bonjour,
A la vue de cette image, je me demande dans quel état d'esprit étaient ces hommes qui ont "nettoyé" les camps. Comment ont-ils intégré cette horreur? Quel fut leur avenir?
Merci de vos réponses.
Pierre
Le cauchemar a une odeur. Et le caporal-chef Philippe Guillaumot la connaît. Une odeur collante, lourde et âpre, mélange écoeurant de maladie, de mort et de feu de bois humide. Pour s'en débarrasser, Philippe a tout essayé. Il a pris des milliers de douches, s'est savonné, frotté, raclé, rincé à l'eau de Javel, en vain. Il a mis le feu à ses tenues militaires et à son linge de corps, rien n'y a fait. « J'aurais aimé me brûler moi-même... » Douze ans après sa mission à la frontière du Rwanda, il lui suffit de fermer les yeux pour la respirer, collée à sa peau, sa gorge, son cerveau.
Bien ancrée à l'intérieur de lui, indélébile. Pendant des années, dès qu'il s'endormait, son gosse unique serré dans ses bras, il se retrouvait aussitôt au volant d'un engin militaire de chantier, dans cette bananeraie de Goma, le corps ballotté au rythme des coups de pelle de son tracto-chargeur, à pousser des montagnes de cadavres boursouflés vers la fosse commune. Dans ces moments-là, tout lui revient, la chaleur humide de l'Afrique, l'odeur infecte et la nausée qui le submerge. Alors, il se réveille en sueur avec la sensation d'être sale, affreusement sale, jusqu'au plus profond de son être. Et il vomit. Le 15 août 1994, de retour chez lui, à Sausset-les-Pins, des feux d'artifice éclatent dans le ciel de Provence. Quand son épouse entre dans la chambre, elle trouve Philippe, colosse de 97 kilos, aplati sous le lit, à moitié nu, tremblant, les yeux écarquillés, son casque militaire sur la tête. Il hurle : « Cache-toi, vite !
Tous à l'abri ! » Elle le secoue, le gifle. Il se remet, explique : « Sarajevo, Rwanda... Tout s'est mélangé. J'ai cru à un bombardement au mortier. » Il pleure : « Pardonne-moi ! » Elle travaille dans un hôpital et comprend : « Philippe, depuis ton retour, ça ne va plus. Tu dois voir un médecin. »
Cette douleur est une maladie, parfois incurable, et elle porte un nom, « névrose traumatique de guerre », un peu technique pour parler de l'effroi des hommes. C'est une blessure profonde, aussi grave qu'un membre amputé, un ventre déchiré, un visage emporté. Plus, peut-être, parce qu'elle mutile l'en dedans d'un homme, ses sentiments, sa mémoire, sa perception du monde. Il en souffre, à chaque
minute de sa vie, jour et nuit.
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