Le point de vue de Esther Benbassa est tout à fait juste.
J'avais cité il y a quelques jours une interview de Annette Wieviorka. Celle-ci expliquait qu'en France, au lendemain de la guerre, le génocide des Juifs était très peu évoqué, y compris par les Juifs eux-mêmes. Prenons par exemple le cas des manuels scolaires. Je cite un intervenant de Histoforum:
En fouinant dans la maison sous prétexte de retrouver des documents pertinents pour la déclaration sur le revenu, j'ai quand même trouvé, en 2eme rangée ou sur le dessus des armoires, 2 ouvrages généralistes, respectivement de 1958 et 1964. Le moins qu'on puisse dire est que l'obsession génocidaire n'y était pas de mise: Dans l'un comme l'autre, ni le génocide des juifs, ni la moindre famine en Ukraine ou en URSS ne sont mentionnés .
* La Pléïade, Histoire universelle, TomeIII, 1958
- "La crise de l'Europe", par Jean Vidalenc, qui recouvre l'époque de 1914 à 1945, 5 pages sur la SGM, zero ligne sur l'extermination des juifs.
- "Le Monde Slave", par Alfred Fichelle, 11 pages sur l'histoire de l'URSS, dont 2 pages sur la politique intérieure de l'URSS "La collectivisation agricole s'opéra au début dans le plus grand désordre à cause de la mauvaise volonté des paysans aisés ou koumak. Une répression cruelle s'ensuivit."
* Collection "Nouvelle Clio" Volume 38, "L'Europe de 1815 à nos jours", de JB.Duroselle, 1964
- 10 pages sur "La montée des périls et le 2eme guerre mondiale". zero ligne sur l'extermination des juifs. (il y a ailleurs de longs développements sur l'affaire Dreyfus)
- La révolution russe n'est traitée qu'indirectement et l'histoire de l'URSS n'intervient que dans le cadre de la SGM ou de la bipolarisation d'après-guerre.
http://www.histoforum.org/histoforums/5 ... ummsg=5553
Ainsi des livres rédigés 15 à 20 ans après la Shoah ne disent pas un mot de celle-ci. Je pense donc que la notion de culpabilité, que les Occidentaux sont censés avoir éprouvé après 1945, est en réalité une projection que nous faisons sur le passé. C'est seulement à partir de la fin des années 60 que l'on a pris conscience de la spécificité du génocide des Juifs.
Concernant le sionisme, c'est un mouvement apparu au début des années 1880, soit avant la naissance d'Hitler. Le projet d'un foyer national juif en Palestine est ancien et remonte au XIXe siècle.
A la veille de la Seconde guerre mondiale, l'Etat d'Israël est une quasi-réalité. On compte déja 600 000 Juifs en Palestine. Ceux-ci possèdent des institutions, des forces armées, une économie, un réseau scolaire et universitaire, un réseau de transport en commun, un système d'assurance sociale, des partis et un syndicat ... A tel point qu'en 1937 la commission Peel propose la division de la Palestine en deux Etats, l'un à majorité juive et l'autre à majorité arabe.
Le lien Shoah / naissance d'Israël n'est donc pas automatique.