Bonjour Betacam,
Je prends connaissance tardivement de ce message et du site auquel ton lien renvoit. Trouvées dans "The Origins of the Final Solution", de C. Browning, j'ajoute ces quelques précisions, afin de replacer cet article dans 1 perspective plus large.
En septembre-octobre 1941, la SS, sous l'impulsion de Heydrich, s'était engagée dans l'évaluation de plusieurs méthodes de gazage de prisonniers/débiles-handicapés/juifs. L'une était celle du CO en bonbonnes, introduit dans des camions hermétiques; une autre était celle des mêmes camions mais avec introduction directe des gaz d'échappement enrichis en CO, et la 3ième était le Zyclon B, nouvellement utilisé à Auschwitz. Rudolph Höss, commandant du camp, relate dans sa déposition que ces tests s'y sont déroulés dans plusieurs bâtiments du Stammlager (Auschwitz I), dont le Crematorium I, aménagé pour la cause en chambre à gaz et utilisé pour la 1ère fois le 16 septembre. Ces tests portaient initialement sur des POW russes malades, mais aussi sur des petits contingents de Juifs. Mais au départ, leur objectif n'était pas de perfectionner l'extermination en temps que telle. Ils représentaient une tentative d'extension aux camps de concentration du programme d' "euthanasie" (Aktion 14f13) déjà en application à l'encontre de tous ceux, malades ou handicapés, qui ne pouvaient fournir de travail utile. A l'évidence, l'abandon en cours des centres d'euthanasie dédiés, et l'afflux de POW russes, ne pouvaient que motiver l'hiérarchie concentrationnaire à trouver des moyens d' "euthanasier" sur place. D'où les camions, d'où le Zyclon. Et les résultats probants obtenus au Crematorium I devaient imprimer une dynamique propre au développement de cette méthode.
Le 1er octobre 1941, un certain Karl Bischoff, responsable des constructions à Auschwitz, reçu la mission de déployer un 2ième camp, à Birkenau. L'effectif prévisonnel de 100 000 prisonniers russes dépasserait naturellement la capacité de crémation au Stammlager, et c'est pourquoi Bischoff prit contact avec la société Topf & fils, qui avait déjà équipé plusieurs autres camps SS de crématoires.
...Il équipera progressivement les cinq crématoires d'Auschwitz-Birkenau de fours d'incinération de sa conception...
Le représentant de Topf, le fameux Kurt Prüfer, rencontra Bischoff à Auschwitz les 21-22 septembre, et lui fournit des plans pour 1 nouveau design, mais toujours destiné au Stammlager. Toutefois, les plans de l'installation montrent qu'il ne s'agissait pas seulement d'accroître la capacité de crémation, mais d'exploiter le concept qui venait d'être expérimenté avec succes dans le Crematorium I existant: la juxtaposition dans 1 même structure, du crématoire, et de locaux de gazage. Les plans de ces locaux nouveaux comportaient en effet 2 particularités, étrangères à l'opération de crémation proprement dite: d'une part ils étaient pourvus d'installations de ventilation forcée (insufflation et evacuation), et d'autrepart, les gaines de ventilation, en métal léger, étaient noyées dans les murs et recouvertes de maçonnerie, afin d'être protégées des violences agoniques des mourants.
...La mise au point par Kurt Prüfer, et l'ingénieur Schultze, spécialiste de la désaération, d'un crématoire à très forte capacité lui permet d'enlever le «marché du siècle», à savoir les «Krematorien» II, III, IV et V d'Auschwitz...
Il s'agit donc bien d'installations intégrées, de gazage et de crémation, ce dont Prüfer et la société Topf étaient parfaitement conscients. Toutefois - mais ceci est 1 autre histoire - la construction de cette installation unique, à Auschwitz I, n'établit pas à elle seule qu'il s'agissait déjà d'1 début d'extermination au sens de la Solution Finale. Cette installation ne s'adressait qu'à l'élimination des détenus, d'Auschwitz I et bientôt II et de ses camps satellites, incapables de travailler, sans avoir à les transporter ailleurs. Mais ce que révèle cette étape est la prise de conscience des potentialités du gazage à grande échelle couplé à la crémation immédiate. Ce concept sera bientôt étendu à d'autres camps dont Auschwitz II, et donnera lieu aux 4 sites d'extermination, fonctionnant selon les mêmes principes, mais avec du CO plutôt que le Zyclon.
Voilà le sens qu'il faut donner à la visite de Kurt Prüfer à Auschwitz, en septembre 1941. Un des instrumentistes de l'extermination industrielle. Un tout petit rouage, mais un rouage essentiel.
Bien amicalement, et désolé pour la remontée tardive du fil,
Alain