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[Témoignage] - Joseph Weissmann : La Vie après les Morts

De l'opération T4 à la solution finale, la dictature nazie atteint un degré d'horreur jamais atteint dans l'histoire moderne. Juifs, homosexuels, communistes, dissidents, Tziganes, handicapés sont euthanasiés, déportés, soumis à des expériences médicales.
MODÉRATEUR : Gherla, Frontovik 14

[Témoignage] - Joseph Weissmann : La Vie après les Morts

Nouveau message Post Numéro: 1  Nouveau message de fbonnus  Nouveau message 25 Sep 2011, 15:10

Joseph Weismann : La Vie après les Morts
Son histoire a inspiré le film à succès "La Rafle". Que devient-on quand on a fui, jeune juif de 11 ans, l'enfer des camps ?
Joseph Weismann nous livre un témoignage émouvant de son parcours de survivant, des années terribles à l'existence longtemps discrète d'un commerçant de province. Il sort en ce moment un livre, "Après la Rafle" chez Michel Lafon


weissmann.jpg
Joseph Weissmann
weissmann.jpg (42.67 Kio) Vu 2744 fois


Lorsque l'attachée de presse de Michel Lafon a suggéré du bout des lèvres à joseph Weissmann un rendez-vous au bar du Lutetia, le bel hôtel Rive gauche qui servit de QG à l'Abwehr pendant l'occupation avant d'accueillir les déportés de retour de l'enfer, celui-ci n'a pas cillé : "Aucun souci. Je n'y ai pas de mauvais souvenir. mon quartier à moi, minot, c'était Montmartre". Quand on glisse au rescapé du Vel'd'Hiv qu'on ne considère pas vraiment "La Rafle", le film de Roselyne Bosch inspiré de son histoire, comme un chef-d'oeuvre du 7° art, il garde le sourire : "Mais vous avez le droit! Moi même, je trouve au film certains défauts. Quelle idée par exemple, d'organiser dans le camp, cette "tea party" dansante entre le médecin et l'infirmière? Ca me bouffe ! Et puis mon père n'était pas un simple peintre de statuettes en plâtre, comme le personnage interprété par Gad Elmaleh dans le film. C'était le meilleur tailleur du monde, le Renoir de la couture."

Joseph Weissmann a une pudeur et une fougue de jeune homme que contredisent ses 80 printemps. Quand il parle, le verre d'eau tremble sur la table et le regard déborde parfois, les plafonds lambrissés du palace s'effacent en fondu enchaîné pour ressusciter le ciel brûlant de cet été 1942, qui fit de la France de Vichy une sordide petite main du boucher nazi. pas étonnant que le récit de son évasion de Beaune-la-Rolande, dans le Loiret, captive les écoliers. Comme 8000 autres juifs, dont 4051 enfants, le titi des Abesses avait dû rejoindre ce camp, situé près d'Orléans, après cinq jours passés dans le chaos puant du Veld'Hiv.

"Le Voyage avait été épouvantable. Huit heures pour parcourir 100 kilomètres, dans des wagons à bestiaux, par 40 degrés. En sortant du train, on a vu des vaches, quelques fermes, un clocher d'église ..."
Un enchevêtrement de barbelés, aussi, dansant sur eux-mêmes autour du camp sur une profondeur de 20 mètres. très vite séparé de ses parents et de ses deux soeurs, Joseph, alors âgé de 11ans, fait la connaissance de "Jo", un Parigot à peine plus taillé que lui qui va devenir son frère de cavale. "Il nous a fallu six heures pour traverser la ferraille. On avait mal, on saignait, on avait peur. A mi-chemin, on a failli renoncer !!!". La course dure cinq jours, menant les deux fuyards de la forêt d'Orléans à Montargis, jusqu'à Paris, l'arrêt final, où ils se disent adieu sur le parvis de la gare d'Austerlitz. A Jo l'Amérique et ses lumières, loin d'une Europe qui ne semble pas vouloir de lui. A Joseph l'errance, les orphelinats, la province, et une quête absolue, presque "maladive", de normalité.

"Longtemps, je me suis fait tout petit", écrit-il. Longtemps, aussi, Joseph Weissmann s'est tu. "Je ne souhaitais pas mutiler mes proches avec ma souffrance ni faire naître en eux la haine de l'Allemand".
A ses trois enfants l'homme se raconte par bribes, éludant les chapitres les plus douloureux de son histoire. "Le Veld'hiv a été une épreuve angoissante, mais pas tragique : mes parents et mes deux soeurs étaient à mon côté. Entre 1942 et 1945, j'étais seul, endurci et pourtant désespérément en quête d'amour. J'ai le sentiment de n'avoir pas vécu ces années là".

C'est de cette longue nuit qu'il témoigne dans son livre "Après la Rafle". Le livre est dédié à Jo, bien sûr, l'"Ami d'Evasion" retrouvé en 1970 et qui a déguerpi pour toujours il y a trois ans. joseph y raconte la solitude des orphelinats et des familles d'accueil, les départs précipités, l'espoir chaque jour plus mince de revoir les siens vivants - son père, sa mère et ses deux soeurs, Charlotte et Rachel, ont été gazés à leur arrivée à Auschwitz -, les brimades liées à une foi qu'il tait pour éviter les "emmerdements" et qui finit par l'abandonner tout à fait. L'antisémitisme catholique ordinaire de ces années-là prend sous sa plume les trais de "la Vieille", une mégère, lointaine cousine de Mme Lepic de Poil de Carotte, qui s'amuse avec ses mioches à lui déboutonner le pantalon, histoire de voir de près "comment c'est fait, un p'tit juif". "Un viol virtuel : la plus grande humiliation de ma vie", dit-il aujourd'hui.

La Libération et le service militaire sauvent une deuxième fois le miraculé. La première réconcilie avec la joie du monde. Le second le propulse au coeur d'une France qu'il n'a jamais cessé de chérir et où il entend bien se faire une place. Joseph n'est pas rancunier. "Pourquoi le serais-je. tout pays traverse des heures sombres. Je mets ce qu'il nous est arrivé sur le compte de l'histoire". Son pays lui a pourtant fait quelques belles vacheries. Ainsi, lorsqu'il se présente au buerau de la Fédération Nationale des Déportés et des Internés pour y retirer le manteau chaud promis à tous les rescapés des camps : "Jeune homme, vous n'avez pas droit à cette canadienne. Vous n'avez pas été interné assez longtemps", lui répond un crétin penché sur ses fiches. "Mes parents et mes deux soeurs ont été arrêtés le 16 juillet 1942. C'est une date qui vous dit quelque chose? Figurez-vous que j'étais avec eux !" hurle joseph. Il repartira avec sa canadienne. on lui refuse un passeport Français ? Le Parisien d'origine polonaise s'obstine, boude un statut d'apatride, lance une procédure contre l'Etat. Ce n'est qu'en exhibant son chevron de soldat de première classe qu'il obtient enfin le précieux sésame. "J'en garde une solidarité sans faille avec les sans-papiers".

Avec un peu moins d'anxiété et quelques diplômes en plus, il aurait fait merveille dans un prétoire. "Enseignant, aussi, ça m'aurait plu".
Mais marchand de meubles au Mans, c'est bien aussi. Le calme de la province a des vertus inestimables sur les esprits tourmentés. Quand Joseph dort mal, s'agite "comme une toupie", il prend la fuite, marche de longues heures sur les bords de l'Huisne, chiale un bon coup, puis va disputer une partie de pétanque avec ses copains ou petits-enfants. "J'ai un passé trop violent pour qu'il ne m'agresse pas une fois par jour au moins. Mais je ve neux pas être triste. Les mauvais nuages, je les chasse".

On glisse le mot de "résilience", concept très en vogue en psychologie. il corrige : "Non. j'ai 80 ans, la sérénité est venue trop tard ...". Il en avait 65 quand Simone Veil lui a gentiment reproché de ne pas partager avec les autres son exceptionnelle aventure. C'était lors d'un colloque, à Orléans : "Monsieur Weissmann, vous avez un devoir de mémoire à accomplir", a grondé la future académicienne, rescapée de la Shoah.
"Cause toujours", a pensé "Jojo". il s'est lancé, pourtant, et joue désormais plusieurs fois par an les passeurs d'Histoire dans les salles de classe. Dans son salon, les lettres de collégiens ont rejoint les rares trésors miraculeusement préservés de son enfance : la montre de son père, quelques clichés, dont une photo de sa mère, jeune fille, en pologne. Désormais, il y a aussi ce livre qui l'emplit de fierté et dont il s'empresse de montrer la couverture. "Elle est magnifique, non ? Le petit oiseau sur la photo, c'est moi".

Image

Le Livre : http://www.amazon.fr/Apr%C3%A8s-rafle-J ... 702&sr=1-1

Voici le témoignage intégral de joseph Weissmann :

Je me souviens de ce 16 juillet 1942 comme si c'était hier. Il faisait très beau et très chaud à Paris. C'était les grandes vacances. J'avais 11 ans. Je me revois à l'angle de la rue des Abbesses et de la rue Lepic, dans le XVIIIe. Une fillette s'est approchée de moi : « Tu devrais rentrer chez toi, m'a-t-elle dit. Il se passe des choses aujourd'hui pour les juifs... » Les rafles avaient commencé à 4 h du matin. Le bruit s'était sûrement répandu dans la ville. Je suis rentré.

Nous habitions un tout petit appartement au quatrième étage d'un immeuble de la rue des Abbesses. Nous vivions à cinq : mon père qui était tailleur, ma mère, mes deux soeurs et moi, dans l'unique pièce qui servait également d'atelier.

À 12 h 30, deux hommes ont frappé à notre porte. Il y avait un agent français en uniforme et un autre en civil. Nous avons pris quelques affaires et les deux hommes nous ont emmenés vers un autobus.

Comment décrire le Vel'd'Hiv ? C'était une immense pagaille, une cohue invraisemblable ! Il y avait là 13 000 hommes, femmes, enfants, vieillards... Nous sommes restés là trois jours, sans manger, en dormant sur les gradins, avec des cabinets impraticables. L'odeur était épouvantable. Il s'est d'ailleurs produit un phénomène extrêmement curieux lors du tournage de La Rafle. Pour les besoins du film, une partie du Vel'd'Hiv' avait été reconstituée à Budapest. Quand je me suis retrouvé sur le plateau, j'ai dit : « Qu'est-ce que ça sent la pisse ! » Ma fille qui m'accompagnait a été très surprise. Elle m'a dit : « Mais non papa. Ça ne sent rien du tout. » Alors j'ai demandé autour de moi. Ça ne sentait rien... L'odeur m'était revenue avec cette « image ».

Au quatrième jour, nous avons quitté le Vel'd'Hiv'. Direction la gare d'Austerlitz où nous voyions des Allemands pour la première fois depuis le début de l'opération. On nous a entassés dans des wagons à bestiaux. Nous avons roulé toute la journée. Nous sommes descendus à la petite gare de Beaune-la-Rolande (dans le Loiret, NDLR), où nous avons rejoint le camp.

On nous servait un repas par jour : une soupe et un morceau de pain. Pour faire nos besoins, on s'asseyait sur une grande planche de bois percée de plusieurs trous. En dessous, il y avait un grand bac qu'on appelait « la tinette ». Alors que j'étais un garçon plutôt chétif et que c'était un travail d'homme, on m'a demandé d'aller la vider avec un camarade. C'était lourd et le garçon était plus grand que moi, si bien que je recevais tout sur mes vêtements. C'est à ce moment-là que j'ai vu des billets de banque dans les excréments. Je reviendrais les chercher plus tard quand j'aurais décidé de m'évader.

Nous sommes restés là entre quinze jours et trois semaines. Et puis, un matin, à 5 h, on nous a emmenés à la baraque des fouilles. Nous devions remettre nos valeurs aux miliciens. Les Allemands sont arrivés en fin de journée. Comme il y avait trop d'enfants pour le nombre de wagons, les officiers ont désigné, au hasard, ceux qui resteraient là en attendant le prochain train. Je suis l'un d'eux !

Je ne vous dirai pas ce qu'a été ce moment, où on m'a arraché à ma famille. Je ne peux pas. Je ne veux pas y revenir... Cette scène... Je ne pourrais pas la décrire. C'était insupportable. C'était la dernière fois que je voyais ma famille. Ils sont montés dans les wagons. Destination : solution finale. (Silence. Monsieur Weismann a les yeux humides...)

(Mais il poursuit). On nous avait dit : « Vous reverrez vos parents dans une semaine au plus tard. » Moi, je ne voulais qu'une chose : retrouver ma famille. Mais, à ce moment-là, la raison ne fonctionne plus. Et, du moment où j'ai été arraché aux miens, j'ai décidé de m'évader. Je me suis mis en quête d'un compagnon. Et j'ai rencontré Joseph. Mon « copain Jo », qui avait mon âge. On a fait une première tentative qui a lamentablement échoué. Puis une deuxième, le surlendemain. Nous avons mis des heures à traverser les rouleaux de barbelés. Aujourd'hui encore, j'ignore si le gendarme du mirador dormait ou s'il n'a pas voulu nous voir...

Arraché aux siens

Nous avons couru dans les bois où nous avons passé trois nuits. Grâce aux 300 F que j'avais récupérés - et lavés -, nous avons pris le bus puis le train pour Paris. Là-bas, nous nous sommes séparés. Je suis allé chez un ami de mon père qui tenait un bistrot hôtel dans une petite rue voisine de notre ancien appartement. Je lui ai raconté notre histoire. Il m'a donné une soupe et m'a emmené chez une dame, sur la butte Montmartre. Il ne pouvait pas me garder parce que la police venait régulièrement dans son établissement. Alors j'ai été placé dans un orphelinat, rue Lamarck. Comme ça devenait dangereux pour moi, on m'a sorti de Paris. C'est comme ça que je suis arrivé dans la Sarthe. À Pont-de-Gennes exactement (près du Mans).

J'ai été placé chez une lavandière avec deux petites juives, Judith et Léa. Nous sommes restés là jusqu'à la fin de la guerre.

La guerre finie, on nous a conduits dans un orphelinat, au Mans, rue de l'Éventail. C'est là qu'une dame est venue me chercher. Je les voyais le week-end, elle et son mari. Un jour, je leur ai demandé de me garder avec eux. Ils ont accepté. Je n'étais pas très doué pour les études (même si j'ai eu mon certificat d'études), mais je me débrouillais bien dans la vente. J'ai fait carrière dans leur magasin de meubles.

Longtemps, j'ai cru que je reverrais mes parents et mes soeurs. Cela n'a plus été le cas, après mon service militaire en 1951. Je suis resté au Mans. La France est mon pays. Un pays que j'aime et que je respecte. Je n'ai jamais pensé à partir. S'il y a un combat à mener, c'est ici qu'il faut le faire. Ma grande frustration, c'est que les trois principaux responsables de la rafle du Vel d'Hiv' n'ont pas été condamnés pour ce qu'ils avaient fait. Deux d'entre eux sont morts riches. Et Bousquet a été assassiné en 1993, juste avant d'être jugé pour crimes contre l'humanité.
« Alors mon petit Robert, écoutez bien le conseil d'un père !
Nous devons bâtir notre vie de façon à éviter les obstacles en toutes circonstances.
Et dites-vous bien dans la vie, ne pas reconnaître son talent, c'est favoriser la réussite des médiocres. »
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Michel Audiard

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Re: [Témoignage] - Joseph Weissmann : La Vie après les Morts

Nouveau message Post Numéro: 2  Nouveau message de Prosper Vandenbroucke  Nouveau message 25 Sep 2011, 15:19

Bonjour et merci pour ce témoignage mon cher Fred.
C'est vraiment très poignant et intéressant.
Je pense que Hilarion peut mettre cela dans le "Centre de documentation." ou dans la "Bibliothèque du forum".
Amicalement
Prosper ;)
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