Or donc, puisque "Borsig" me le demande, revenons un peu sur le compte-rendu de la réunion entre Laval et les cadres sup' de la
S.S. du 2 septembre 1942...
Pour rappel:
- Alain Michel et son fidèle admirateur, "Borsig", soutiennent que Vichy se serait efforcé de protéger les Juifs français face aux nazis (mais les protéger de quoi, puisque ces deux-là nous soutiennent, à des degrés certes divers, que Vichy ne savait pas ce qui attendait les déportés?);
- dans cette logique, ils soutiennent qu'au cours du mois de juillet 1942, Vichy aurait conclu avec lesdits nazis un accord prévoyant la sauvegarde des Juifs français, et qu'en contrepartie ne seraient livrés que des Juifs étrangers (enfants inclus);
- ils allèguent également que c'est cet accord qui, en grande partie, aboutirait à la circonstance que, précise "Borsig",
"le pourcentage de Juifs tués fut moins élevé en France que dans tous les autres pays dans l'orbite de l'Allemagne nazie, à l'exception du Danemark". Ce même "Borsig" ajoute:
Borsig a écrit:Laval a manoeuvré habilement et cyniquement. En agissant ainsi il s'est fait complice du crime des nazis. Mais nous savons que l'action de Vichy a eu des effets paradoxales. Des Juifs apatrides ont été livrés aux Allemands. Cela faisait parti de l'accord. Si Laval avait agi autrement, les Allemands auraient rapidement déclaré l'accord caduque ; ils auraient pu rafler, dans la zone nord, non seulement des Juifs apatrides mais aussi des Juifs français. L'habilité de Laval n'a d'égal que la déception des Allemands en août 1943 quand ils se rendent comptent qu'ils ont été bernés. Pour quelle raison croyez-vous que Heinz Röthke a été renvoyé ? Son remplacement par un officier plus énergique n'est-il pas un désaveu de la part de sa hiérarchie ?
Le problème est qu'il n'en est rien. Accord il y a eu en juillet 1942 entre Vichy et les nazis, oui. Mais il ne prévoyait certainement pas de sauvegarder les Juifs français.
J'ai déjà montré pourquoi. J'y ajoute
ce message.
Concrètement, un tel accord prévoyait
autre chose: seraient d'abord livrés les Juifs étrangers, puis des Juifs naturalisés français mais à qui on retirerait leur nationalité.
Mais il ne spécifiait nullement, en aucun cas, la protection des Juifs français: simplement, leur tour viendrait après. Les documents allemands sont sans équivoque sur ce point, et Alain Michel n'a pas été fichu (pas plus que les thuriféraires vichystes qui s'en réclament) de me produire un seul élément du contraire, sinon un vague appel à la méfiance sur la sincérité de leurs auteurs, ce qui est, pour rester courtois, particulièrement faible. L'argument d'Alain Michel (qui m'a été, par le passé, opposé par des thuriféraires vichystes) est d'autant plus faible que lesdits documents allemands sont confirmés par un document, d'origine française celui-là. Je me permets de reproduire ce mien message posté hier:
Nicolas Bernard a écrit:Il se trouve, en effet, que, le 20 ou le 21 juillet 1942, le Cardinal Suhard a livré aux évêques de zone occupée l'information suivante, à propos des intentions allemandes concernant les Juifs:
Destinés à disparaître du continent. Qui les soutient est contre nous. Expulsions prescrites. Réponses : les uns sont nôtres - à conserver, les autres étrangers - les rendons. Non, tous doivent partir par nos services dans les deux zones.
Il s'agit là des notes prises par le Cardinal Liénart lors de l'allocution de Suhard (elles ont été publiées en 1983). Ce dernier s'inspire vraisemblablement de propos qui lui ont été tenus par René Bousquet quelques jours auparavant. De telles notes, en effet, font part d'informations explosives, que seul un très haut fonctionnaire français (Bousquet, donc) était en mesure de connaître. Leur contenu révèle la position allemande (les Juifs doivent
"disparaître du continent", ce qui laisse augurer le pire), laquelle se double d'un parfum de menace (
"Qui les soutient est contre nous"), ainsi que la première réplique française: les Juifs étrangers partent, les Juifs français restent, et la réplique allemande:
"Non, tous doivent partir par nos services dans les deux zones", sachant que
"nos services" sont évidemment l'administration française. Il n'est pas question, ici, d'un quelconque accord tendant à sauvegarder les Juifs français, bien au contraire.
Un tel document (publié voici plus de trente ans, au demeurant) est fondamental à deux titres:
1/ Il prouve,
à tout le moins, que les dirigeants de Vichy, du moins ceux impliqués dans les négociations avec les Allemands intéressant les rafles, à commencer par Bousquet, savaient que les Allemands ne réservaient pas aux Juifs un sort des plus sympathiques, et que le fameux "Etat juif" mentionné par Laval lors du Conseil des Ministres n'avait rien, mais alors rien de paradisiaque.
2/ Il pulvérise l'assertion selon laquelle l'Etat français aurait, en juillet 1942, conclu un accord avec les Allemands tendant à la sauvegarde des Juifs français. Non seulement n'est-il fait mention d'aucun accord de cette sorte (tout au plus est-il indiqué que Vichy a d'abord tenté de s'opposer à leur déportation), mais en outre il en ressort que, pour les Allemands, il est bel et bien question d'obtenir de notre administration la livraison de l'ensemble des Juifs de France.
A ce dernier document s'ajoute le tristement fameux compte-rendu du 2 septembre 1942 entre Laval, le Chef de la Police et des
S.S. en France Karl Oberg, ainsi que l'Ambassadeur Abetz et l'Ambassadeur de Brinon. Dans lequel Pierre Laval demande à ce qu'on ne lui demande pas de livrer davantage de Juifs - à l'évidence français - à cause des protestations de l'Eglise, mais s'engage à livrer, plus que jamais, des Juifs étrangers. Ce qui n'aurait aucun sens si un accord de sauvegarde des Juifs français avait été conclu en juillet 1942...
Alain Michel et "Borsig", on s'en doute, sont bien gênés par ce compte-rendu. Aussi vont-ils l'interpréter de manière particulièrement rocambolesque.
Voici ce qu'en déduit Alain Michel:
alainmichel a écrit:A/ L’entretien avec Laval du 2 septembre 1942. Tout d’abord le vocabulaire employé par N.B. est absolument inadéquat. Laval ne « supplie » pas et il ne parle d’ailleurs pas du tout des Juifs français. Je conseille de ne pas utiliser la version publiée par Klarsfeld dans « Le calendrier », où le document est interrompu par les commentaires de Klarsfeld, mais d’aller voir le document dans son intégralité, publié par le même Klarsfeld dans « Vichy-Auschwitz » édition de 1983, p. 407-409. En ce qui concerne la question de la déportation, Laval, d’après le compte-rendu de Hagen, aborde 3 points : la réaction de l’Eglise, une considération générale suite à cette réaction demandant d’arrêter les pressions sur cette question juive, et enfin un rappel de l’accord qui a été conclu. C’est ce troisième point qui nous intéresse ici, et je vais donc le citer intégralement :
« Il confirma une fois de plus que, conformément aux accords conclus, on livrerait d’abord les Juifs ayant perdu leur nationalité allemande, autrichienne, tchèque, polonaise et hongroise, puis également les Juifs de nationalité belge et hollandaise. Ensuite, comme convenu, on livrerait les Juifs qui avaient acquis la nationalité française après 1933.
Il a été répondu par la négative à la question du Président Laval qui voulait savoir si le Chef supérieur des S.S. et de la Police avait encore d’autres exigences à ce sujet. Là-dessus, le Président Laval a renouvelé sa demande de ne pas exercer de pression particulière en cette matière, compte tenu des difficultés actuelles. »
Résumons ce que dit ce compte-rendu :
a) Laval rappelle qu’il y a eu un accord (allusion à l’accord de début juillet 1942).
b) Cet accord concerne dans un premier temps les Juifs apatrides (ceux qui ont été arrêtés en juillet et août), puis les Juifs belges et hollandais, enfin (et ce sera l’objet de la rupture en août 1943) les Juifs étrangers naturalisés français, Laval affirmant la date « après 1933 », alors que nous savons que les Allemands exigeront en 1943 « après 1927 ».
c) Il fait confirmer qu’il n’y a pas d’autres exigences (donc les Juifs français ne seront pas arrêtés puisqu’ils ne sont pas dans l’énumération des catégories).
d) Il renouvelle sa demande de ne pas le mettre sous pression sur cette question, ce que je comprends comme étant une demande de reporter le calendrier des étapes de l’accord, ce qui explique pourquoi la question des dénaturalisations ne sera abordé qu’à partir du printemps 1943.
On le voit, tout dans ce texte vient confirmer mon point de vue, et l’interprétation de N.B. et tout simplement totalement erronée.
Et ce qu'en déduit "Borsig", sur la base du même extrait:
Borsig a écrit:Je crois qu'il s'agit d'une erreur de votre part. Vous avez mal interprété le compte rendu rédigé par le Sturmbannführer Hagen. Dans le "calendrier" de Serge Klarsfeld se trouve une traduction en français du document. Laval rencontre Oberg le 2 septembre à Paris. L'ambassadeur Abetz est présent également. Hagen rédige le procès-verbal le lendemain. Il n'est pas vrai que Laval se plaint des exigences des Allemands au sujet des Juifs français. Il se plaint des exigences exorbitantes qui lui sont demandées : 50 000 Juifs dans l'immédiat. Ce ne sont pas des Juifs français. La question des Juifs français se posera quelques jours plus tard lorsque Röthke voudra absolument organiser une rafle de 5 129 Juifs français.
Cette fameuse "conversation" pour paraphraser Hagen fut l'occasion pour Laval de rappeler, devant son interlocuteur, les accords de juillet. Je suis convaincu que ce n'est qu'un rappel, et je ne suis pas contredit sur ce point par Klarsfeld dans "Vichy-Auschwitz". Dans le document on peut lire : « Il [Laval] confirma, une fois de plus que, conformément aux accords conclus, on livrerait d'abord les Juifs ayant perdu leur nationalité allemande, autrichienne, tchèque, polonaise, et hongroise, puis également les Juifs de nationalité belge et hollandaise. Ensuite, comme convenu, on livrerait les Juifs qui avaient acquis la nationalité française après 1933. »
Croyant sans doute avoir triomphé, "Borsig" allait se répéter:
Borsig a écrit:Je crois qu'il s'agit d'une erreur de votre part. Vous avez mal interprété le compte rendu rédigé par le Sturmbannführer Hagen. Dans le "calendrier" de Serge Klarsfeld se trouve une traduction en français du document. Laval rencontre Oberg le 2 septembre à Paris. L'ambassadeur Abetz est présent également. Hagen rédige le procès-verbal le lendemain. Il n'est pas vrai que Laval se plaint des exigences des Allemands au sujet des Juifs français. Il se plaint des exigences exorbitantes qui lui sont demandées : 50 000 Juifs dans l'immédiat. Ce ne sont pas des Juifs français. La question des Juifs français se posera quelques jours plus tard lorsque Röthke voudra absolument organiser une rafle de 5 129 Juifs français.
Or donc, nous assènent sereinement Alain Michel et son admirateur "Borsig", il ne serait
"pas vrai que Laval se plaint des exigences des Allemands au sujet des Juifs français", et ledit Laval
"ne parle d’ailleurs pas du tout des Juifs français" ce 2 septembre 1942.
Cette assertion est hélas inexacte. Car elle se fonde sur une reproduction tronquée du document. Et ne tient aucunement compte du contexte dans lequel il s'est élaboré. Surtout, un autre document anéantit totalement pareille interprétation.
Reproduisons d'abord le document, du moins le passage pertinent (Serge Klarsfeld,
La Shoah en France, vol. III:
Le Calendrier de la Persécution des Juifs de France. Septembre 1942 - août 1944, Paris, Fayard, 2001, p. 1034-1035):
Le S.S.-Sturmbannführer Hagen a écrit:Le Président Laval a expliqué que les exigences que nous lui avions formulées concernant la question juive s'étaient heurtées à une résistance sans pareille de la part de l'Eglise. Le chef de cette opposition anti-gouvernementale était en l'occurrence le Cardinal Gerlier. Comme il ne pouvait pas l'arrêter personnellement, il avait fait arrêter son bras droit, le Chef des Jésuites de la région lyonnaise, le 1er septembre, en l'assignant à "résidence forcée". Laval a fait remarquer dans ce contexte très ironiquement: "Et c'est déjà beaucoup dans un Etat gouverné par le Maréchal Pétain."
Eu égard à cette opposition du Clergé, le Président Laval demande que, si possible, on ne lui signifie pas de nouvelles exigences sur la question juive. Il faudrait en particulier ne pas lui imposer a priori des nombres de Juifs à déporter. On avait par exemple exigé que soient livrés 50.000 Juifs pour les 50 trains qui sont à notre disposition. Il nous prie de croire à son entière honnêteté quand il nous promet de régler la question juive mais, dit-il, il n'en va pas de la livraison des Juifs comme de la marchandise dans un Prisunic, où l'on peut prendre autant de produits que l'on veut toujours au même prix. En outre - et ce sur un ton volontairement badin - il fit remarquer qu'il ne voulait pas du tout poser la question de la contre-partie.
Il confirma une fois de plus que, conformément aux accords conclus, on livrerait d'abord les Juifs ayant perdu leur nationalité allemande, autrichienne, tchèque, polonaise, et hongroise, puis également les Juifs de nationalité belge et hollandaise. Ensuite, comme convenu, on livrerait les Juifs qui avaient acquis la nationalité française après 1933.
Il a été répondu par la négative à la question du Président Laval qui voulait savoir si le Chef supérieur des S.S. et de la Police [Oberg] avait encore d'autres exigences à formuler à ce sujet. Là-dessus, le Président Laval a renouvelé sa demande de ne pas exercer de pression particulière en cette matière, compte tenu des difficultés actuelles.
Il ressort de ce document
1/ que Laval fait part aux Allemands de l'opposition de l'Eglise aux rafles de Juifs, et qu'il a tenté de juguler ces protestations, sans succès (sans doute une ruse de sa part, me diront mes contradicteurs...);
2/ que compte tenu de cette situation, Laval demande qu'
"on ne lui signifie pas de nouvelles exigences sur la question juive", et notamment (
"plus particulièrement") qu'on ne lui impose pas de quotas
a priori de Juifs à déporter, sachant,
"par exemple", que les Allemands avaient exigé
"que soient livrés 50.000 Juifs pour les 50 trains qui sont à notre disposition";
3/ Laval rappelle le contenu des accords de juillet 1942: livraison des Juifs étrangers (apatrides + hollandais + belges, sachant que d'autres nationalités vont y passer dès le mois de septembre), puis des Juifs naturalisés français depuis 1933. Il précise que la France exécutera ses engagements.
De fait, Laval évoque une demande allemande tendant à la livraison de 50.000 Juifs sur 50 trains. Il fait manifestement référence au projet, exposé à Berlin par Adolf Eichmann et dont son représentant en France, Heinz Röthke, est chargé de la mise en application, tendant à faire déporter 1.000 Juifs par jour à compter du 15 septembre, jusqu'au 31 octobre 1942 (voir la note de Röthke reproduite dans Klarsfeld, vol. III, p. 1015-1017).
Certes, le document ne mentionne pas la nationalité de ces 50.000 Juifs. Cela ne signifie nullement que ce contingent exclurait les Juifs français, ni, en toute hypothèse, que Laval n'aurait eu en tête, en présentant sa supplique, les Juifs français.
Et ce, pour trois raisons.
La première tient au document lui-même, à sa cohérence interne.
En effet, la suite du compte-rendu révèle que Laval entend respecter les accords de juillet 1942: rassurez-vous, Messieurs les Allemands, nous vous livreront les Juifs étrangers (apatrides, belges, hollandais - sans parler d'autres nationalités), ainsi que les naturalisés à compter de 1933. Un tel rappel de cet engagement n'aurait strictement aucun sens si Laval n'avait pas initialement, au début de la réunion, supplié les Allemands de ne pas lui demander la livraison de Juifs français.
En d'autres termes, si les mots ont un sens, le document ne peut se lire autrement que comme suit: Laval demande aux Allemands de ne pas lui réclamer de Juifs français, mais s'engage à continuer de leur livrer des Juifs étrangers. Admettre, à l'inverse, l'interprétation d'Alain Michel et de son admirateur "Borsig" reviendrait à prétendre que Laval demande aux Allemands de ne pas lui réclamer de Juifs étrangers, mais s'engage à continuer de leur livrer des Juifs étrangers, ce qui n'a aucun sens. Bref, il ressort du document lui-même que Laval demande bel et bien aux Allemands de ne pas lui réclamer de Juifs français (sinon, pourquoi parler ensuite de Juifs étrangers?). C'est pourquoi l'"analyse" d'Alain Michel et de "Borsig" est entachée, sur ce point, d'une colossale erreur de lecture.
Une autre preuve tient au contexte lui-même. Si véritablement Laval avait demandé aux Allemands de ne pas lui demander davantage de Juifs, sans précision de nationalité, et donc sans songer aux Juifs français, alors les rafles suivantes n'ont aucun sens:
pour rappel, le 14 septembre 1942, la police française rafle 200 Juifs de nationalité lettone, lituanienne, estonienne, bulgare, yougoslaves et hollandais, déportés deux jours plus tard ; le 24 septembre 1942, la police parisienne arrête 959 Juifs roumains, 729 d'entre eux étant gazés à Auschwitz trois jours plus tard. 1.965 autres Juifs étrangers seront raflés en octobre, et 1.060 Juifs grecs en novembre. Bref, Laval ne songeait certainement pas à ces catégories lorsqu'il a formulé sa réclamation du 2 septembre 1942. Enfin, et surtout, un troisième élément, de taille, ruine l'interprétation d'Alain Michel et de "Borsig": au compte-rendu du 2 septembre 1942 "répond", en quelque sorte, un document allemand. Ce document n'est autre qu'un mémo adressé par Knochen (adjoint d'Oberg et commandant de la police de sécurité et du
S.D. pour la zone occupée) à Eichmann, le 25 septembre 1942. Voici ce document intégralement reproduit, sachant que j'en souligne les passages clés (Klasfeld, vol. III, p. 1156):
Le S.S. Standartenführer Knochen a écrit:Une fois réalisées les arrestations de Juifs étrangers en zone occupée et non occupée, on a tenté d'obtenir également l'arrestation de Juifs de nationalité française. La situation politique et la position du Président Laval font qu'il n'est pas possible de s'en prendre à cette catégorie sans tenir compte des conséquences que cela risque d'entraîner.
J'en ai parlé avec le Chef de la Police française Bousquet. Suite aux résultats de cette conversation, et à la prise de position de Laval et en considérant la situation présente, le Chef supérieur des S.S. et de la Police a envoyé au Reichsführer S.S. un télégramme indiquant que vu la position de Pétain toute action aurait les suites les plus graves.
Le Reichsführer S.S. s'est joint à ces vues et a décidé que pour l'instant on n'arrêtera pas de Juifs de nationalité française. C'est pourquoi il ne sera pas possible de faire évacuer des contingents élevés de Juifs.
Pour l'instant on arrête tout les Juifs roumains (c'est l'Ambassade à Paris qui a fait savoir que les Juifs roumains pouvaient être arrêtés). Il faut tenter par tous les moyens, en liaison avec le Ministère des Affaires étrangères, d'obtenir l'autorisation d'arrêter d'autres Juifs étrangers. (L'Ambassade communique que des pourparlers ont été engagés avec vigueur pour ce qui est des Italiens et des Hongrois).
Il ressort d'un tel document,
- que les Allemands, après les rafles ciblant les Juifs étrangers, ont demandé à Vichy de livrer des Juifs français (c'est écrit noir sur blanc);
- que Knochen, à cette occasion, fait sans doute référence au projet Eichmann/Röthke visant 50.000 Juifs en septembre-octobre (ce qu'atteste la phrase:
"c'est pourquoi il ne sera pas possible de faire évacuer des contingents élevés de Juifs";
- que Vichy a bel et bien réclamé, en septembre 1942, tant par la voix de Laval que celle de Bousquet, qu'on ne lui demande pas de rafler les Juifs français, compte tenu de la
"situation politique", plus précisément la
"situation présente".
Il est absolument impossible que Knochen, dans ce document, se réfère aux accords conclus en juillet 1942. En effet, le nazi mentionne les difficultés rencontrées par le régime de Vichy vis-à-vis des rafles de Juifs étrangers, comme le prouvent les mentions
"la situation politique et la situation du Président Laval",
"la situation PRESENTE". De même, le mémo date précisément et la demande allemande, et la réponse vichyste: ces épisodes interviennent
"une fois réalisées les arrestations de Juifs étrangers en zone occupée et non occupée".
Il en résulte également qie Knochen ne peut faire seulement allusion à une opération concoctée récemment par Röthke tendant à la rafle imminente de 5.000 Juifs français (projet postérieur à l'entretien du 2 septembre 1942), compte tenu des termes employés, d'une bien plus grande ampleur:
"Une fois réalisées les arrestations de Juifs étrangers en zone occupée et non occupée, on a tenté d'obtenir également l'arrestation de Juifs de nationalité française." Bref, un tel document entraîne la
restlose Vernichtung de l'analyse d'Alain Michel et de "Borsig", et par conséquent corrobore totalement la mienne: Laval a bel et bien demandé aux Allemands, le 2 septembre 1942, de ne pas lui réclamer de Juifs français, du moins était-ce aux Juifs français qu'il songeait lorsqu'il a formulé une telle demande. Et les Allemands ont, après trois semaines de tergiversations, accepté.
Cette déduction entraîne une autre conséquence logique: l'accord conclu entre Vichy et les Allemands en juillet 1942 ne pouvait prévoir la sauvegarde, la protection des Juifs français. Si tel avait été le cas, les Allemands n'auraient pas demandé à Laval de leur livrer des Juifs français en septembre 1942,
et en toute hypothèse, Laval ne se serait pas privé de rappeler aux Allemands les termes de cet accord.
Il est constant, à l'inverse, que le 2 septembre 1942 Laval n'évoque les accords conclus, non pour s'opposer à une demande d'arrestation massive de Juifs français, mais pour garantir que seront livrés les Juifs étrangers, ainsi que les Juifs promis à la dénaturalisation.
Bref, ce qui conduit Laval à réclamer aux Allemands de ne pas lui demander de rafler les Juifs français ne tient aucunement à un accord conclu en juillet, mais aux protections de l'Eglise et de l'opinion publique face aux arrestations de Juifs étrangers.
Je persiste et signe:
1/ contrairement à ce qu'allèguent Alain Michel, "Borsig" et quantité de thuriféraires vichystes, Vichy ne convient pas avec les Allemands, en juillet 1942, de laisser "tranquilles" sine die les Juifs français (ces derniers étant, soit rappelé en passant, exclus de notre société);
2/ Vichy convient simplement de livrer les Juifs étrangers, ce qui s'étend aux enfants et au cas de Juifs dénaturalisés, sans engagement ni promesse d'aucune sorte des Allemands intéressant les Juifs français (bien au contraire, même, puisque les Allemands insistent sur le fait que leur tour viendra après);
3/ Vichy n'exclut certainement pas de rafler et déporter les Juifs français dans un avenir indéterminé, à la suite des opérations visant les Juifs étrangers;
4/ Vichy ne fera machine arrière sur ce point qu'à la suite des protestations de l'opinion et des Eglises à l'encontre des rafles de Juifs étrangers, protestations qui mettront Laval dans une position plus qu'embarrassante vis-à-vis des Allemands en septembre 1942;
5/ Mais Vichy ira jusqu'au bout de sa promesse de rafler et livrer les Juifs étrangers (hors le cas des dénaturalisés).