Suite au post sur les photos "polémiques" (mot malheureux et inapproprié), je rebondis sur un point : savoir si une photo est posée ou pas peut avoir son importance, voir même être fondamental dans certains cas.
En effet, une photographie est prise pour diverses raisons : pour garder un souvenir (cas des photos de famille), témoigner de quelque chose (photographies prises par des enquêteurs pour fixer sur la pellicule une scène de crime), propagande, information, etc...
Quand on se retrouve face à une photographie, il est donc toujours important de se poser plusieurs questions, dont l'ensemble constitue la critique du document, qui elle-même est à la base du travail historique : quand a été prise la photo ? Qui a pris la photo ? Où est-il placé ? Qui est représenté ? Pourquoi la photo est-elle prise ? La photo a-t-elle été publiée et par qui ? Etait-elle destinée à être publiée ? Etc...
Cette petite analyse amusante permet de tirer une masse d'enseignements du document. Quelques exemples sur la période qui nous intéresse (pris au hasard sur le net) :
Un premier exemple très intéressant. A première vue, il s'agit là d'une photo prise par l'un des accompagnateurs d'Hitler lors de sa visite de Paris. La présence du cameraman rend impossible toute publication de propagande, donc nous sommes face à une photo-souvenir. Cela dit, elle n'est pas prise au hasard : Hitler au centre, Speer et Brecker de part et d'autre, la tour Eiffel juste derrière, nous avons là une véritable Sainte Trinité de l'art nazi. Ne serait le cameraman dans le champ, on aurait une magnifique photo symbole à la fois de la défaite française et du renouveau artistique voulu par Hitler.
Autre exemple sur Hitler :
A première vue, rien à dire de particulier. La photo montre Hitler, Jodl et Keitel dans leur quartier général. Pourtant, à y regarder de plus près on a ici purement à faire à une photographie de Propagande, entièrement posée. Hitler donne les ordres (Führer befehl, wir folgen), Jodl confirme et Keitel suit. Encore une Sainte Trinité, militaire cette-fois. Le but évident de la photographie est de montrer que le Führer est le chef incontesté de l'armée allemande et que ses ordres sont suivis à la lettre. On notera que cette photo a été publiée dans Signal, après avoir été recadrée sur les côtés, et que cette photographie était en pleine page (pour ceux qui connaissent, une page de Signal c'est grand !).
Et pour finir, un grand classique :
Tout le monde connaît, on ne présente plus... Et pourtant ! Outre le fait que la photographie montre le moment symbolique le plus important de la bataille de Berlin, voir de toute la guerre, nous avons ici un magnifique exemple de propagande.
La construction de l'image tout d'abord : assurément la photo est posée. Inutile d'être grand clerc pour voir que nos soldats ne sont pas placés au hasard. Mais l'analyse va plus loin quand on voit l'original de la photo :
On sait depuis quelques années que cette célèbre photo a été retouchée après coup pour la rendre plus dramatique (fumées ajoutées à l'arrière plan) et surtout sauver la face : notre officier a deux montres sur l'original et une seule sur la photo officielle publiée ! Un héros de l'Union Soviétique ne saurait être un pillard !
Là encore, l'analyse de la photographie nous a apporté pas mal d'informations, au-delà de ce qu'elle montre a priori.
En effet, il est parfois fastidieux, voir énervant de se poser toujours les mêmes questions à propos des photos, en les considérant comme suspectes sauf preuve du contraire. Et en effet si on commence on n'en sortira plus. Mais il s'agit là de la base du travail d'historien, qui qu'on le veuille ou non est avant tout un travail d'enquêteur ! Qu'une preuve soit fausse, mise là par l'assassin pour dérouter les recherches, et c'est toute l'enquête, puis l'accusation qui s'effondre ! Il en est de même pour l'histoire. Tout document, quel qu'il soit, doit faire l'objet d'une double critique : externe (le document est-il authentique : matériau utilisé, type de produits chimiques, encres, papier, pierre, vélun, etc... utilisés), et interne (qui a produit le document ? Dans quel but ? Pour qui ? Etc...). Sans ce travail, aucune étude historique sérieuse ne peut se concevoir.
Et en plus c'est amusant comme tout .
Bonne soirée,
Seb.