Docteur Félix Kersten

Bonjour,

Félix Kersten,

Dans sa préface du livre le Dernier des justes, de Arno Kersten et Emmanuel Amara, François Delpla doute, de la sincérité de confidences faites par Himmler à kersten et il écrit :

On peut aussi s’interroger sur le degré de sincérité des confidences faites à Kersten, au printemps de 1941, sur l’imminence d’une déportation massive vers l’est de millions de Hollandais. Cela ressemble beaucoup à une métaphore de la déportation des juifs, destinée à tester l’idée et les réactions qu’elle suscite.

Ce projet de déportation n’était pas rapporté uniquement par Himmler. En effet F.Kersten alors qu’il se désaltérait au mess de la SS avait surpris une conversation animée entre Heydrich et Rauter, conversation qui traitait justement ce sujet. En outre des documents signés de Hitler et de Bormann lui ont été présentés par Brandt, attestant l’apparente véracité des faits. Dr Brandt dans le coup ? ou alors simplement manipulé ? S’il y a manipulation de ce dernier cela signifierait que Heydrich en savait beaucoup plus et aurait pu être au courant de la boite postale de Himmler utilisée par Kersten et puis…et puis.

S’il s’agit d’intox à destination du bon Docteur qui devait dans la foulée répercuter l’info vers l’ouest, Il y avait, c’est étonnant, beaucoup trop de dignitaires à bien haut niveau qui participaient à cette manipulation. Cela valait-il la peine d’utiliser ce chantage pour tester les britanniques et pour obtenir quoi, la paix ? Cette opération, si cruelle en soi, aurait peut-être arrangé les British, qui sait !

Lorsqu' il était étudiant, Himmler faisait des projets d’avenir, c’est d’abord colon qu’il voulait devenir. Colon dans les zones germanisées de l’est ou même en Turquie le cas échéant. Un souhait bien ancré en lui dont il a conservé une certaine nostalgie si ce n’est pas une certaine frustration. A la fin de ses études, il a obtenu un diplôme d’ingénieur Agronome.

L’idée ( le rêve) de repousser les Russes jusqu’à l’Oural, de déplacer les Polonais et d’autres populations jugées inférieures vers cette frontière qu’ils auront à coloniser mais aussi à défendre, de remplacer les Polonais par des Hollandais considérés comme germaniques, excellents travailleurs pour l’extension à l’Est mais qui les avaient trahis, peut être admise vu les fous déments qui rêvent de réaliser le grand Reich allemand, celui qui devra dominer le monde. A cette époque Himmler jugeait et il n’était pas le seul, les Britanniques aussi, à considérer l’Allemagne comme invincible. Tout était envisageable à cette période précise.

Pour ce faire, il fallait d’abord être le rapide vainqueur du plan Barbarossa. C’est ce qui a pu convaincre Hitler de remettre à plus tard, après la victoire, la délocalisation des Hollandais, 3 millions de personnes dans un premier temps, vu les énormes moyens en hommes et en matériel nécessaires à mettre en œuvre au même moment ou peu avant le grand saut vers l’Est. Kersten n’aurait pas eu trop de difficulté à convaincre celui qui, sous ses doigts, devenait vulnérable alors même qu’il avait la réputation de prétendre qu'il avait toujours raison. Tous ces nazis avaient les yeux plus grands que le ventre.

[Prosper Vandenbroucke]

Bonjour Albert,
Je pense qu'il s'agit de ce livre ci:

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ICI
Cependant je crois que ton post serait mieux à sa place dans le sujet "DEPORTATION ET SOLUTION FINALE"
Je déplace donc le sujet.
Bien amicalement
Prosper

merci de cette réaction à une hypothèse que j'ai mise en circulation en 2006, dans une préface et tout à fait en passant. C'est pour moi une occasion de relire les passages concernés et de tenter de faire quelques pas de plus.

Déporter à terme la quasi-totalité de la population hollandaise vers l'est jure avec tout ce que nous savons de l'idéologie des nazis comme de leurs projets. Commencer par trois millions, à réinstaller dans les Balkans, dès avant le déclenchement de Barbarossa est clairement un plan sur la comète, sans le moindre début d'effet pratique. Une intox donc, à coup sûr. Que, outre Himmler, Heydrich, Brandt et quelques autres se liguent pour fourrer cela dans la tête de Kersten n'y change rien... mais signifie en revanche qu'on tient beaucoup à l'intoxiquer.

Mon idée d'une "métaphore de la déportation des Juifs, destinée à tester l’idée et les réactions qu’elle suscite", mérite d'être approfondie et complétée. Tu as raison de rappeler qu'à l'époque la grande affaire du nazisme est d'amener l'Angleterre à la paix avant le 22 juin, tout notre débat sur Hess l'a confirmé entre-temps.

Je rappelle l'une des principales ruses nazies, encore bien peu explorée : la division apparente du régime en clans rivaux; à ce moment, cela se traduit notamment par la mise en scène d'un clan pro-anglais avec Göring et d'un autre pro-soviétique avec Ribbentrop. L'un des buts est de faire croire que Barbarossa, loin d'être arrêté depuis juillet 40, fait l'objet d'une hésitation permanente dans l'esprit d'un Hitler tiraillé.

Pour obtenir la paix, il faut à la fois ménager l'Angleterre et la menacer. Sur le plan militaire c'est très clair : on se met en mesure de faire tomber dans l'escarcelle de l'Axe tous les relais anglais sur la route des Indes, de Gibraltar à Bagdad, mais on se contente de la menace et on laisse aux Anglais l'intégralité de ces places. Ce que suggère l'affaire hollandaise, c'est que la menace consiste aussi à faire craindre un remodelage en profondeur de l'Europe occupée, destiné à en chasser toute influence anglaise. Un remplacement intégral des Hollandais par ces colons allemands va tout à fait dans ce sens. Le fait que l'idée semble émaner de la direction du mouvement SS est intéressante. A cette époque les SS sont présentés comme des fanatiques, qui tirent Hitler vers des solutions extrêmes (c'est fin 41, début 42 qu'on commencera à en faire des agneaux qui, sous l'impulsion notamment de Schellenberg, le tirent vers une paix occidentale antisoviétique !). Brandt ne doit pas être très connu à l'ouest; il apparaît ici à titre de médecin de Hitler, donc capable de l'influencer dans le sens des "durs".

En conclusion provisoire, cette page de Kersten mérite d'inspirer des recherches, par exemple dans les archives du Foreign Office ou du gouvernement hollandais en exil. On demande des volontaires !

meUn remplacement intégral des Hollandais par ces colons allemands va tout à fait dans ce sens

par des colons allemands

@ François Delpla

J'ai écrit sur le fil :

viewtopic.php?f=20&p=522618#p522591

avoir revu ce vendredi dernier, la diffusion du documentaire sur Félix Kersten
Vous ayant aperçu parmi les intervenants au cours de la diffusion, j'ai jugé bon de vous consulter sur ce sujet qui éveille ma curiosité.
Avant de revenir éventuellement sur votre échange avec "Aldebert", je vous fait part de quelques réflexions assorties de quelques questions, à chaud.

Je m'en tiens en un premier temps aux situations qui ont permis à Kersten, d'obtenir des concessions de la part de Himmler qui ont abouti à des libérations de prisonniers.
J'avais compris que Himmler a lâché du lest pour la libération de prisonniers dont des juifs, à partir du moment où il a perdu l'illusion de la victoire finale de l'Allemagne.
Et j'avais situé ce moment à l'automne 1944.
Donc les accords qui sont intervenus en avril 1945 qui ont été suivis de libérations en masse et qui ont précédé de quelques jours seulement le suicide de Hitler, ne m'intriguent pas outre mesure.

Par contre ce qui me chiffonne, ce sont les situations antérieures où tout semble avoir été fait à l'insu de Hitler.
On apprend dans le document qu'avant qu'il ne fut assassiné le 4 juin 1942, Reinhard Heydrich qui avait un rôle majeur dans l'appareil de répression nazi, avait des soupçons croissants sur le double jeu de Kersten.
Par ailleurs, j'imagine qu'il y avait dans les camps des individus qui étaient au courant des entrées et aussi des sorties d'internés et qui de ce fait auraient pu par voie interposée jouer les "mouchards" et alerter Hitler (pour ne citer que lui).

En fait, je suis un peu perdu dans l'évolution des libérations dans le temps et aussi dans l'évolution des risques encourus.
Je compte sur votre aide pour remettre un peu d'ordre dans tout ça... Merci François !

A vous lire...

Roger

Bonsoir


à mon avis, mûri par une réflexion quotidienne de quelques décennies, Hitler est le maître absolu, et jaloux, de la "question juive" sur les terres, germaniques ou non, qu'il domine. Ses subordonnés n'ont qu'une marge de manoeuvre étroite sur les modalités, et aucune sur les décisions fondamentales, qui consistent par exemple à tuer ou à épargner. Y compris quand ces subordonnés se nomment Himmler, Heydrich ou Eichmann.

Tuer ou épargner : l'un ne va jamais sans l'autre ! Une des fonctions du meurtre est de menacer de mort les survivants... et de pouvoir monnayer, contre leur survie, des avantages dans tel ou tel domaine.

Et j'avais situé ce moment à l'automne 1944.
Donc les accords qui sont intervenus en avril 1945 qui ont été suivis de libérations en masse et qui ont précédé de quelques jours seulement le suicide de Hitler, ne m'intriguent pas outre mesure.

c'est au printemps 44 qu'a lieu le chantage le plus connu, celui qui concerne le sauvetage de 100 000 Juifs hongrois en échange de camions et de matériels divers destinés uniquement au front soviétique; chantage exposé par Eichmann au chef sioniste hongrois Joel Brand... et destiné d'évidence à brouiller l'URSS avec ses alliés.

Mais dès l'été 1942 un adjoint d'Eichmann, Wisliceny, avait amorcé un chantage du même ordre à Bratislava, s'agissant des Juifs slovaques.

Les procédés nazis ont, pour l'historien qui veut les voir, un avantage : leurs airs de famille.

Je reviens maintenant sur un détail du premier post d'Aldebert

Ce projet de déportation n’était pas rapporté uniquement par Himmler. En effet F.Kersten alors qu’il se désaltérait au mess de la SS avait surpris une conversation animée entre Heydrich et Rauter, conversation qui traitait justement ce sujet. En outre des documents signés de Hitler et de Bormann lui ont été présentés par Brandt, attestant l’apparente véracité des faits. Dr Brandt dans le coup ? ou alors simplement manipulé ? S’il y a manipulation de ce dernier cela signifierait que Heydrich en savait beaucoup plus et aurait pu être au courant de la boite postale de Himmler utilisée par Kersten et puis…et puis.

S’il s’agit d’intox à destination du bon Docteur qui devait dans la foulée répercuter l’info vers l’ouest, Il y avait, c’est étonnant, beaucoup trop de dignitaires à bien haut niveau qui participaient à cette manipulation.

Vérification faite, il ne s'agit pas de Karl Brandt, médecin de Hitler et maître d'oeuvre du massacre des handicapés, mais de Rudolf Brandt, secrétaire de Himmler, ce qui diminue le nombre des "dignitaires à bien haut niveau qui participaient à cette manipulation".

à mon avis, mûri par une réflexion quotidienne de quelques décennies, Hitler est le maître absolu, et jaloux, de la "question juive" sur les terres, germaniques ou non, qu'il domine. Ses subordonnés n'ont qu'une marge de manoeuvre étroite sur les modalités, et aucune sur les décisions fondamentales, qui consistent par exemple à tuer ou à épargner. Y compris quand ces subordonnés se nomment Himmler, Heydrich ou Eichmann.

Bonsoir François,

Je devrais vous remercier tant vous avez, en la circonstance, le don de mettre mon bulbe rachidien à l'épreuve !
A mon âge c'est un exercice cérébral salutaire qui s'impose

Je ne suis pas sûr à 100 % d'avoir compris, si j'écris faire le constat que le subordonné que j'ai marqué en gras a manoeuvré à la barbe de son maître !
J'ai ce doute au vu de l'Etre parfait, ou presque parfait, telle l'icone issue de la description que vous faites du Führer.

Pour le reste, je n'ai pas trouvé dans votre réponse de quoi apporter un éclairage différent (c'est pourtant la mode ici) à l'embarras qui entoure mes réflexions sur un sujet sur lequel plus j'essaye d'y voir clair, moins j'y crois !... Vous voyez bien combien c'est grave docteur !

Allez, pour moi, cet épisode prend fin dans le brouillard du doute.

Amicalement,

Roger

Beaucoup de problèmes sont complexes... au point que quand on tombe sur un qui est simple, on risque de ne pas s'en apercevoir, et de le compliquer artificiellement.

Si les très hauts dignitaires du Reich sont tous soucieux d'obéir exactement à Hitler, il y en a deux qui sont suspendus à ses moindres désirs au point d'abdiquer toute personnalité : Hess et... Himmler. Ce qu'ils font d'important, ils le font sur son ordre ou en concertation étroite avec lui. Et cela crée des habitudes, difficiles à perdre. Le faire à une date aussi tardive que l'automne de 1944 et alors que tout s'écroule ? Comment et où Himmler pourrait-il se procurer une autre boussole ?

ps.- quant à concevoir Hitler comme un être parfait parce qu'il savait se faire obéir, je ne sais pas quel ahuri est tombé dans ce travers mais je sais qu'il ne se prénommait pas François.