Post Numéro: 75 de Signal 24 Oct 2008, 21:53
Bon alors moi je débarque, et je suis plus qu'agréablement surpris par le niveau des débats sur ce forum... Là j'ai seulement survolé, mais le sujet m'intéresse beaucoup. Je ne suis pas prof à proprement parler, je suis guide dans un site historique. La même chose en somme, la seule chose qui change c'est les murs autour de nous et le fait que la plupart de mes élèves sont volontaires pour venir.
Pour moi la qualité de l'enseignant est essentielle à la réussite du cours (pas des élèves, ça c'est un autre problème). Si il se contente de réciter son texte ou de le lire, aucun élève ne s'intéressera à ce qu'on lui dit. L'enseignant doit vivre ce qu'il explique, et surtout, surtout, faire participer les élèves, les inviter à s'impliquer dans la réflexion sur le sujet abordé.
Exemple concret : la Shoah. Ultraclassique et incontournable. Deux façons d'aborder le sujet :
1) Montrer une carte des camps, un documentaire ou deux (par exemple Nuit et brouillard et un extrait de Shoah, puis faire un cours classique, en expliquant les tenants et les aboutissants de la déportation et de l'extermination. Excellent début, mais j'ai pu constater lorsque j'étais surveillant en collège (trois ans de suite : dur dur !) que les élèves, gavés de films d'horreur et d'images atroces aux infos, ne se rendent même pas compte de la spécificité de ce génocide. Après tout pour eux ce n'est plus qu'un cours comme un autre, d'autant qu'on leur rebat les oreille avec le sacrosaint "devoir de mémoire" à longueur d'année. Résultat : ils ne comprennent pas grand chose et tout ça leur passe au-dessus de la tête.
2) Autre façon de faire, complémentaire par rapport à la première, que j'ai expérimentée en salle de permanence avec trois élèves qui sortaient justement d'un cours d'Histoire et me disaient n'avoir pas vraiment compris en quoi c'était si terrible la Shoah (le cours était comme ci-dessus) : la mise en situation. Je les ai mises dans la peau de jeunes déportées. Je leur ai expliqué quel était leur trajet depuis l'entrée dans le train jusqu'au four crématoire... en sortant de là, elle avaient parfaitement compris !
L'exemple est extrême, j'en conviens. Mais il peut s'appliquer à toute période historique : la chevalerie, qui est étudiée en 5e si je ne m'abuse, peut être expliquée facilement par des mises en situation du même genre : adoubement et vassalité sont facilement jouables dans de petites scénètes par exemple.
A mes yeux, l'image est également extrêmement importante : l'Histoire ne doit jamais se résumer à une longue suite de dates, qui ont dégoûté tant de générations d'élèves ! L'Histoire c'est la vie !!! Le passé nous a laissé tant d'oeuvres d'art, d'objets, de monuments, qu'il est plus que simple de l'illustrer. Nous vivons dans une civilisation de l'image, plus du texte, malheureusement. La plupart des élèves ne verront de leur vie, sur telle ou telle période, que ce que le professeur leur montrera. Donc si on en reste à un cours écrit, il ne restera rien dans la tête des futurs adultes qu'ils sont. Comme exprimé plus haut, l'évolution de la place de l'Histoire (et des Humanités en général, ce qui est connexe), laisse de moins en moins de temps aux professeurs pour boucler leur programme. En conséquence, il faut rationaliser les choses, quelques images bien choisies peuvent avantageusement remplacer un long discours, et la potentialité que les élèves les retiennent avec le temps est grande. Bien sûr, elles ne doivent en aucun cas remplacer le cours, qui reste fondamental pour comprendre le sujet présenté. Mais l'image est une excellente base.
J'ajouterai à ça : des sorties dans des monuments, sites, musées !!! C'est de plus en plus compliqué je sais. Mais c'est fondamental pour comprendre que l'Histoire constitue notre passé, notre présent et notre futur, puisque nous vivons au milieu de monuments antérieurs à nous, nous créons l'Histoire par nos actes, et nos actes futurs seront l'Histoire de nos enfants. construisez une maison et vous aurez créé un monument historique !!! Marrant non ?
Bon et une fois de plus je pars dans une conférence...
Deux remarques pour finir :
- J'ai constaté que beaucoup se plaignaient du fait que la Deuxième Guerre n'était abordée que rapidement au niveau événementiel par les professeurs. C'est vrai et c'est heureux. Je m'explique : si il fallait expliquer en détail les opérations, on n'en sortirait plus. Ça signifierait aussi qu'il faudrait faire la même chose avec la plupart des grands conflits depuis l'Egypte ancienne : ça risque d'être long. Je rappelle aux historiens en herbe que l'essentiel dans un conflit, et particulièrement ceux du siècle passé, n'est pas les opérations militaires, mais leurs conséquences politiques, économiques et sociales. La Première Guerre marque la fin du 19e siècle en introduisant la notion de massacre de masse, produit de l'industrialisation, qui conduit au mythe de la "der des ders", et crée par son règlement qui n'en est pas un la situation idéale pour passer vingt ans plus tard à la seconde. Elle marque également l'entrée des Etats-Unis sur la scène internationale, la prise de pouvoir des soviétique en Russie, ce qui aura deux ou trois conséquences par la suite, et le début des mouvements qui mèneront à la décolonisation et l'émancipation des femmes en occident. La Seconde Guerre marque l'invention du meurtre industriel (pas du génocide, celui-là avait commencé en 1905 en Afrique pour ce siècle, et remonte à la nuit des temps avant ça), et en conséquence l'invention du concept de crime contre l'humanité, le début de l'ère atomique et de la guerre froide. Le conflit entérine le déclin annoncé en 1918 de l'Europe en tant que puissance dominante dans le monde.
Dans les deux cas, les opérations militaires sont secondaires dans leur détail, même si bien sûr les grandes lignes sont importantes : imaginons que churchill ait obtenu de débarquer du côté de la Yougoslavie, l'après guerre aurait été un peu différent. Mais les détails ne sont pas importants, d'où le peu de place que les enseignants leur réservent. Tiens un dernier exemple pour la route : le 11 septembre 2001 n'est pas important du fait de la méthode employée (quoique pour l'histoire des mentalités si, mais c'est une analyse plus pointue là), il est important du fait que les Etats-Unis ont été attaqués sur leur propre sol, ce qui n'était jamais arrivé (Pearl Harbor c'est pas continental, c'est un atoll au milieu du Pacifique). C'est un élément fondateur de tout ce qui suit : Afghanistan, Irak, bientôt Iran peut-être... Sans compter tous les changements au sein des pays occidentaux : la paranoïa profonde dans laquelle nous vivons, qui mène à mettre des caméras partout et des portiques de sécurité dans tous les lieux publics. Quels changements depuis 2001 ! Et la méthode employée par les terroristes, si elle est spectaculaire, aurait eu les mêmes effets si elle avait été différente mais aussi médiatique (pas dévastatrice, médiatique, c'est plus important : moi qui vous parlais de civilisation de l'image...).
- Pour répondre à une question posée plus haut sur le thème "l'histoire ça sert à quoi ?" je rejoins mes camarades historiens en disant simplement que le jour où vous choisissez quel bulletin mettre dans l'urne, si vous connaissez un peu votre histoire, votre décision sera basée sur une réflexion étayée, pas sur du vent. L'Histoire (et la connaissance en général d'ailleurs), c'est les fondations de la maison que vous êtes. Sans elle, elle ne repose sur rien, vous êtes vide. Et n'importe quel discours démagogique pourra vous faire voter pour n'importe qui sans que vous ne puissiez comprendre le fond de la pensée de celui pour qui vous votez (qui lui d'ailleurs la connaît, son Histoire). Le savoir, c'est le pouvoir. A votre avis, pourquoi ce sont les gens les plus cultivés, qui ont fait les plus hautes écoles et les plus hautes études (il y a des exceptions j'en conviens) qui gouvernent, et pas ceux qui considèrent que "de toute façon tout ça ça ne sert à rien" ?
Bon j'ai bien sûr fait une conférence... Mais comme je disais au début, le niveau de débat est très intéressant et agréable ici. J'en profite !
Bonne soirée,
Seb.