Puisque tu m'as tutoyé, continuons.
Je parle des années 90, tu convertis en "la fin des années 90", je te le fais remarquer et tu comprends de travers !
Tu me demandes d'expliciter la rupture dont j'ai parlé, je dis qu'elle a pour pionnier Lukacs et je suis catalogué hors sujet !
Les analyses de Kershaw bloquées au milieu du gué apparaissent le plus nettement dans Fateful Choices, lorsqu'il met en doute la position de Costello en la déformant et en ignorant le document Coulondre (mais c'est déjà un progrès astronomique d'introduire Costello dans la discussion alors qu'entre 1991 et 2000 presque personne ne le faisait).
Deux indices de blocage par rapport aux pionniers des années 90 résident dans le fait de majorer l'intervalle qui séparait Hitler de la victoire au printemps 40 (exemple : "même sous Halifax l'Angleterre lui aurait donné du fil à retordre"), et dans le fait de croire qu'à partir du 15 mars 1939 il fait des "erreurs de calcul" en spéculant sur la passivité occidentale, en pensant qu'après la Tchéco ces chiffes molles vont encore bien lui céder sur la Pologne...
... alors qu'il guide pas à pas et dose leurs réactions, de la garantie anglaise à la Pologne jusqu'à la déclaration de guerre peu suivie d'effet (car peu prévue et peu préparée) du 3 septembre.
La clé de tout, c'est de considérer que l'idée d'écraser la France avant de se lancer vers l'est ne l'a pas quitté depuis 1926, même s'il ne l'a pas répétée ensuite et a juré cent fois le contraire.
C'est encore, hélas, une idée neuve. Pourquoi tant de retard ?
Depuis quelque temps j'utilise la citation suivante des Propos, qui certes ne parle pas des relations Hitler-Göring mais fournit une clé universelle, un véritable passe-partout, et qui, connue depuis le début des années 50, est étrangement, et significativement, négligée :
J’ai aussi un jour observé comment un chat s’apprêtait à consommer
une souris. Il ne l’a pas mise tout de suite dans sa gueule, mais a
d’abord joué avec elle en lui laissant apparemment, de façon répétée,
la possibilité de s’échapper. C’est seulement quand la souris, après
toutes ces allées et venues, fut littéralement trempée d’une sueur
d’angoisse qu’il la frappa d’un dernier coup de sa patte et la dévora.
C’est clairement dans cet état qu’elle a le meilleur goût et qu’elle est
la plus digeste.
(prononcé lors du déjeuner du 8 juillet 1942)