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Barrage contre les banqueroutes d'Etat

Le traité de Versailles donne lieu à l'instauration de la République de Weimar puis à la montée du National Socialisme. Quelques années plus tard, l'annexion des Sudètes et de l'Autriche annonce les prémices de la seconde guerre mondiale.
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Barrage contre les banqueroutes d'Etat

Nouveau message Post Numéro: 1  Nouveau message de fbonnus  Nouveau message 28 Juil 2013, 16:28

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1913-1948. Caisse d’amortissement en France, Réserve fédérale aux États-Unis, Bundesbank en Allemagne. Comment banquiers centraux et banquiers privés ont construit les parades à l’explosion des dettes d’État.

À partir du XIXe siècle, les États, dans lesquels les bourgeoisies ont pris le pouvoir, commencent à considérer que les dettes publiques doivent être honorées en toutes circonstances. Dans ce but et afin de tenir les affaires monétaires à l’abri des ingérences politiques, les banquiers centraux obtinrent progressivement leur indépendance par rapport au pouvoir politique.

Les deux derniers siècles ont connu environ 320 banqueroutes d’État, y compris de la part de pays comme le Royaume-Uni et l’Allemagne ; en France, la dernière en date fut celle que proclama le Directoire, en 1797. Notre pays, si souvent accusé de légèreté dans le domaine monétaire et financier, fait plutôt meilleure figure sur le long terme que l’Allemagne, qui a changé de monnaie deux fois au XXe siècle : en 1924 et en 1948. En 1924, le Mark avait disparu à la suite de l’hyperinflation provoquée par la Reichsbank pour faire échouer l’occupation de la Ruhr, lancée en janvier 1923 par les Français, les Belges et les Italiens (ce qui est peu connu). Et aussi pour rendre le paiement des réparations prévues par le traité de Versailles impossible. On passa donc au Reichsmark. Celui-ci, exsangue, fut remplacé en 1948 par le deutsche Mark. Cela permit (outre un coup d’arrêt au marché noir et à l’inflation) d’éponger l’endettement de l’État (500 % du PIB de 1938).

Par deux fois, les porteurs de fonds de l’État allemand furent donc spoliés. Mais enfin, cet exemple montre que tout n’est pas négatif dans une banqueroute d’État. Et l’Histoire nous apprend qu’il existe pour les États plusieurs moyens de camoufler une banqueroute. C’est ainsi que l’Europe de la bourgeoisie triomphante (qui avait gardé un très mauvais souvenir des banqueroutes et manipulations de l’Ancien Régime) inventa, à la fin du XVIIIe siècle, le couple magique, “consolidation” et “amortissement”. On admirera le choix des mots : la “consolidation” est en fait le “défaut partiel” du jargon actuel. Mais qui ne sent ce que ce mot comporte de rassurant, avec une nuance d’absolution pour les erreurs du passé et de rédemption par l’effort et la vertu budgétaire et fiscale ? Alors que le défaut partiel d’aujourd’hui est désespérant et évoque la chute, le déshonneur… De même pour “amortissement” : cela sonne mieux que “plan de rigueur” ou “programme du FMI”, c’est presque du cocooning budgétaire, même si cela revient au même, car cela exige du pays concerné rigueur et sacrifices.

Comme l’a montré Jean Tulard (voir notre précédent numéro), tout a commencé en France avec le Directoire, qui proclama une banqueroute des deux tiers, mais inscrivit le tiers restant de sa dette (dit “tiers consolidé”) sur le Grand Livre de la dette publique. Napoléon acheva l’oeuvre de consolidation et mit en place un système d’amortissement. Louis XVIII comprit la leçon des mauvaises finances de la fin de l’Ancien Régime ; il perçut les aspirations des dynasties bourgeoises désormais installées et fut le premier à constitutionnaliser la dette de l’État ; l’article 70 de la Charte constitutionnelle de juin 1814 proclamait : « La dette publique est garantie. Toute espèce d’engagement pris par l’État avec des créanciers est inviolable. »

Assez comparable fut l’action de Poincaré, rappelé à la présidence du Conseil en juillet 1926, en pleine tourmente financière et monétaire : il rééquilibra le budget, ce qui stoppa l’endettement rapide de l’État, et créa une Caisse d’amortissement, avec des ressources spéciales affectées de façon permanente, pour garantir le service de la dette existante, considérablement accrue depuis la guerre. L’assainissement et le retour de la confiance se répercutèrent de façon favorable sur la tenue du franc face aux autres devises et permirent sa stabilisation en 1928 (franc Poincaré). L’autonomie de la Caisse fut inscrite dans la Constitution le 10 août 1926, par un vote des deux Chambres réunies à Versailles… En contrepartie, on supprimait l’émission de bons du Trésor à court terme (trois mois) défiscalisés, introduits pendant la guerre, appréciés des épargnants car souples et rémunérateurs, mais qui étaient coûteux pour l’État et dont le taux de renouvellement par les porteurs était imprévisible, ce qui représentait une menace pour les finances publiques.

On a donc assisté à la combinaison exemplaire de trois séries de mesures : réduction, ou au moins restructuration, de la dette ; assainissement des finances publiques ; affectation de certaines des ressources ainsi dégagées au service de la dette. En compensation de la perte d’une partie de leur créance, les porteurs de la dette bénéficiaient d’une sécurité garantie pour le reste.

Les mêmes principes s’appliquèrent plus tard au niveau international, après que les États perdirent l’habitude de récupérer les créances de leurs ressortissants auprès des pays débiteurs récalcitrants à coups de canon : l’Empire ottoman dut accepter, en échange d’une restructuration de sa dette, la création, en 1876, d’une Caisse de la dette publique ottomane sous contrôle franco-britannique, chargée d’en garantir le service et qui disposait de ressources affectées. On procéda de même après 1919 avec l’Autriche et la Bulgarie ruinées. Des accords internationaux, ici dans le cadre de la Société des nations, organisèrent un ensemble de mesures relativement équilibrées : restructuration de la dette, affectation de ressources, surveillance internationale, prêts bancaires pour faciliter la phase de transition. Cela était rude pour les pays concernés, cela comportait une certaine mise sous tutelle, mais cela fonctionna.

L’Histoire enseigne aussi la complexité des choses en ce qui concerne l’indépendance des banques centrales. On a tendance à considérer que ce dogme fut proclamé en Allemagne lors de la création de la Bundesbank après la Seconde Guerre mondiale, en réaction contre les manipulations monétaires du IIIe Reich. Et l’on souligne que la Banque centrale européenne a repris par la suite le statut et la philosophie de la “Buba”. En fait, la question remonte à la création du Système fédéral de réserve des États-Unis, en 1913, car, pour la première fois, la création d’une banque centrale et son statut firent l’objet d’une discussion internationale, impliquant les banquiers centraux européens et les principaux banquiers privés de l’époque. À la suite de la grave crise bancaire de 1907, deux projets de réforme s’affrontaient à Washington. L’un et l’autre s’accordaient sur la nécessité de centraliser le système de réserve et d’émission monétaire (ce n’était pas le cas jusque-là), mais les républicains préconisaient la création d’une banque centrale indépendante du gouvernement (projet Aldrich) et les démocrates un système étroitement soumis au Trésor (projet Glass). Finalement, le président Wilson fit voter en 1913 la création du Système fédéral de réserve, qui reposait sur le projet Glass, mais les banquiers privés avaient obtenu un droit de regard important sur la gestion du système. Or, le banquier new-yorkais Paul Warburg, frère du banquier de Hambourg Max Warburg, avait joué un rôle clé dans l’élaboration du compromis. Et il s’était appuyé sur les gouverneurs des grandes banques centrales et les principaux banquiers d’Europe, qui tous, afin d’éviter la répétition tous les dix ans de crises parties des États-Unis, avaient recommandé la création d’une Réserve fédérale aussi centralisée que possible et indépendante du gouvernement, sur le modèle européen. Ainsi naquit l’internationale des banquiers centraux.

Pendant et immédiatement après la Première Guerre mondiale, devant l’écroulement de la plupart des monnaies et la mise hors jeu du système monétaire international à cause de l’arrêt des transferts d’or, devant l’explosion de l’inflation, de la dépense publique et des emprunts d’État, des banquiers centraux, en particulier Montagu Norman, à la Banque d’Angleterre, et Thomas Lamont, au Conseil des gouverneurs du Système fédéral de réserve, estimèrent qu’il fallait soustraire la création monétaire à l’influence des gouvernements, pour garantir la stabilité de la monnaie et les intérêts des investisseurs.

Ces banquiers centraux (en dehors bien sûr des Français ou des Belges !) s’opposèrent tant qu’ils purent aux réparations imposées à l’Allemagne par le traité de Versailles. Selon eux, ces dettes politiques, qui conduisaient à l’immixtion permanente des gouvernements dans les questions monétaires, rendaient impossible le relèvement de l’Europe. Leurs vues furent formalisées au sein de la Commission financière de la conférence internationale qui se tint à Gênes, en avril 1922, où, à côté des représentants des gouvernements, siégeaient des banquiers à titre d’experts.

Le processus d’autonomisation des banques centrales est engagé

Cette commission recommanda, d’une part, l’adoption de l’étalon de change-or (le dollar et la livre devenant instruments de réserve à l’instar de l’or), d’autre part, la discipline et l’équilibre budgétaires et monétaires, et elle demanda la mise sur pied d’une coopération entre les ban ques centrales pour suivre et gérer les flux d’or et les taux de change des monnaies. Le processus d’autonomisation des banques centrales était engagé : écartés de la gestion monétaire interne, les gouvernements devaient être le plus possible mis à l’écart de la gestion du système monétaire international, dont ils avaient pris le contrôle pendant la guerre, leur immixtion (rendue inévitable par le conflit) ayant abouti à une série de catastrophes.

Dans l’immédiat, il ne fut pas possible de mettre en place la coopération entre les banques centrales, mais ce fut fait à l’occasion de l’adoption du plan Young, en 1929, lequel était censé régler la question des réparations allemandes : créée à Bâle, en 1931, pour gérer les versements dus au titre du plan Young, la Banque des règlements internationaux regroupait les grandes banques centrales. Elle avait pour but de substituer à la Commission des réparations « une autorité extérieure financière et sans caractère politique » ; mais elle avait aussi dans son cahier des charges « l’augmentation du commerce mondial en finançant certains projets, notamment dans des pays non encore développés » ; ce fut le début d’une collaboration organisée des banques centrales.

Certes, l’indépendance de la finance internationale par rapport aux gouvernements ne rejoignit plus jamais le sommet atteint en 1931. Mais l’idée qu’une banque centrale doit être indépendante du pouvoir politique pour éviter manipulations monétaires et risques de banqueroute fut évidemment réactivée, en particulier en Allemagne, à la suite des expériences d’économie dirigée de la Seconde Guerre mondiale et des nouvelles catastrophes monétaires que celle-ci engendra.

Ainsi, la question de l’indépendance de la Banque centrale européenne, si discutée de nos jours, dépasse de beaucoup l’argument selon lequel cette institution prolonge la Bundesbank et ne serait donc que la reproduction du “modèle allemand” : cette indépendance a ses lettres de noblesse, elle est tout autant le fruit d’un mouvement de libéralisation et d’autonomisation d’une économie de plus en plus mondialisée que de la philosophie qui oriente ce mouvement. Elle est l’aboutissement d’un souci très ancien d’opposer une parade à la si compréhensible mais désespérante tendance des États à faire banqueroute.

Source : Georges-Henri Soutou - V.A.
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