Post Numéro: 3 de Nicolas Bernard 16 Aoû 2007, 14:23
Canaris n'a pas participé à la tentative de coup d'Etat du 20 juillet 1944. A cette date, il n'était politiquement plus rien, ayant été chassé de l'Abwehr, le service de renseignements militaires qu'il dirigeait, en février 1944. Son organisme avait été attribué au SicherheitsDienst de son homologue S.S. Walter Schellenberg. Canaris avait été sanctionné pour incompétence : les échecs répétés de l'Abwehr (incapable de prédire le débarquement d'Anzio en janvier 1944), le passage à l'Ouest de l'un de ses plus importants officiers en poste à Istanboul, la liquidation prochaine de son réseau d'espionnage en Espagne, avaient poussé Hitler à s'en débarrasser, ce d'autant qu'il éprouvait des difficultés à le juger fiable politiquement.
Canaris avait certes "couvert" les activités antinazies de ses subordonnés, lesquels avaient transmis aux Alliés des informations sensibles. Il avait conservé des contacts à l'étranger, contacts qui pouvaient servir les desseins de la conjuration, désireuse de s'entendre avec l'Ouest (ou, pour une minorité, l'Est) pour se retourner contre l'autre ennemi. Il avait été informé des préparatifs de l'attentat organisé par le colonel Klaus von Stauffenberg contre Hitler, qui finit par survenir le 20 juillet 1944 au G.Q.G. de Hitler. Mais il avait refusé de s'y impliquer davantage, et il réalisa vite que le putsch menait à l'échec. Il ne tarda pas à féliciter le dictateur d'avoir survécu à l'explosion de la bombe, le jour même à 18 heures.
Mais l'enquête menée par la Gestapo fit tomber les conjurés l'un après l'autre. Un haut responsable S.S., le Oberst Georg Hansen, membre du complot, avait été arrêté et dénonça Canaris sous la torture. Trois jours après l'attentat, Schellenberg en personne vint arrêter Canaris. Les témoignages (obtenus par torture) l'accablaient, mais le coup fatal lui fut porté par la découverte, le 22 septembre 1944, de la totalité des archives de la conspiration - lesdits conspirateurs ayant pris la peine de coucher leurs projets par écrit, et de conserver ces documents !
Canaris se défendit avec acharnement, niant en bloc les accusations de trahison. Soit que ses dénégations parussent convaincantes, soit que Hitler éprouvât le besoin de le garder en vie pour ne pas perdre le contact avec les Anglo-Saxons en vue de négocier un éventuel accord avec eux, il ne fut pas déféré au sinistre Volksgericht (Tribunal du Peuple) chargé de juger les "traîtres du 20 juillet". Il fut enfin transféré le 7 février 1945 au camp de concentration de Flossenburg. Là encore, les S.S. parurent le laisser tranquille, puis le 8 avril 1945, ils organisèrent en catastrophe une parodie de procès qui s'acheva par sa condamnation à mort. Il fut pendu le lendemain, à l'aube.
Pourquoi cette hâte ? Hitler, Himmler tenaient évidemment à supprimer un témoin trop gênant de leurs activités. Comme Rommel, Canaris était un "traître" trop prestigieux pour survivre à la défaite. Surtout, au début du mois d'avril 1945, une preuve décisive du double-jeu de Canaris avait été mise à jour, la Gestapo ayant accidentellement mis la main sur les journaux personnels de l'amiral. Plus question pour ce dernier de s'attendre à la moindre clémence.
Sources : Heinz Höhne, Canaris. La véritable histoire du chef de renseigments militaires du IIIe Reich, Balland, 1981 - la meilleure biographie de ce personnage controversé. Sur Canaris, lire également Karl Heinz Abshagen, Le dossier Canaris, Chavane, 1949, et André Brissaud, Canaris. Le "petit amiral" prince de l'espionnage allemand (1887-1945), Perrin, 1970 et Presses Pocket, 1978, plus partiaux, et exagérant nettement l'antinazisme et les "exploits" de Canaris.
« Choisir la victime, préparer soigneusement le coup, assouvir une vengeance implacable, puis aller dormir… Il n'y a rien de plus doux au monde » (Staline).