Des délégués de 32 pays débattent à huis clos sur l'accueil des Juifs allemands ou autrichiens exilés. Très peu acceptent de les accueillir en plus grand nombre que de coutume. Des millions de pages ont été noircies pour dénoncer là un "manque de générosité". Dernièrement encore : https://www.francetvinfo.fr/monde/europ ... 4DZ6F22evg .
Or...
On dit souvent qu'il faut traiter les causes et non les conséquences. Dès lors, quelle signification peut bien avoir cette conférence consacrée au "problème des réfugiés" juifs allemands, sinon celle d'un oubli radical de ce sain principe ?
Cinq mois avant la nuit de Cristal, on entreprend de poser une rustine sur une chambre à air alors que le maître de l'Allemagne dispose de grands ciseaux pour la couper quand il le voudra. C'est ainsi que cette nuit de terreur amplifie considérablement le "problème des réfugiés".
L'article de France Info a raison sur un point : à Evian, il n'est pas question des causes. D'où une assimilation totale à la situation, de nos jours, des réfugiés syriens. Or ceux-ci sont poussés à l'exil par une situation de guerre, qu'il n'est certes pas facile aux négociateurs des grandes puissances d'abolir d'un trait de plume. Mais à Evian ? Un simple coup d'oeil sur les causes leur en aurait donné non seulement le droit, mais le devoir.
Les Juifs ne sont indésirables en Allemagne que parce qu'un gouvernement s'est arrogé brusquement le droit de trier ses ressortissants, sans la moindre esquisse de concertation internationale. Le monde s'était justement doté d'une instance compétente pour traiter des "minorités nationales", la Société des nations, en 1919. Le 30 janvier 1933, cette instance n'avait pas encore commencé à se discréditer en tolérant des agressions : cela allait commencer en mars suivant, quand la Société refusa de reconnaître la conquête de la Mandchourie par le Japon et que celui-ci la quitta en claquant la porte, sans encourir la moindre sanction. L'arrivée au pouvoir en Allemagne de l'auteur d'un livre traitant les Juifs de "bacilles", et prétendant qu'ils menaçaient la vie même de l'humanité, aurait dû, en bonne légalité, déclencher à Genève l'ouverture d'un dossier sur le sujet, et il n'en avait rien été.
Mais il n'est jamais trop tard pour bien faire : une conférence, en 1938, où les diplomates les plus réputés des pays les plus influents auraient solennellement affirmé que l'Allemagne n'avait pas le droit de pousser les Juifs à l'exil aurait posé à Hitler un sérieux problème et, probablement, porté un coup terrible à sa popularité. Laquelle, pour passer des 37% de son meilleur score électoral à une majorité incontestable, s'était précisément nourrie du fait qu'il défiait la communauté internationale sans encourir de sanctions.
Puisque cette conférence ne s'occupe que des conséquences, son résultat ne peut qu'accroître encore cette popularité et, ce qui est plus grave encore, la marge d'action de Hitler. Soit, en effet, les puissances décident d'accueillir largement les réfugiés, et il triomphe en disant que l'Allemagne doit, au sein d'une planète dominée par les Juifs, serrer les rangs autour de lui, soit elles maintiennent leurs restrictions et prouvent que cette "race" est indésirable partout. Ce qui advient.
Le fait qu'on puisse encore parler ainsi d'Evian montre la persistance de graves carences dans l'analyse du nazisme et dans la prise en compte de la diabolique habileté de son chef, atteint d'un dérangement mental qui n'obérait en rien ses facultés intellectuelles.