Post Numéro: 1 de LENEVETTE Roger 21 Avr 2009, 17:27
Je viens de résumer ce témoignage hors du commun, lequel était d'une quinzaine de pages à l'origine. Ginette Lion s'appellerait maintenant Ginette Clément.
Ce témoignage a sa place ici.
Amitiés à tous
Roger
Ginette Lion ou l'histoire d'un destin hors du commun
Ginette LION a 12 ans en 1940. A cette époque, la France est divisée en deux : les pétainistes et les gaullistes, les « collabos » et les résistants.
Le maréchal PETAIN instaure de nombreuses lois contre les juifs :
Ils sont exclus des hôpitaux, des métros, des cinémas, des restaurants :
« Interdit aux chiens et aux juifs ».
Les parents de Ginette entrent dans la résistance dès 1942 : ils hébergent et cachent des juifs alors qu’en France la résistance s’organise avec notamment trois grands groupes : les Francs-Tireurs et Partisans, Combat et Libération.
La maison des LION est un vrai « nid » de résistants. Le père effectuait des missions cachées, Ginette et sa sœur cherchaient de nouveaux foyers pour accueillir les résistants. En contrepartie, ceux-ci leurs donnaient des tickets de ravitaillement qu’ils avaient volés dans des mairies ou ailleurs. Les juifs, à cette époque, n’ont pas accès aux études mais Ginette arrive cependant, grâce à une connaissance, à suivre des études de secrétariat et trouve un emploi dans une entreprise.
Le matin du 27 janvier 1944, elle se rend au travail en compagnie de sa sœur ne se doutant pas que ce jour-là va avoir lieu une rafle dans leur ville à Troyes. Ses parents sont arrêtés puis déportés à Drancy. Ils prendront ensuite, le 1O février 1944, le convoi 68 comme 1 500 personnes en direction d’Auschwitz où 1 229 personnes seront gazées le 13 février.
Ginette et sa sœur échappent de peu à la milice ce jour-là.
Deux possibilités s’offrent alors à elles : partir pour le Sud vers la France libre pour aller chez leur oncle ou entrer dans la résistance active au côté des francs-tireurs. Par patriotisme autant que par désir de vengeance, elles n’hésitent pas longtemps et deviennent des résistantes actives.
Elles prennent le statut d’agent de liaison, c’est-à-dire de messagers clandestins entre les différents chefs de la Résistance. Déjà, très souvent, elles avaient eu l'occasion d'aider leur père à trouver des foyers susceptibles d'accueillir ces pensionnaires
Lors de leurs passages, fréquemment les résistants faisaient le point sur la situation avec des informations que ne connaissait pas le grand public et qui étaient de plus en plus alarmantes pour le milieu juif. Arrestations, rafles, déportations vers des camps sans en connaître la nature exacte. Ces hôtes laissaient souvent des feuilles de tickets d'alimentation, résultats de leurs opérations.
Les deux soeurs font le choix offert par leurs amis résistants, autant par patriotisme que par le désir de venger leurs parents. Il leur faut de fausses cartes d'identité et quelques transformations physiques. L'une devient blonde et l'autre, Ginette aile de corbeau. Leurs amis résistants leur seront d'un grand secours.
Après l'arrestation des parents, elles fuient la ville de leur enfance par un train remontant sur Paris espérant se réfugier provisoirement chez une tante qui les accueille froidement et leur fait comprendre qu'elle ne veut pas prendre le risque de les héberger.
Très rapidement elles fuient cette maison peu hospitalière pour se réfugier dans un hôtel proche de la gare de Lyon, rue de Châlon, qui est le point de ralliement pris avec "Pierre" chef de réseau Franc-Tireur-et-Partisan, lequel venait souvent chez les parents (de son vrai nom Paul Rochet).
Elles vivent désormais dans la clandestinité : elles ne portent plus l’étoile jaune, changent d’identité, Ginette s’appelle désormais Annick. Elles reçoivent une formation et quelques conseils de prudence avant d'être intégrées dans le groupe, placé sous la direction du colonel Ouzoulias, qui dirigeait le secteur de Côte d'Or, Saône-et-Loire et Bretagne.
La première mission d’Annick a lieu à Paris : elle doit transporter une valise remplie d’armes et de faux papiers. Annick ne peut s’empêcher d’éprouver une certaine satisfaction lorsque des soldats allemands l’aident à porter sa valise dans le métro.
Les moyens de transport étaient très aléatoires et dans des endroits impossibles. Tantôt par le train ou a vélo, et bien souvent à pied.
- " Une nuit en Saône-et-Loire à Montceau-les-Mines, chez un mineur résistant, j'ai
entendu brusquement à quatre heures du matin, la Gestapo envahir la maison. On m'avait fait dormir dans la chambre de la petite fille de la famille qui devait avoir 10 ans environ. Nous nous sommes cachées dans un placard, ma main comprimant sa bouche pour étouffer ses sanglots. Au bout d'une heure, nous sommes sorties. Plus un bruit, toute la famille avait été arrêtée. J'ai alors emmené la petite dans une maison voisine chez sa sœur, et à pied, depuis Montceau, j'ai rejoint Le Creusot, afin de prendre un bus pour Dijon. Au Creusot, j'ai appris qu'une quarantaine de résistants avaient été arrêtés. Je l'avais échappé belle, mais je n'avais plus un sou. Heureusement des commerçants acquis à notre cause m'ont donné un peu d'argent pour continuer mon voyage. "
Après ces arrestations, plus question pour le moment d'aller en Saône et Loire. A Dijon, j'ai tout de suite foncé chez "Germain" chef de réseau, pour retrouver un contact. Il prit la décision de m'envoyer en Bretagne pour y retrouver "Maurice" chef de secteur dans cette région.
La pensée d'être arrêtée était souvent présente et plus encore la perspective d'être torturée et de savoir si l'on tiendrait le coup.
La Bretagne était un centre très actif de la Résistance, et les missions ne manquèrent pas. Brest, Quimper, Saint-Brieux et de nombreux petits villages où l'on parlait plus le Breton que le Français. J'avais souvent des rendez vous en bord de mer, et je me souviens des pittoresques marchés au poisson, où des bretonnes qui portaient encore la coiffe bigouden, venaient faire leurs achats. Je me souviens aussi chez les gens qui m'hébergeaient de ces lits clos pittoresques et typiquement bretons. Les bretons étaient des gens patriotes et très accueillants. Je n'ai pas eu de mal à trouver des planques. C'est en Bretagne que j'ai rencontré à deux reprises le colonel Fabien, qui n'était pas encore connu mais qui était notre chef. Je me souviens très bien qu'il était habillé en prêtre, avec une longue soutane noire, qui le faisait paraître très grand.
Mes missions en Bretagne furent nombreuses, et il serait fastidieux de les énumérer toutes. C'était toujours le même processus : transport de plis ou de valises qui contenaient, soit de l'argent, soit des documents, soit des armes, tout cela avec souvent la peur au ventre de tomber dans un piège
Le 31 mai 1944, alors qu’elle rentre de Normandie où elle était allée retrouver un résistant pour lui transmettre des papiers, elle est littéralement kidnappée par deux hommes en civil qui l'emmène au quartier général de la Milice française (les Franc-Gardes), compagnie particulièrement répressive.
Dirigée rapidement dans le bureau du commandant, le lieutenant Di Constanzo, je suis dévêtue, et l'on découvre sur moi les précieux documents que je transportais. Je ne pouvais donc à ses yeux, qu'être qu'un agent de liaison d'un réseau de résistance
Commencent alors les interrogatoires, suivis bientôt des premières tortures qui furent menées en particulier par Di Constanzo lui-même, par Schwaller puis par le sanguinaire Daigre, ancien métallo communiste de Suresne. Le lieutenant Di Constanzo hurlait avec des expressions telle que : " Je vais te faire pisser le sang ", " Vomir tes boyaux " et d'autres encore bien plus imagées.
Le sinistre Schwaller, une fois la besogne de tortionnaire terminée, avait l'immense culot de me demander alors que j'étais encore semi inconsciente : " Me serreras tu tout de même la main si l'on se rencontre après la guerre " ?
Avec le même culot, je lui répondis : " Vous ne serez plus en vie après la guerre "
L'histoire m'a donné heureusement raison
Ginette "Annick" va alors connaître la torture durant trois semaines : supplice de la goutte d’eau, de la dynamo. Elle ne dira pas un mot. Le seul nom qu’elle révélera c’est le sien, son vrai nom. Elle est ensuite emprisonnée puis condamnée à mort. Mais la prison est bombardée. Les détenus prennent alors le train, entassés dans des wagons de bestiaux, en direction de Belfort.
Le maréchal Pétain en personne, est venu leur souhaiter un bon voyage alors qu’ils prenaient le train en direction de Ravensbrück.
« Laissez toute espérance vous qui entrez ici ».
Ginette va découvrir l’horreur des camps de concentration. D’abord mise en quarantaine plusieurs jours sans boire ni manger, elle va ensuite travailler 12 heures par jour à « combler des marais ». La faim, le froid, les humiliations, les maladies : Ginette essaie tant bien que mal de survivre.
Certaines des déportées subissent des expériences médicales : injection de virus, avortement, jeûne et pire…
Fin 1944, les détenus les plus solides, dont Ginette fait partie, sont transférés dans un autre camp près de Buchenwald, Schlieben, où ils vont fabriquer des grenades pour les Allemands.
Le 21 avril 1945, la cavalerie russe arrive pour libérer les camps.
Ginette rentrera en France le 25 mai 1945 où elle retrouvera sa sœur qui la croyait morte. Neuf membres de leur famille n’ont pas survécu.
Le retour à la réalité est difficile, certains membres de la famille lui reprocheront même d’être revenue alors que ses parents sont morts.
Comment raconter tant d’horreur et de barbarie à des gens qui fêtent la libération de la France ?
Comment faire comprendre de quoi l’homme est capable ?
Ginette mettra 40 ans avant de pouvoir évoquer ces souvenirs douloureux, les souvenirs d’une jeunesse marquée par la cruauté humaine.
A 17 ans, Ginette avait déjà connu la résistance et la déportation… 60 ans plus tard, elle en parle encore avec beaucoup d’émotion. Et si elle évoque cette période si douloureuse de sa vie, c’est pour nous, pour nous rappeler qu’il faut toujours rejeter toute forme d’extrémisme, de racisme, d’antisémitisme car l’histoire a montré que l’homme est capable du pire…