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L'opération Reinhardt

De l'opération T4 à la solution finale, la dictature nazie atteint un degré d'horreur jamais atteint dans l'histoire moderne. Juifs, homosexuels, communistes, dissidents, Tziganes, handicapés sont euthanasiés, déportés, soumis à des expériences médicales.
MODÉRATEUR : Gherla, Frontovik 14

L'opération Reinhardt

Nouveau message Post Numéro: 1  Nouveau message de Petit_Pas  Nouveau message 16 Mar 2009, 22:26

L’opération Reinhardt

Genèse de l’opération

Le 24 janvier 1939, Hermann Göring confie à Reinhardt Heydrich, chef de l’Office central de sécurité du Reich, « la tâche de résoudre la question juive par le moyen de la migration ou de l’évacuation de la façon la plus avantageuse. » Puis, le 31 juillet 1941, alors que les Einsatzgruppen (unités mobiles d’extermination) oeuvrent déjà sur les arrières du front russe, Göring modifie les termes de la mission confiée à Heydrich : « je vous charge, étant donné les conditions actuelles, d’effectuer tous les préparatifs de nature organisationnelle, pratique et matérielle en vue d’une solution globale de la question juive dans la sphère d’influence allemande en Europe. »

L’opération Reinhardt (ainsi nommée au départ en référence au secrétaire d’État aux finances Fritz Reinhardt, elle gardera ce nom après juin 1942 en souvenir d’Heydrich assassiné par des partisans tchèques) vient de voir le jour près de six mois avant la tenue de la conférence de Wannsee.

Bien que ses modalités restent floues, cette opération consiste ni plus ni moins qu’à rendre les territoires sous contrôle allemand « judenrein » (libre de Juifs). Les territoires concernés sont ceux du Gouvernement général qui, placés sous un gouvernement civil allemand, constitue une partie autonome de la « Grande Allemagne ». Le Gouvernement général couvre les districts de Varsovie, Lublin, Radom et Cracovie puis, à partir d’août 1941, le district de Galicie orientale occupé jusque là par l’Union soviétique.

La direction de l’opération est confiée par Heinrich Himmler à Odilo Globocnik, général SS à la tête du district de Lublin, très certainement au cours de l’été 1941. En effet, lors de son procès à Jérusalem, Adolf Eichmann déclarera que Heydrich lui avait confié, deux ou trois mois après l’invasion de l’Union soviétique, que Hitler avait ordonné l’extermination des Juifs, avant de lui ordonner : « Rejoignez Globocnik. Le Reichsfürher lui a donné des instructions explicites. Allez constater où il en est de sa démarche. » Par ailleurs, Christian Wirth, commissaire de police et l’un des responsables de la mise en œuvre de la politique d’euthanasie des handicapés et malades mentaux dans le Reich (programme T4), est muté à la fin de l’été 1941 dans un institut d’euthanasie dans le district de Lublin où il est rapidement rejoint par d’autres membres du programme d’euthanasie interrompu par Hitler au mois d’août.

Organisation de l’opération

Afin de mener à bien l’opération Reinhardt, Globocnik établit deux organismes distincts : le premier, l’Einsatzstab (groupe d’intervention Reinhardt) installé à Lublin et placé sous la direction du commandant SS Hermann Hoefle, surnommé « le petit Eichmann », doit coordonner la déportation des Juifs par voie ferroviaire depuis les ghettos où ils sont regroupés jusqu’aux centres de mise à mort. Le second, sous la direction de Wirth, est chargé de la construction de trois centres de mise à mort, Belzec, Sobibor et Treblinka, et de l’extermination proprement dite.

Wirth est secondé dans sa tâche par une centaine de SS ayant pratiquement tous collaboré au programme T4, dont les plus connus sont Franz Stangl, Irmfried Eberl ou Kurt Hubert Franz. En fait, l’essentiel de l’organisation de l’opération Reinhardt relève du service T4 qui fournit les ouvriers pour la construction des centres de mise à mort, les fonctionnaires chargés de l’inspection de ces centres, paye les salaires, organise le ravitaillement et la distribution du courrier pour le personnel allemand des équipes des camps qui lui adressent requêtes et demandes de congés. Pour être intégré à l’opération Reinhardt, ces hommes doivent signer dans le bureau de Hoefle un engagement de respect du secret : interdiction de parler de quoique ce soit même lorsque l’opération sera terminée, interdiction de prendre des photographies, interdiction de se laisser corrompre. Cependant aucune peine encourue en cas de non respect de cet engagement ne figure dans les documents et des témoignages montrent que ces consignes ne sont pas toujours respectées. Enfin, il semble que la participation à l’opération Reinhardt relève d’un acte volontaire. Ainsi, Franz Stangl, commandant de Sobibor puis de Treblinka, expliquera plus tard qu’il aurait pu choisir d’aller à Lublin mais, comme il avait aucune idée de ce qui l’attendait, il avait accepté de rejoindre Sobibor.

À côté de ces SS, on trouve également le Sonderdienst (service spécial) composé d’unités d’Allemands « ethniques » mobilisés et entraînés après la conquête, ainsi que les Trawnikis, groupe d’auxiliaires volontaires (Hilfswillige ou Hiwis) recrutés dans les régions frontalières de l’Union soviétique, parmi les prisonniers de guerre ukrainiens, lettons et lituaniens entraînés dans le camp SS de Trawniki, d’où leur nom. Ils sont tous anticommunistes et sont presque toujours antisémites.

Vont également intervenir de façon plus ou moins régulière et à différents niveaux, des policiers, et notamment ceux du 101e bataillon de réserve de la police (Ordnungspolizei) qui exécutent plusieurs massacres (fusillades de masse à Jozefow, Lomazy, Serokomla et Talcyn) et encadrent les déportations des ghettos vers les centres de mise à mort, des soldats de la Wehrmacht, des cheminots ainsi que des agents de l’administration centrale en charge de la déportation.

Les centres de mise à mort

Les constructions des centres de mise à mort commencent en novembre 1941 pour Belzec, mars 1942 pour Sobibor et avril de la même année pour Treblinka. Deux critères interviennent dans le choix de la localisation de ces centres : le premier est basé sur une répartition régionale du travail d’extermination : Belzec a en charge le sud de l’ancienne Pologne, Sobibor la région de Lublin et l’est du Gouvernement général et Treblinka le centre du pays et le grand ghetto de Varsovie. Le second critère prend en compte les voies ferrées disponibles pour acheminer les convois depuis les ghettos.

Belzec entre en fonction le 17 mars 1942, Sobibor en mai et Treblinka en juillet de la même année. C’est ainsi que le 27 mars 1942, Goebbels note dans son journal personnel : « Les juifs du Gouvernement général sont à présent évacués à l’Est. La procédure est assez barbare et ne saurait être décrite ici de façon plus précise. Il ne restera pas grand-chose des juifs. Globalement, on peut dire qu’environ 60 pour cent d’entre devront être liquidés alors que 40 pour cent peuvent être utilisés pour le travail forcé. »

La procédure en question est simple : les victimes, amenées par trains, sont presque toutes assassinées dès leur arrivée au centre dans des chambres à gaz fonctionnant au monoxyde de carbone généré par des moteurs. Quelques juifs sont sélectionnés à leur arrivée pour travailler à nettoyer les wagons et à vider les cadavres des chambres à gaz avant de les faire disparaître. Après quelques semaines de ce macabre labeur, ils sont assassinés à leur tour et remplacés par de nouveaux arrivants.

Au début, les « rendements » des chambres à gaz ne sont pas à la hauteur des exigences des bourreaux. En effet, les experts du programme T4 sont débordés par l’ampleur de l’opération Reinhardt et ils cherchent comment organiser et mettre en œuvre techniquement l’extermination de masse des juifs du Gouvernement général. Par ailleurs, Globocnik, impatient de déporter un maximum de juifs du nord du district de Lublin et des districts de Varsovie et de Radom, surcharge le camp de Treblinka qui, ne pouvant plus fournir, voit ses convois suspendus du 28 août au 3 septembre 1942 pour permettre la réorganisation du centre. Les problèmes techniques sont peu à peu réglés au fur et à mesure que l’expérience progresse et le massacre se poursuit de plus belle.

La fête de la moisson (Erntefest)

À l’automne 1943, suite aux soulèvements dans les centres de Treblinka (août 1943) et de Sobibor (octobre 1943) et aux résistances armées dans les ghettos de Varsovie (avril 1943), Bialystok (août 1943) et Vilno (septembre 1943), les SS craignent de nouvelles révoltes menées par les juifs survivants qui étaient soumis au travail forcé dans les camps de concentration de Trawniki, Poniatowa et Maïdanek. Himmler planifie personnellement et ordonne au SS Friedrich Wilhelm Krüger, alors responsable du Gouvernement général, l’élimination de tous les juifs survivants du Gouvernement général dans le cadre d’une opération minutieusement préparée et baptisée Erntefest, la fête de la moisson.

Fin octobre, des prisonniers des camps de Trawniki, Poniatowa et Maïdanek sont chargés de creuser des tranchées à l’extérieur des camps qui semblent destinées à la protection antiaérienne. Puis le 3 novembre à l’aube, alors que les camps sont encerclés par des unités de SS (2.000 à 3.000 SS sont acheminés à Lublin d’Auschwitz, de Poznan et de Kaliningrad) et de la police, les 18 000 juifs de Maïdanek et les 10 000 juifs de Trawniki sont contraints de sortir des camps par groupes de 100 et abattus dans les fosses tandis que de la musique est diffusée par haut-parleurs pour masquer le bruit du massacre. Le lendemain, par manque de main d’œuvre, les 14 000 juifs de Poniatowa connaissent le même sort toujours au son de la musique.
Au total, la fête de la moisson, la plus importante opération de massacre de masse de Juifs de toute la guerre, fait 42 000 victimes.

Bilan

Le 4 novembre 1943, Globocnik, qui se trouve à Trieste, écrit à Himmler pour l’informer qu’il a terminé le 19 octobre 1943 l’opération Reinhardt et il lui fournit un premier document de synthèse sur le bilan économique de l’opération. Ces comptes montrent que l’opération Reinhardt a rapporté au Troisième Reich dès l’été 1942 : près de 50 millions de Reichsmarks en billets, devises, pièces et bijoux ; environ 1 000 wagons de textile, dont 300 000 vêtements neufs. Ces comptes, sous-évalués, ne font mention ni des biens spoliés aux juifs avant leur déportation, notamment les biens mobiliers, ni des biens volés aux déportés par les gardes lors de leur arrivée dans les centres de mise à mort.

Un décompte final daté du 5 janvier 1944 donne les valeurs suivantes :
Argent collecté : ___________73 852 080,74 RM
Métaux précieux : ___________8 973 651,60 RM
Devises en billets : __________4 521 224,13 RM
Devises en pièces d’or : ______1 736 554,12 RM
Bijoux et valeurs diverses :___43 662 450,00 RM
Textiles : _________________46 000 000,00 RM
Total : __________________178 745 960,59 RM

L’opération Reinhardt doit prendre fin en décembre 1942 mais les derniers gazages ont lieu à Treblinka en novembre 1943. Malgré les problèmes d’organisation du départ, le bilan meurtrier des centres de mise à mort de l’opération Reinhardt est accablant : en 20 mois, entre 1 450 000 et 1 700 000 juifs polonais, néerlandais, français, grecs de Trace et de Macédoine sont assassinés ainsi que 50 000 roms des cinq districts du Gouvernement général auxquels s’ajoutent les 42 000 victimes de l’Erntefest. C’est en fin de compte l’action la plus meurtrière de toutes celles menées dans le cadre de la « Solution finale de la question juive en Europe ».

Sources

Dictionnaire de la barbarie nazie et de la Shoah de Daniel Bovy
Des hommes ordinaires. Le 101e bataillon de réserve de la police allemande et la Solution finale en Pologne de Christopher R. Browning
Encyclopédie multimedia de la Shoah : http://memorial-wlc.recette.lbn.fr/fr/
B&S Encyclopédie : http://www.encyclopedie.bseditions.fr/index.php
United States Holocaust Memorial Museum : http://www.ushmm.org/
Dernière édition par Petit_Pas le 28 Mar 2009, 21:49, édité 1 fois.


 

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Re: L'opération Reinhardt

Nouveau message Post Numéro: 2  Nouveau message de Prosper Vandenbroucke  Nouveau message 16 Mar 2009, 22:52

Bonsoir et grand merci pour cet article très intéressant Nathalie.
Du beau travail
Amicalement
Prosper ;)
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Re: L'opération Reinhardt

Nouveau message Post Numéro: 3  Nouveau message de hell on wheels  Nouveau message 17 Mar 2009, 00:02

MErci PEtit_PAs pour cet article très intéressant et instructif. Je dirais même plus, un tel talent devrait être utilisé dans nos colonnes de l'Histomag.
Ce n'est pas une idée en l'air ma chère ....

Amitiés

How


 

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