons à la disposition du gouvernement français. Voulez-vous le prendre en charge ?
- Il m'est impossible de recevoir M. Mandel, répondit Knipping.
- J'ai des ordres, répliqua Knochen.
- Accordez-moi un délai, il faut que je téléphone à Vichy."
[Sans attendre une réponse de Vichy], une voiture allemande du SD, escortée d'une autre voiture, vint livrer [Georges Mandel le 7 juillet à 14 h 25] à la prison de la Santé qui ne l'attendait pas. [...] Alerté par Max Knipping, le directeur de l'administration pénitentiaire, André Baillet, s'en vint à la Santé pour s'occuper de l'encombrant prisonnier. [...] Après un entretien avec Baillet, Knipping prit la décision de signer un mandat de transfert de la Santé pour le château des Brosses à Vichy. [...]
Le vendredi 7 juillet [à 17 h 40], trois voitures de la Milice [Deuxième Service] stationnèrent devant la Santé. Dans la première, [...] il y avait un officier allemand en civil, le Dr Schmidt [de la Sipo-SD] [...]. Dans la troisième, Max Knipping et son chauffeur. [...] Georges Mandel monta dans la deuxième voiture conduite par le milicien Mansuy. Knipping et le Dr Schmidt assistèrent simplement au départ de la Santé, abandonnant les deux voitures conduites par Mansuy et Fréchoux [...].
Les deux voitures atteignirent la forêt de Fontainebleau. [...] celle de Mansuy [où se trouvait Mandel] s'engagea dans un chemin de traverse où elle s'arrêta [...]. Mansuy déclara : "Il y a le carburateur qui ne marche pas." [...] Georges Mandel descendit et fit quelques pas [...]. Mansuy [fit] feu sur l'ancien ministre. [...] [Les autres miliciens s'écrièrent] : "Tu es fou ! Qu'est-ce qui t'arrive ?"
Mansuy, sans broncher, très calme, répondit : "Des deux côtés, ils sont d'accord. [...]."
Pour simuler un attentat, Mansuy tira alors une autre rafale sur la voiture [...] On connaît le tueur, Mansuy, mais qui a donné l'ordre de tirer ? Mansuy ne répondra pas à cette question. [...] Les autres miliciens ignoraient manifestement les ordres donnés à Mansuy et par qui. [...] Il n'est guère pensable que Mansuy, qui n'avait aucun poste de responsabilité au Deuxième Service de la Milice, ait abattu Mandel sans ordre précis, par haine antisémite ou pour venger Philippe Henriot. Remarquons qu'aucune sanction n'a été prise contre lui par les chefs de la Milice. De plus, il faut noter que son acte n'a pas été accompli dans la précipitation, mais au contraire de sang-froid. Cette exécution était un assassinat dans les règles. Mansuy était couvert. [...] Les soupçons se sont naturellement portés sur Max Knipping. [...]
[Selon le témoignage d'Henri Charbonneau, lors d'une réunion des chefs miliciens], Darnand explosa : "Vous ne faites tous que des conneries ! [...] Le président Laval est fou furieux. [...] Qu'est-ce que c'est que ces conneries répétées ? [...] Knipping fait abattre Mandel . Vous êtes tous fous !" Knipping, présent, baissa la tête [...]. Il ne dit rien. Il accepta l'accusation dont il était l'objet. Etait-ce un aveu ? Pourtant, au dernier jour de son procès, [...] l'ancien officier aviateur, debout, solennel, le visage blanc, leva le bras droit et d'une voix claire et ferme :
"Je jure... Je jure sur ce que j'ai de plus sacré que, dans l'affaire Mandel, je suis complètement innocent."
Alors ? ...
N'oublions pas la présence au départ du Dr Schmidt de la Sipo-SD, qui a pu donner à Mansuy l'ordre d'assassiner Mandel en échange d'une forte récompense et de l'assurance de son impunité. En effet, Mansuy a disparu vers l'Allemagne en août 1944 (quoique, pour certains, il serait resté à Paris. Selon une première version, il aurait changé de camp et été tué sur une barricade le 26 août ; selon une deuxième version, il aurait changé de camp et, reconnu par une ancienne victime, été arrêté et tué lors d'une tentative d'évasion ; selon une troisième version : il aurait projeté d'assassiner de Gaulle et, découvert, été promptement exécuté...)
Pourtant, le 8 juillet 1944, Max Knipping envoie le message suivant à son supérieur, Francis Bout de l'An : (extraits)
[...] Mon opinion est que, tout en étant loyaux au gouvernement, il faut que nous représentions l'élément révolutionnaire qui le pousse à faire ce qu'il ne fait pas par tempérament [...]. Ne pas agir dans l'affaire d'hier [l'assassinat de Georges Mandel] aurait eu pour conséquence de nous faire perdre entièrement la confiance des SS.
Mais, bref, cet "ami commun" a-t-il vraiment des pièces probantes à verser au dossier ?
P.-S. Voir aussi, pour plus de détails sur cette affaire :
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Histoire de la Milice (Perrin, 1997, « Tempus », 2002, pages 338 - 359) de Pierre Giolitto ;
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Histoire de la Milice, 1918 - 1945 (Fayard, 1969, pages 505 - 515) de Jacques Delperrié de Bayac.