Post Numéro: 39 de Colonel Fabien 24 Mai 2006, 00:32
Pour en revenir à la question de savoir si il y a corrélation entre la création d'Israël et la Shoah je vient de retrouver un article paru dans la revue L'Histoire (n°294, janvier 2005) qui restranscrit les propos par Esther Benbassa, directrice d'études à l'EPHE et chercheur invité au Netherlands Institute For Advnaced Studies.
"La naissance d'Israël en 1948 est souvent située dans une vision téléologique : du génocide à la rédemption. La dimension de sacralité que confère l'Etat hébreu sa fonction rédemptrice, directement lié au génocide, l'a longtemps mis à l'abri des critiques et a justifié son existence.
Emil Fackenheim, penseur juif d'origine allemande, considérait au lendemain de la guerre des Six-Jours que l'Etat hébreu était une réponse à Auschwitz. Ce qui fait oublier qu'Israël est l'aboutissement d'un mouvement national né dans la foulée des nationalismes européens du XIXè siècle. Certes, le génocide a hâté la reconnaissance de l'Etat des Juifs, mais celui-ci n'est nullement une création spontanée.
De plus, la prise en compte de la Shoah par Israël a été lente. A la suite de la Seconde Guerre mondiale, environ 250 000 européens ont immigré en Israël.
Or, dans les premières années de l'Etat, on a manqué d'empathie à leur endroit, on a même cultivé une attitude critique et méprisante. On se demandait ainsi comment ces Juifs s'étaient laissés conduire à l'abattoir "tels des moutons". Le génocide était perçu par les fondateurs de l'Etat et les pionniers comme la conclusion tragique et inévitable du parcours des Juifs de la Diaspora, comme une défaite juive, opposé au glorieux combat de ceux qui avaient versé leur sang pour construire Israël.
Le procès Eichmann en 1961 marque un réel tournant parcequ'il donne une voix et une légitimité aux témoins et aux victimes, rattache les jeunes Israëliens à leur passé juif et confère une identité collective aux Israëliens par-delà leurs divergences. Désormais les Juifs de la Diaspora eux aussi se confrontent au génocide et en trament la mémoire pour l'ériger en marqueur identitaire.
Progressivement, la Shoah se met à occuper une place centrale, est intégrée dans l'histoire du sionisme et projetée sur la situation moyen-orientale. L'occupation de la Cisjordanie, de Jérusalem-Est et du Sinaï après la guerre des Six-Jours, qui ouvrait la voie à l'établissement du "Grand Israël", sera interprétée comme une victoire face au risque d'un second holocauste, et par conséquent comme une nouvelle réparation. Revenir en arrière signifiait dès lors, selon Abba Eban, revenir aux "frontières d'Auschwitz".
L'arrivée au pouvoir du Likoud, parti de droite, en 1977, donnera lieu à une utilisation obsessionnelle de la Shoah pour asseoir la politique belliqueuse d'Israël. L'adversaire arabe et palestinien était de plus en plus "nazifié" et "Israël" victimisé", petit pays entouré d'ennemis nombreux contre lesquels il devait se protéger en ne comptant que sur lui. Quitte à faire fi d'une mémoire palestinienne qui, à son tour, se construisait à partir de ses propres blessures."