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Le nazisme : questions de méthode

Nouveau messagePosté: 06 Déc 2018, 12:18
de François Delpla
Nos discussions récentes sur Oradour, ou un peu plus anciennes sur, par exemple, l'arrêt devant Dunkerque, attirent l'attention sur le caractère très spécial du régime nazi et les limites d'une histoire écrite avec des méthodes classiques, particulièrement sur le plan militaire.

Sur Oradour, j'ai émis l'hypothèse, voici dix ans, dans Qui a tué Georges Mandel ?, que la prise en main personnelle de la division Das Reich, et de son chef Lammerding, par Himmler à Montauban le 11 avril 1944 prenait place dans les dispositions arrêtées par Hitler pour faire face au débarquement. Ce qui s'articule bien avec l'hypothèse que le massacre d'un gros bourg pas trop isolé, et pas résistant du tout, quelques jours après le débarquement et en fonction des réactions des Français, avait été alors envisagé. Le but étant de montrer à la population, ainsi qu'au soldat allemand, que le Reich allait défendre sa conquête française bec et ongles en appliquant à ceux qui auraient envie d'aider les libérateurs les traitements les plus brutaux. L'existence d'une hiérarchie parallèle confiée à Himmler, combinée avec celle d'une idéologie impitoyable, permettait de telles dispositions introuvables dans toute autre guerre.

J'ai creusé considérablement ce sillon dans le Hitler et Pétain sorti la semaine dernière, un travail qui m'a permis de voir que Hitler ne quittait pas la France ces yeux ni des actes : ce calculateur, plus que jamais, calcule.

Dans le débat récent, le scepticisme a viré à la négation pure et simple. Himmler serait allé à Thouars le 10 avril et n'aurait pas poussé plus loin. Un effort commun a permis de confirmer sa présence à Montauban le lendemain, cependant que mon contradicteur a attiré mon attention sur la présence, à Thouars, d'un familier de Hitler nommé Sepp Dietrich et surtout de Carl Oberg, qui va aussi le lendemain à Montauban. Il est particulièrement intéressant de constater que, lors de cette unique visite de Himmler en France (hors Alsace-Lorraine) en 1944, le chef des SS en France (HSSPF) le suit comme son ombre et peut s'imprégner de l'esprit que le plus proche collaborateur de Hitler insuffle aux défenseurs de la forteresse Europe au cours de cette équipée.

Dans ce genre de discussion, il arrive qu'on se jette à la tête un manque de documents, auquel l'interlocuteur suppléerait par l'imagination. Or il est vrai que les documents manquent, il est non moins vrai qu'il faut se garder de confondre hypothèse et fait établi mais il est tout aussi vrai qu'il est de mauvaise méthode de mettre bout à bout les rares documents pour prétendre que la vérité ne doit pas être cherchée ailleurs.

Re: Le nazisme : questions de méthode

Nouveau messagePosté: 06 Déc 2018, 14:21
de Dog Red
C'est une hypothèse séduisante qu'Oradour fasse partie d'une stratégie de terreur en réponse au Débarquement. Mais pourquoi dès lors un acte isolé, limité à la seule Das Reich ?

Re: Le nazisme : questions de méthode

Nouveau messagePosté: 06 Déc 2018, 14:35
de JARDIN DAVID
Ce fil est une excellente initiative ... en espérant qu'il ne va pas se perdre en pages 133-134 dans les méandres des imprécations des uns et des chiffres des autres. En effet :
François Delpla a écrit:attirent l'attention sur le caractère très spécial du régime nazi et les limites d'une histoire écrite avec des méthodes classiques, particulièrement sur le plan militaire.

Oui, cas spécial ! On peut élargir la question au cas de l'URSS et du comportement des mouvances communistes par exemple. Il y a beaucoup plus de documents et de témoignages directs du nazisme que du stalinisme d'ailleurs.
Passons donc au post-classicisme de l'histoire, mais sans pour autant s'affranchir de l'analyse des potentialités militaires et des réalités du terrain (organigrammes et autres ODB, bonjour Alain !). Sinon, ce n'est plus de l'histoire mais de la littérature.

François Delpla a écrit: j'ai émis l'hypothèse, voici dix ans, dans Qui a tué Georges Mandel ?, que la prise en main personnelle de la division Das Reich, et de son chef Lammerding, par Himmler à Montauban le 11 avril 1944 prenait place dans les dispositions arrêtées par Hitler pour faire face au débarquement.

Jusqu'ici c'est tout à fait séduisant : une hypothèse qui semble on ne peut plus logique. A moins qu'il ne soit venu pour lui parler de retourner en Russie je ne vois pas de quoi il pouvait lui causer.

François Delpla a écrit:Ce qui s'articule bien avec l'hypothèse que le massacre d'un gros bourg pas trop isolé, et pas résistant du tout, quelques jours après le débarquement et en fonction des réactions des Français, avait été alors envisagé.

C'est déjà moins bon ... Il semble acquis maintenant (voir les documents !!!) qu'il y avait des résistants à Oradour, contrairement au mythe. Pour reprendre la logique, il aurait été étrange que l'on n'en trouve pas et aussi que cette exception (fausse en réalité) ait pu être connue de la Das Reich qui arrivait dans le secteur. Je préfère la carte des exactions qui montre comment la (ré)pression monte au fur et à mesure du déplacement de la DR.
Ce qui est plus problématique, c'est que les documents montrent que la réalité résistante d'Oradour a été estompée volontairement. Cf le témoignage BORIE commenté par Michel BAURY ...

François Delpla a écrit:Le but étant de montrer à la population, ainsi qu'au soldat allemand, que le Reich allait défendre sa conquête française bec et ongles en appliquant à ceux qui auraient envie d'aider les libérateurs les traitements les plus brutaux. L'existence d'une hiérarchie parallèle confiée à Himmler, combinée avec celle d'une idéologie impitoyable, permettait de telles dispositions introuvables dans toute autre guerre.

Pourtant dès 1914, l'armée allemande régulière ne s'est pas embarrassée de conventions internationales et de l'ordre noir pour faire connaitre Gerbéviller : village brûlé, habitants mutilés et massacrés ... En général, la "com" était bien faite, ça se savait, surtout quant il fallait faire peser des menaces de répression. Voir également le cas des otages de 1941 en réponse aux attentats communistes. On ne peut pas dire qu'il y ait eu l'organisation d'une communication active allemande après Oradour. Ni même juste avant, au moment de la remontée de la DR.
Question : A Oradour, le cas est-il prémédité ? Je préfère : "jusqu'à quel point l'était-il ?".

François Delpla a écrit:J'ai creusé considérablement ce sillon dans le Hitler et Pétain sorti la semaine dernière, un travail qui m'a permis de voir que Hitler ne quittait pas la France ces yeux ni des actes : ce calculateur, plus que jamais, calcule.
Prochain fil de discussions fructueuses en vue ! Personne ne l'a récupéré ? Mon exemplaire est en cours d'acheminement, pour des raisons logistico-commerciales il est moins cher de se le faire livrer. Les mystères du prix inique du livre certainement. Pourtant ce n'est pas HH qui tire les ficelles ...

François Delpla a écrit:Il est particulièrement intéressant de constater que, lors de cette unique visite de Himmler en France (hors Alsace-Lorraine) en 1944
Ce n'est pas exact ! François, tu n'a pas bien lu les raisons qui me font attendre la prochaine livraison de l'agenda 1944 de HH . Et il y a aussi des décisions prises ... sans papiers en attestant !

François Delpla a écrit:l'esprit que le plus proche collaborateur de Hitler insuffle aux défenseurs de la forteresse Europe au cours de cette équipée.
Sur cette formulation on est bien d'accord. Pousser le moral à la hausse, donner carte blanche, rappeler que tous les moyens sont bons, qu'il ne faut surtout pas s'enquiquiner avec des procédures d'un autre temps ou du savoir-vivre décadent quand on doit tuer, etc etc, OK. On se doute bien que HH n'allait pas venir faire un exposé sur les Goth en vadrouille dans le sud-ouest et inventeurs méconnus du cassoulet. Mais aller jusqu'à indiquer AVANT le débarquement qu'il faut faire un exemple sur un bourg de taille moyenne, innocent, avec un tramway et qui donne à réfléchir ???? Alors que la logique nazie veut (ou voudrait !) que tout débarquement soit victorieusement repoussé par les sur-hommes en noir ? Ou que l'exemple soit judicieusement choisi.

François Delpla a écrit:Dans ce genre de discussion, il arrive qu'on se jette à la tête un manque de documents, auquel l'interlocuteur suppléerait par l'imagination. Or il est vrai que les documents manquent, il est non moins vrai qu'il faut se garder de confondre hypothèse et fait établi mais il est tout aussi vrai qu'il est de mauvaise méthode de mettre bout à bout les rares documents pour prétendre que la vérité ne doit pas être cherchée ailleurs.
Là, on devrait se trouver d'accord ! Jusqu'à quand ? :mrgreen:

JD

Re: Le nazisme : questions de méthode

Nouveau messagePosté: 06 Déc 2018, 16:44
de François Delpla
Long message perdu, mais à quelque chose malheur est bon : cela me fera échapper au reproche d'ouvrir un second fil sur Oradour, en prenant d'abord un autre exemple dans la même période : mon explication sur le fil Facebook de la Fabrique de l'histoire https://www.facebook.com/groups/lafabri ... 3252255335 avec un contradicteur pugnace, à propos de l'assassinat de Jean Zay.


Moi :
Non ! Pas "par la Milice", et certainement pas pour des raisons franco-françaises !

https://blogs.mediapart.fr/.../qui-voul ... e-jean-zay

Lui :
Dès le début de l'article "L'assassinat de Jean Zay est attribué à la Milice sans que soit même évoquée la possibilité d'un ordre de l'Allemagne à ses valets français." Oui bon, ce serait donc la Milice qui a fait le coup, mais peut-être sur ordre des nazis. Qu'est-ce que cela change ?
Puis "Comme tous les mystères du Troisième Reich, celui-ci mérite d'être examiné, faute d'une documentation au sens classique du mot, en essayant de percer le jeu du régime." L'auteur de l'article n'a donc aucune "documentation" et il va étudier le cas "en essayant de percer le jeu du régime." Par le marc de café ou la boule de cristal ? Parce que, sans documentation... J'arrête là, mais la suite est de la même eau, avec la conclusion, toujours aussi peu documentée : "Ce qui est sûr c'est que la Milice, plutôt occupée à mettre les résistants en prison (ou pire) qu'à les en extraire, n'a, par elle-même, strictement aucun mobile." Les "mobiles" de la Milice...

Moi :
Vous n'avez hélas pas plus de documentation directe pour explorer le mécanisme de décision de la Milice, à supposer classiquement que la décision soit sienne, que moi pour établir une responsabilité germanique. Laquelle s'autorise tout de même, outre l'analyse du jeu allemand que j'évoquais précédemment, d'une loi des séries : Dormoy, Basch, Zay, Mandel... la commandite allemande dans le meurtre de ces personnalités d'origne juive de la Troisième République étant certaine dans les trois autres cas, et hitlérienne selon toute probabilité.

Votre version ne s'autorise donc précisément que de son classicisme, de la vitesse acquise, de l'adage "on ne prête qu'aux riches" et du faible empressement du tribunal qui a jugé Charles Develle pour rechercher une éventuelle main allemande (que l'assassin jugé, qui n'était pas le chef du commando, ignorait d'ailleurs peut-être).

http://museedelaresistanceenligne.org/m ... -Charles...

Lui :
Donc ce que vous dites c'est qu'on ne peut pas être sûr que les allemands n'y soient pour rien. Tout à fait. Avez-vous envisagé la possibilité que ce soient des extra-terrestres qui aient fait le coup ? Auriez-vous des preuves du contraire ? Oui, ce que je dis est très bête, mais guère plus que votre raisonnement. Par ailleurs, tenter ici d'exonérer la Milice d'actes qu'elle a commis (et peu importe qui en a donné l'ordre) est proprement indécent.

Moi :
ne devenez pas violent ! je cherche juste à faire de l'histoire en établissant le mécanisme d'une décision. Si vous aviez un peu cliqué sur mon site autour de l'article qui a déclenché votre ire, vous verriez que je suis peu soupçonnable de tendresse envers la Milice.

Lui :
Je copie-colle votre première phrase : Non ! Pas "par la Milice." Peut-être vous êtes vous mal exprimé, mais ce que j'en ai compris est que ce n'était pas la Milice qui a assassiné Jean Zay. Factuellement, c'est bien la Milice. Point. Pour la question "Qui a donné l'ordre ?" vous savez très bien que personne ne peut y répondre : même si l'on trouvait un ordre écrit donné aux trois meurtriers, il resterait la question "qui a donné l'ordre au donneur d'ordre ?" et de fil en fil, vous obtiendrez la réponse "c'est Hitler qui a donné l'ordre initial." OK, vous l'avez, votre allemand. Mais quand je dis "Ravaillac a assassiné Henri IV," vous ne répondez pas "Non, pas Ravaillac," que je sache, malgré les doutes que l'on peut avoir sur certaines complicités (Épernon, par exemple). Je ne comprends pas votre acharnement à vouloir développer une histoire alternative sur la base d'une totale absence de documentation.

Moi :
"Par la Milice", cela voudrait dire soit que Darnand aurait ordonné l'enlèvement et le meurtre, soit que quelque échelon local ou régional en aurait pris l'initiative. La première hypothèse pourrait difficilement n'avoir laissé aucune trace. La deuxième manque singulièrement de logique et de possibles motivations. En revanche, UN milicien, Jocelyn Maret, aux ordres directs de l'occupant, est particulièrement suspect.

L'article de tout à l'heure était extrait de mon livre "Qui a tué Georges Mandel ?". A présent ma réflexion a pris dix ans de bouteille et je viens d'écrire dans "Hitler et Pétain", en librairie depuis quelques jours :

"Pour que l’Allemagne garde la main jusqu’à son évacuation du
territoire, il ne suffit pas qu’Abetz manie l’épouvantail, assez dérisoire, des durs de la collaboration. Deux coups de semonce sont d’une autre portée : les assassinats, coup sur coup, de Jean Zay et de Georges Mandel. Zay est abattu le 20 juin au bord d’un ravin, après un court trajet en voiture, par des miliciens qui sont venus le chercher à la prison de Riom, sans escorte allemande connue.

Le ministre de l’Éducation nationale du Front populaire, de père
juif, de mère protestante et protestant lui-même, resté en place dans
tous les gouvernements jusqu’à la guerre et mobilisé ensuite sur sa
demande, était un passager du Massilia arrêté comme tel dans l’automne
1940 et condamné pour désertion de la façon la plus inique
le 4 octobre 1940, dans un moment particulièrement fébrile de la
recherche, par Vichy, d’une collaboration. C’était un prisonnier sans
histoire et la Milice n’avait cure de régler des comptes avec d’anciens
notables du régime précédent. L’occupant, en revanche, s’y intéresse
beaucoup, comme viennent de le démontrer les cas de Maurice
Sarraut et de Victor Basch1. Les caciques de la Troisième, serrés de
près par l’occupant et ses séides, sont une pièce maîtresse du jeu nazi :
il sied d’en tuer un de temps en temps, juif de préférence, pour donner
corps à la menace de bain de sang qu’on fait planer en permanence
sur les têtes de Pétain et de Laval.
Dans le cas de Zay, des documents attestent que dès le mois
d’avril 1944 l’administration pénitentiaire, dirigée depuis le chambardement
de décembre par le commissaire André Baillet, précédemment
créateur et maître des Brigades spéciales anticommunistes
de la préfecture de police de Paris, et par son adjoint milicien Jocelyn Maret, avait averti les autorités départementales d’un prochain transfert de ce prisonnier, sans en préciser la date. Maret consacre d’ailleurs beaucoup de temps, à l’approche du débarquement, à la sécurité des prisons, en épurant sévèrement leur personnel de tous grades pour empêcher des libérations de résistants. S’il y a un serviteur zélé de l’Allemagne, c’est bien lui. Il se lamente le 22 mai dans une lettre à Darnand :

'Chaque jour je prends la décision de révoquer 4 ou 5 surveillants. En réalité c’est dans la proportion de 50 % qu’il faudrait les révoquer. Je n’ai presque aucune candidature pour les remplacer. Les 30 surveillants que devait me fournir la Milice ne m’ont jamais été envoyés. Plus aucun Français ne veut être gardien de prison.'

Devant une telle crise des effectifs, on conçoit que pour Maret ni le transfert ni le meurtre d’un prisonnier aussi peu remuant que Zay ne sont des priorités. En revanche, si ses chers SS le lui demandent, il se fera un devoir, et peut-être un plaisir, d’obéir. C’est tout ce qu’on peut en dire puisque la trace du chef du commando, Henri Millou, responsable de la sécurité de la Milice à Vichy, se perd en Allemagne avant la fin de la guerre et que l’assassin, Charles Develle, jugé seul en 1953, n’a pas révélé un motif extra-milicien qu’il ignorait peut-être, qu’on ne lui a guère demandé et qui aurait aggravé son cas.

___________________________________
1. Il faut en effet inscrire dans cette série, qui commence avec Dormoy et s’achève avec
Mandel, l’assassinat de Victor Basch et de son épouse Hélène, tous deux octogénaires, le
10 janvier 1944. Ce grand germaniste d’origine juive avait longtemps présidé la Ligue des
droits de l’homme et lui avait imprimé une orientation résolument antinazie. On avait
abandonné les cadavres au bord d’une route avec une inscription attribuant leur sort à une
vengeance de la Milice pour les morts que la Résistance faisait dans ses rangs. Mais les récits
insistent sur les acteurs miliciens, comme Lécussan et Touvier, plus que sur la présence
parfaitement attestée, lors de l’arrestation du couple, de l’Obersturmbannführer SS August
Moritz. Cf. François Delpla, Qui a tué Georges Mandel ?, op. cit., p. 309-313."

Lui :
Vous aimez sodomiser les diptères, vous. Donc Zay, assassiné par des miliciens, n'aurait pas été assassiné par la Milice... (début de mal de crâne) en gros parce que vous n'avez pas trouvé d'ordre écrit, et que cela "manque singulièrement de logique et de possibles motivations"... (migraine intense) Cela serait plus logique, plus motivé qu'un officier nazi décide de faire assassiner un ancien ministre du Front populaire ? Pourquoi en juin 44 ? Pourquoi des miliciens ; la Gestapo était occupée ailleurs ? Et il n'y avait plus de place en camp de concentration ? Votre thèse d'une intervention allemande soulève plus de questions qu'elle n'y répond. Et encore une fois, elle n'est pas documentée. Si je veux me lancer dans des conjectures sans preuve, en voici une : Darnand (ou un de ses sous-fifres) aurait voulu se venger d'un quelconque outrage infligé par Zay lors de leur vie politique d'avant-guerre, et il n'était pas assez idiot pour laisser des traces écrites d'une telle besogne, qu'auraient pu lui reprocher même les gens de son camp. Je n'y crois pas plus que cela, mais une telle vengeance in extremis (juste avant la Libération) tient bien mieux qu'une mystérieuse intervention allemande. Bon, maintenant je vais soigner mon mal de tête.

Moi :
Je reconnais avoir un tic : quand il se passe quelque chose de saillant dans un territoire dominé par Hitler, j'essaye systématiquement de savoir s'il y est pour quelque chose. La question a été trop rarement posée et il y a là un des principaux gisements d'avancées historiques possibles. Vous voyez que je laisse aux diptères une paix royale !

On peut prendre l'exemple du premier statut des Juifs (18 octobre 1940), trop longtemps présenté comme une oeuvre de Vichy (alors qu'il résulte d'un certain nombre d'échanges franco-allemands). Je fais en cette rentrée un tir groupé avec Laurent Joly contre ce préjugé colporté, notamment, par Robert Paxton.

D'une façon générale, le pilotage d'une France occupée pendant quatre ans, suivi de son évacuation ordonnée, dans une situation militaire de plus en plus dégradée, est une besogne des plus délicates, qui requiert le doigté d'un chef.... notamment pour cornaquer l'autre chef, prénommé Philippe. Et très logiquement Hitler paye de sa personne : il rencontre Pétain, Darlan et Laval bien plus fréquemment que n'importe quel autre dirigeant de pays occupé. Dans l'intervalle, il écrit quelques lettres importantes et utilise force intermédiaires, avec lesquels il est en relations personnelles. J'en révèle certains pour la première fois.

Les assassinats de personnalités françaises, que le maréchal se fait fort de protéger, sont un élément important de sa panoplie.

Comme l'a résumé un grand historien à la lecture de mon manuscrit : "Hitler garde Pétain sur le feu sans le carboniser".
(...)
"Darnand (ou un de ses sous-fifres) aurait voulu se venger d'un quelconque outrage infligé par Zay lors de leur vie politique d'avant-guerre, et il n'était pas assez idiot pour laisser des traces écrites d'une telle besogne"

Vous me donnez effectivement une superbe leçon de démonstration par l'absence de traces ! Et plus généralement de construction spéculative à plusieurs étages sans aucun étai, plus dangereuse qu'un HLM marseillais ! Mais vous vous situez bien dans la tradition qui fait qu'on n'a jamais cherché d'influence allemande : il y avait effectivement un contentieux entre Zay et l'extrême droite (la fameuse histoire du "torchecul" en particulier) et puisqu'il meurt de la main d'un extrémiste peu à gauche, pourquoi chercher plus loin?

C'est là le mécanisme même des erreurs, qu'elles soient judiciaires ou historiques.

Lui :
Mais votre mauvaise foi n'a aucune limite ! Je vous fais une construction sans preuve, comme la vôtre, afin de vous montrer qu'il y a d'autres explications possibles que celle que vous proposez. Je dis explicitement que c'est de la pure spéculation. Et vous m'accusez, maintenant de défendre cette construction, et de faire je ne sais quel procès à je ne sais qui ? J'arrête là cette discussion : il est inutile de parler avec quelqu'un d'aussi intellectuellement malhonnête.

Moi :
pas de panique !
vous ne la défendez pas, bravo. Presque tout le monde le fait, implicitement ou explicitement, en trouvant logique que "la Milice" ait pris une telle initiative et en ne creusant pas plus loin.

Re: Le nazisme : questions de méthode

Nouveau messagePosté: 06 Déc 2018, 16:57
de François Delpla
JARDIN DAVID a écrit:Ce fil est une excellente initiative ... en espérant qu'il ne va pas se perdre en pages 133-134 dans les méandres des imprécations des uns et des chiffres des autres. En effet :
François Delpla a écrit:attirent l'attention sur le caractère très spécial du régime nazi et les limites d'une histoire écrite avec des méthodes classiques, particulièrement sur le plan militaire.

Oui, cas spécial ! On peut élargir la question au cas de l'URSS et du comportement des mouvances communistes par exemple. Il y a beaucoup plus de documents et de témoignages directs du nazisme que du stalinisme d'ailleurs.
Passons donc au post-classicisme de l'histoire, mais sans pour autant s'affranchir de l'analyse des potentialités militaires et des réalités du terrain (organigrammes et autres ODB, bonjour Alain !). Sinon, ce n'est plus de l'histoire mais de la littérature.

François Delpla a écrit: j'ai émis l'hypothèse, voici dix ans, dans Qui a tué Georges Mandel ?, que la prise en main personnelle de la division Das Reich, et de son chef Lammerding, par Himmler à Montauban le 11 avril 1944 prenait place dans les dispositions arrêtées par Hitler pour faire face au débarquement.

Jusqu'ici c'est tout à fait séduisant : une hypothèse qui semble on ne peut plus logique. A moins qu'il ne soit venu pour lui parler de retourner en Russie je ne vois pas de quoi il pouvait lui causer.

François Delpla a écrit:Ce qui s'articule bien avec l'hypothèse que le massacre d'un gros bourg pas trop isolé, et pas résistant du tout, quelques jours après le débarquement et en fonction des réactions des Français, avait été alors envisagé.

C'est déjà moins bon ... Il semble acquis maintenant (voir les documents !!!) qu'il y avait des résistants à Oradour, contrairement au mythe. Pour reprendre la logique, il aurait été étrange que l'on n'en trouve pas et aussi que cette exception (fausse en réalité) ait pu être connue de la Das Reich qui arrivait dans le secteur. Je préfère la carte des exactions qui montre comment la (ré)pression monte au fur et à mesure du déplacement de la DR.
Ce qui est plus problématique, c'est que les documents montrent que la réalité résistante d'Oradour a été estompée volontairement. Cf le témoignage BORIE commenté par Michel BAURY ...

François Delpla a écrit:Le but étant de montrer à la population, ainsi qu'au soldat allemand, que le Reich allait défendre sa conquête française bec et ongles en appliquant à ceux qui auraient envie d'aider les libérateurs les traitements les plus brutaux. L'existence d'une hiérarchie parallèle confiée à Himmler, combinée avec celle d'une idéologie impitoyable, permettait de telles dispositions introuvables dans toute autre guerre.

Pourtant dès 1914, l'armée allemande régulière ne s'est pas embarrassée de conventions internationales et de l'ordre noir pour faire connaitre Gerbéviller : village brûlé, habitants mutilés et massacrés ... En général, la "com" était bien faite, ça se savait, surtout quant il fallait faire peser des menaces de répression. Voir également le cas des otages de 1941 en réponse aux attentats communistes. On ne peut pas dire qu'il y ait eu l'organisation d'une communication active allemande après Oradour. Ni même juste avant, au moment de la remontée de la DR.
Question : A Oradour, le cas est-il prémédité ? Je préfère : "jusqu'à quel point l'était-il ?".

François Delpla a écrit:J'ai creusé considérablement ce sillon dans le Hitler et Pétain sorti la semaine dernière, un travail qui m'a permis de voir que Hitler ne quittait pas la France ces yeux ni des actes : ce calculateur, plus que jamais, calcule.
Prochain fil de discussions fructueuses en vue ! Personne ne l'a récupéré ? Mon exemplaire est en cours d'acheminement, pour des raisons logistico-commerciales il est moins cher de se le faire livrer. Les mystères du prix inique du livre certainement. Pourtant ce n'est pas HH qui tire les ficelles ...

François Delpla a écrit:Il est particulièrement intéressant de constater que, lors de cette unique visite de Himmler en France (hors Alsace-Lorraine) en 1944
Ce n'est pas exact ! François, tu n'a pas bien lu les raisons qui me font attendre la prochaine livraison de l'agenda 1944 de HH . Et il y a aussi des décisions prises ... sans papiers en attestant !

François Delpla a écrit:l'esprit que le plus proche collaborateur de Hitler insuffle aux défenseurs de la forteresse Europe au cours de cette équipée.
Sur cette formulation on est bien d'accord. Pousser le moral à la hausse, donner carte blanche, rappeler que tous les moyens sont bons, qu'il ne faut surtout pas s'enquiquiner avec des procédures d'un autre temps ou du savoir-vivre décadent quand on doit tuer, etc etc, OK. On se doute bien que HH n'allait pas venir faire un exposé sur les Goth en vadrouille dans le sud-ouest et inventeurs méconnus du cassoulet. Mais aller jusqu'à indiquer AVANT le débarquement qu'il faut faire un exemple sur un bourg de taille moyenne, innocent, avec un tramway et qui donne à réfléchir ???? Alors que la logique nazie veut (ou voudrait !) que tout débarquement soit victorieusement repoussé par les sur-hommes en noir ? Ou que l'exemple soit judicieusement choisi.

François Delpla a écrit:Dans ce genre de discussion, il arrive qu'on se jette à la tête un manque de documents, auquel l'interlocuteur suppléerait par l'imagination. Or il est vrai que les documents manquent, il est non moins vrai qu'il faut se garder de confondre hypothèse et fait établi mais il est tout aussi vrai qu'il est de mauvaise méthode de mettre bout à bout les rares documents pour prétendre que la vérité ne doit pas être cherchée ailleurs.
Là, on devrait se trouver d'accord ! Jusqu'à quand ? :mrgreen:

JD


on se tutoie maintenant ? Bien !

Gerbéviller (24 août 1914) est un parfait contre-exemple : 1600 hab, 60 tués, à la suite d'une action de guerre. Tu chercherais à démontrer l'abîme entre les deux conflits, ou entre la (trop? ) fameuse "brutalisation" de 14-18 et la terreur sophistiquée du nazisme, que tu ne pourrais trouver mieux.

Pas de résistants dans le village ? c'aurait été, j'en conviens, difficile voire suspect. Mais pas d'actions résistantes connues, faible probabilité d'une rébellion organisée, magnifique "exemple", au sens répressif du terme, pour inviter ceux qui n'ont pas encore résisté à ne jamais le faire.

Le rapport avec le communisme et l'URSS me semble aussi pertinent, c'est-à-dire aussi peu, qu'avec la susdite brutalisation. Staline, un inculte méfiant qui ne supporte pas qu'une tête dépasse et a le meurtre ou le goulag faciles. Hitler, un autodidacte qui se permet d'enrôler de diverses manières, tout en les contrôlant, la plupart des grands esprits allemands non juifs de son temps, et fait très peu couler le sang "aryen" en temps de paix, puis avec une grande parcimonie en temps de guerre, tant que c'est lui seul qui écrit le scénario (soit jusqu'à la mi-mai 40). Méfiant également, mais à plus juste titre que Staline : ciblant à peu près correctement sa méfiance.

La propa d'Oradour a été immédiate, des deux côtés d'ailleurs : Allemands brouillant les pistes (notamment en exploitant l'homonymie des deux Oradour) et Vichy s'indignant... ce qui d'ailleurs augmentait l'effet attendu.

Il y a là-dedans beaucoup d'habileté stratégique (au sens large), qui rend difficile et de ne pas faire remonter la décision au grand chef, et de conclure à une improvisation (même si les détails sont laissés à Lammerding).

Re: Le nazisme : questions de méthode

Nouveau messagePosté: 06 Déc 2018, 17:22
de JARDIN DAVID
François Delpla a écrit:on se tutoie maintenant ? Bien !
Le cri du coeur pour cet oubli impardonnable de la conférence de Gérardmer ! Veuilles-tu m'en excuser de ma familiarité Môssieur ! Ce n'est pas loin de l'Alsace, mais pour une opération qui concerne le dernier reste de terre française : Dompaire (volet militaire), la Vogesenstellung, et la répression dite Waldfest avec pour la première fois la "terre brûlée" à l'ouest. Et pas de papiers !!! On va voir ce que dit l'agenda.

Gerbéviller n'est pas vraiment une action de guerre puisque subie par des civils. A replacer par rapport à mon propos.

Relire BORIE pour les résistants d'Oradour et surtout leur éviction de la "version officielle" !

JD

Re: Le nazisme : questions de méthode

Nouveau messagePosté: 06 Déc 2018, 21:15
de dynamo
Massacre d'Ascq en avril 44 perpétué par la 12e SS HJ, Himmler aurait communiqué avec ses responsables en France pour leur donner des ordres de durcir la répression sur l'ensemble du territoire ?

Re: Le nazisme : questions de méthode

Nouveau messagePosté: 06 Déc 2018, 21:49
de Dog Red
Merci pour cet exemple "moins connu" Patrick.

Re: Le nazisme : questions de méthode

Nouveau messagePosté: 07 Déc 2018, 05:18
de François Delpla
sur la grossièreté de Guillaume II par rapport à la finesse manoeuvrière de Hitler, ceci : https://www.delpla.org/article.php3?id_article=520 .

Re: Le nazisme : questions de méthode

Nouveau messagePosté: 07 Déc 2018, 11:44
de JARDIN DAVID
François Delpla a écrit:sur la grossièreté de Guillaume II par rapport à la finesse manoeuvrière de Hitler, ceci : https://www.delpla.org/article.php3?id_article=

Il y aurait tout de même à développer sur ce point. Je suis bien placé pour témoigner puisque mon village vosgien favori est justement situé en arrière des lignes. J'ai encore en tête les commentaires des anciennes de la familles qui expliquaient toutes les difficultés pour survivre derrière les lignes et aussi l'envie de rester malgré tout, afin de ne pas perdre la maison, les animaux ...
Contexte bien différent (conflit "normal", ça change tout) et je ne vois pas bien comment la finesse (qui n'était pas le point fort de Guillaume II) aurait pu apporter grand chose. Vivre sur le pays, exploiter ses forêts et sa force de travail, voler les métaux, éviter toute tentation de Francs-Tireurs, ça demande un doigté particulier : les doigts crochus !
JD