Page 3 sur 5

Re: L'affaire Toukhatchevsky (1937)

Nouveau messagePosté: 19 Déc 2012, 22:16
de carlo
Bonsoir, nous sommes bien sûr tout-à-fait HS, mais bon,

ulysse57 a écrit: J'aime bien l'idée que la guerre ait été gagnée par une équipe b. même si cela vous froisse. Je la trouve relativement proche de la vérité.

L'idée est amusante je vous l'accorde, mais elle est fausse.

ulysse57 a écrit: Les Joukov , Vatutine , Koniev et consort ont été formés selon les idées primaires de Issersson , Toukhatchevsky et Triandafillov. Les balbutiements du mode opératif apparaissent dans le livre de formation de l'Armée Rouge en 1936. Et ils amélioreront ces balbutiements pour donner naissance à Uranus , Bagration , Oder ... Le rouleau compresseur.

Le tout n'est pas de trouver une formule, mais de l'appliquer et ça, les Soviétiques en sont incapables en 1941, Toukh. et Yakir auraient-ils fat la différence? J'en doute. Les leçons de Triandafillov n'ont pas été victimes des purges, les manuels ne changent pas et des proches de celui-ci (genre Vassilievsky) restent aux commandes. Et dans votre liste vous oubliez bien sur l'auteur de ce qui a été la bible de l'Armée Rouge pendant 60 ans: Мозг армии.
Isserson a été arrêté juste deux semaines avant l'attaque allemande, on ne sera jamais ce que cela aurait donné. Mais en 1941, le seul général soviétique ayant une expérience pratique de l'application des nouvelles théories avec quelques résultats est Joukov qui a pu s'entraîner en Mandchourie. la guerre de Finlande illustre bien les tâtonnements, les erreurs d'un concept encore en gestation. L'article Wiki en russe sur les opérations en profondeur est d'ailleurs assez amusant: Toukh. n'est pas cité une seule fois et la paternité du concept est partagée entre Triandafillov et le très improbable Boudienny!

ulysse57 a écrit: De l'autre coté de la Pologne , les Allemands n'ont jamais réussit à hisser le modèle blitzkrieg au niveau du modèle opératif soviétique , faute d'homme de la trempe de Toukhatchevsky.

Ceci dit, c'est justement en Pologne que Piłsudski (et Rydz-Śmigły et même un peu Weygand) avait défait Toukhatchevsky...

ulysse57 a écrit: C'est ce qui me fait penser que plus que purger les meilleurs , Staline a purgé un génie militaire en avance sur son temps. Certes en guerre on ne décerne les honneurs qu'aux combattants , mais les généraux ( ou marechaux dans le cas d'espèce ) qui œuvrent dans l'ombre à la logistique et la préparation sont aussi précieux.
exemple : l'utilisation désastreuse des para's russes loin de la doctrine de l'enveloppement vertical.

Comme vous le dites le modèle soviétique est beaucoup plus complet et complexe que le modèle allemand, il a fallu 40 ans aux Américains pour le comprendre. Mais cette complexité ne facilite guère sa mise en œuvre, en 1941, tout reste à faire sur le plan pratique. C'est une nouvelle génération issue des purges qui va le faire mûrir dans la douleur, et ses généraux qui sont en moyenne 10 ans plus jeunes que leurs homologues allemands ou alliés ne sont pas une équipe B...

ulysse57 a écrit:NOTA : de mémoire il me semble que les allemands ont aussi fait quelques stages en URSS pour " apprendre " l'arme mécanisée. A leur retour pas besoin de faire un dessin pour indiquer qui est la tête pensante du seminaire ;)

Et ici on revient presque au sujet, les contacts avec les Allemands...

Re: L'affaire Toukhatchevsky (1937)

Nouveau messagePosté: 19 Déc 2012, 22:51
de carlo
J'allais oublier, d'après Conquest (dans le bouquin cité plus haut), qui se base essentiellement sur un ouvrage russe récent, l'histoire des faux allemands ne tient pas la route. Lorsqu'ils sont créés, deux accusés sont déjà en prison et lorsqu'ils sont censés atteindre Staline, la procédure est déjà bien entamée. Ce sont bien les confessions obtenues par les organes qui forment la base de l'accusation. Mais Triple Agent restera un de mes films préférés.

Re: L'affaire Toukhatchevsky (1937)

Nouveau messagePosté: 20 Déc 2012, 14:38
de François Delpla
Il faut essayer de serrer la chronologie.

Les mémoires du général Piotr Grigorenko (dissident sous Brenjev), souvent cités ici, disent clairement que l'atmosphère est devenue irrespirable, avec l'arrivée d'enquêteurs spécialement mandatés pour trouver des complots, au lendemain de la liquidation de Toukhatchevsky. Celle-ci apparaît donc bien comme un point de départ, et non comme l'aboutissement de suspicions antérieures.

Tout se passe comme si Staline, jusqu'en mai 1937, avait cru pouvoir sécuriser l'armée à bon compte et sans la désorganiser, par une répression homéopathique, puis s'était mis soudain à croire qu'elle était beaucoup moins soumise qu'il ne l'avait pensé, et s'était alors lancé dans des coups de filet aussi aveugles que démesurés.

Re: L'affaire Toukhatchevsky (1937)

Nouveau messagePosté: 20 Déc 2012, 18:01
de ulysse57
carlo a écrit:Bonsoir, nous sommes bien sûr tout-à-fait HS, mais bon,.
Pas du tout , nous sommes en train de définir les principaux atouts de Mikhail , atouts qui lui ont couté la vie.

carlo a écrit:
ulysse57 a écrit: J'aime bien l'idée que la guerre ait été gagnée par une équipe b. même si cela vous froisse. Je la trouve relativement proche de la vérité.
L'idée est amusante je vous l'accorde, mais elle est fausse.
carlo a écrit: C'est une nouvelle génération issue des purges qui va le faire mûrir dans la douleur, et ses généraux qui sont en moyenne 10 ans plus jeunes que leurs homologues allemands ou alliés
Le " le " étant pour l'art opératif russe , clé du succès contre l'Allemagne.

Etrange comme vous pouvez trancher aussi rapidement , tout en nuançant par la suite ... quand j'entends nouvelle génération , c'est bien que l'ancienne a été mise au placard. Dans le cas d'espèce , l'ancienne a été liquidée en ayant juste eut le temps de faire entrer leur théorie dans l'armée Rouge. Dans le sport , on appelle ça une équipe B , même si le banc est de qualité.

carlo a écrit:Comme vous le dites le modèle soviétique est beaucoup plus complet et complexe que le modèle allemand, il a fallu 40 ans aux Américains pour le comprendre.
Il a fallut 40 ans pour que Glantz se fasse entendre , pas pareil .. Il intéressait déjà à l'etude de l’échelon opératif depuis le viet nam.

carlo a écrit:Bonsoir, nous sommes bien sûr tout-à-fait HS, mais bon, [...]
Ceci dit, c'est justement en Pologne que Piłsudski (et Rydz-Śmigły et même un peu Weygand) avait défait Toukhatchevsky...
Là c'est du HS :).

carlo a écrit:Le tout n'est pas de trouver une formule, mais de l'appliquer et ça, les Soviétiques en sont incapables en 1941, Toukh. et Yakir auraient-ils fat la différence? J'en doute.
Pas en 1941 c'est clair. Dispositif russe à pleurer, mais c'est une autre histoire.
Par contre par votre assertion j'arrive à comprendre le peu d'importance militaire que vous accordez à Mikhail. Il n'est pas le simple inventeur d'une formule, il en est le père. Et comme une enfant, il est là pour le laisser grandir et l'orienter vers la quintescence.

Sur le plan strictement militaire, Toukha. représentait une trop grande menace pour le pays qui désirait plus que tout élargir son espace vital au dépends de ses voisins de l'Est. Après pour la relation Hitler - Staline je laisse cela ( et je le laisse toujours ) à des spécialistes en la matière tels que Mr Delpla.

Re: L'affaire Toukhatchevsky (1937)

Nouveau messagePosté: 20 Déc 2012, 19:21
de François Delpla
ulysse57 a écrit:
Sur le plan strictement militaire , Toukha. représentait une trop grande menace pour le pays qui désirait plus que tout élargir son espace vital au dépends de ses voisins de l'Est. apres pour la relation Hitler - Staline je laisse cela ( et je le laisse toujours ) à des spécialistes en la matière tels que Mr Delpla.


Cher Monsieur, c'est trop d'honneur... et pas assez donné !

Cela nous oriente vers une question : quelle était l'image de Toukhatchevsky chez les militaires allemands, compagnons d'entraînement de l'Armée rouge pendant la décennie 1923-1933, et chez Hitler ? Peut-on aller jusqu'à penser qu'en inventant de toutes pièces (c'est le cas de le dire) une conspiration de T pour renverser Staline et son régime, il visait clairement la proche élimination physique d'un redoutable chef adverse en cas de guerre ?

Re: L'affaire Toukhatchevsky (1937)

Nouveau messagePosté: 20 Déc 2012, 19:39
de carlo
François Delpla a écrit:Il faut essayer de serrer la chronologie.

Les mémoires du général Piotr Grigorenko (dissident sous Brenjev), souvent cités ici, disent clairement que l'atmosphère est devenue irrespirable, avec l'arrivée d'enquêteurs spécialement mandatés pour trouver des complots, au lendemain de la liquidation de Toukhatchevsky. Celle-ci apparaît donc bien comme un point de départ, et non comme l'aboutissement de suspicions antérieures.

Tout se passe comme si Staline, jusqu'en mai 1937, avait cru pouvoir sécuriser l'armée à bon compte et sans la désorganiser, par une répression homéopathique, puis s'était mis soudain à croire qu'elle était beaucoup moins soumise qu'il ne l'avait pensé, et s'était alors lancé dans des coups de filet aussi aveugles que démesurés.

Je dirais plutôt que l'armée a été depuis la fin des années 20 gardée relativement à l'abri du tumulte politique (elle est moins touchée que le parti par les purges de 29). La surprise a peut-être été réelle pour certains, mais on ne voit pas bien pour quelles raisons l'armée serait restée à l'écart des grandes purges qui ont visées tous les secteurs de la société. D'ailleurs de nombreux observateurs de l'époque (Issac Deutscher, J. E. Davies et même Trotsky il me semble) trouvaient assez probante cette histoire de coup d’État. Aujourd'hui, a posteriori et en l'absence de preuves issues de archives soviétiques, on regarde cette possibilité comme un symptôme de la paranoïa stalinienne. Mais les contemporains pouvaient parfaitement y croire et un révolutionnaire comme Staline connaissait ses classiques et la menace que font peser sur les révolutions les personnalités militaires.
Pour ce qui concerne la chronologie, dès février 37 au plénum du PCUS, Molotov demande de renforcer la lutte contre les saboteurs dans l'armée et des officiers ont été arrêtés dès la fin 36. Peut-être que le jeune Grigorenko n'a pas senti cette tension, mais Gamarnik a tout de suite compris ce qui lui restait à faire, se suicidant une semaine après l'arrestation de Toukh. La procédure est extrêmement rapide et les aveux obtenus en à peine deux semaines...

Re: L'affaire Toukhatchevsky (1937)

Nouveau messagePosté: 20 Déc 2012, 20:32
de François Delpla
carlo a écrit:Pour ce qui concerne la chronologie, dès février 37 au plénum du PCUS, Molotov demande de renforcer la lutte contre les saboteurs dans l'armée et des officiers ont été arrêtés dès la fin 36. Peut-être que le jeune Grigorenko n'a pas senti cette tension, mais Gamarnik a tout de suite compris ce qui lui restait à faire, se suicidant une semaine après l'arrestation de Toukh. La procédure est extrêmement rapide et les aveux obtenus en à peine deux semaines...

Cela corrobore mon sentiment : une répression mesurée, dissuasive, avec très peu d'arrestations, depuis la fin de 1936, puis un emballement fin mai 37, consécutif à la transmission des documents allemands. Tout se passe vraiment comme s'ils semaient la panique.

Je veux bien croire, moi aussi, que Staline y a cru ! Et puisque c'était du vent, n'avait-on pas raison d'attribuer cette panique à sa paranoïa ? Qui aurait donc été, à cette occasion, un cas intéressant de contagion de celle de Hitler.

Re: L'affaire Toukhatchevsky (1937)

Nouveau messagePosté: 20 Déc 2012, 22:01
de carlo
Bonjour,

ulysse57 a écrit: Etrange comme vous pouvez trancher aussi rapidement , tout en nuançant par la suite ... quand j'entends nouvelle génération , c'est bien que l'ancienne a été mise au placard. Dans le cas d'espèce , l'ancienne a été liquidée en ayant juste eut le temps de faire entrer leur théorie dans l'armée Rouge. Dans le sport , on appelle ça une équipe B , même si le banc est de qualité.
Tout est dans la nuance, en fait de générations, c'est effectivement assez complexe.
D'abord je persiste à dire que les théoriciens de l'armée rouge n'ont pas tous été liquidés en 37: Isserson est arrêté en 41, Triandafillov est mort en 31 dans un accident, Chapochnikov est mort quelques temps avant la victoire sur l'Allemagne, les livres d'instructions ne sont pas remis en cause. Si vous suivez le parcours des maréchaux de la guerre, ce sont de jeunes officiers ou sous-officiers tsaristes qui ont fait la guerre civile, ils ont connu une progression constante et rapide et commandent souvent déjà des divisions, voire des régions militaires au moment des purges, ce ne sont pas des seconds couteaux revenus du fin fond de la cambrousse. Ils sont déjà l'élite en 1936.
Si vous prenez les premiers condamnés du procès Toukh., les profils ne sont guère enthousiasmants d'un point de vue militaire et souvent plus politiques que militaires. Ils sont dans une tranche d'âge proche des vainqueurs de 45. On ne peut rien généralisé dans un sens comme dans l'autre.

ulysse57 a écrit: Il a fallut 40 ans pour que Glantz se fasse entendre , pas pareil .. Il intéressait déjà à l'etude de l’échelon opératif depuis le viet nam.
Je vous l'accorde un peu, ça commence au Vietnam. Mais le prestige allemand joue encore.

ulysse57 a écrit: Là c'est du HS :).
Justement pas du tout, comment le génie universel n'a pu donner cours sur la Vistule? Ah oui, la faute à Staline...

ulysse57 a écrit: Pas en 1941 c'est clair. Dispositif russe à pleurer, mais c'est une autre histoire.
Par contre par votre assertion j'arrive à comprendre le peu d'importance militaire que vous accordez à Mikhail. Il n'est pas le simple inventeur d'une formule , il en est le père. Et comme une enfant , il est là pour le laisser grandir et l'orienter vers la quintescence.

Sur le plan strictement militaire, Toukha. représentait une trop grande menace pour le pays qui désirait plus que tout élargir son espace vital au dépends de ses voisins de l'Est. apres pour la relation Hitler - Staline je laisse cela ( et je le laisse toujours ) à des spécialistes en la matière tels que Mr Delpla.
Et Toukh. allait faire la différence à lui tout seul ? Triandafillov, Isserson, Chapochnikov, des nains à côté du héros de la Vistule et de Tambov. Toukh. a surtout prouvé qu'il était un personnage charismatique, un politicien habile, un militaire courageux et certainement pas dénué de talents, un administrateur correct. C'est déjà beaucoup, mais est-ce suffisant pour imaginer qu'il aurait changer radicalement le cours de la guerre? Ben non, car il faut tenir compte d'une industrie grandie trop vite, d'une administration encore très loin de l’efficience. On lit que Toukh. avait lancé des recherches sur les radars, oui évidemment, mais l'industrie aurait-elle été capable de les construire en 40. On peut tout aussi bien imaginé l'URSS dotée du rayon Tesla. Donc il y a une quantité de problèmes qui se posent à Toukh. pour réaliser ses projets, qui se posent toujours en 41, ils tiennent aux conditions générales en URSS. Le pays était incapable de tout faire et de tout réussir, cela paraît une lapalissade, mais c'est ainsi. Des choix ont été fait, pas toujours les bons, pas toujours les pires...

Re: L'affaire Toukhatchevsky (1937)

Nouveau messagePosté: 20 Déc 2012, 22:23
de ulysse57
Attention , je n'ai jamais classé Touk' comme un penseur " lambda " . Pour moi il est au dessus du lot. Un peu comme un prophète avec ses apôtres.

Mais ce n'est clairement pas un faiseur de miracle , je vous l'accorde. On ne fera pas d'un âne un cheval de course .. :) ( là je parle de la situation soviétique post Barb' ).

Re: L'affaire Toukhatchevsky (1937)

Nouveau messagePosté: 21 Déc 2012, 11:23
de clayroger
Si je comprends bien l'hypothèse posée par François Delpla, on ne se demande pas si la purge militaire de 1937 est le résultat d'une intoxication nazie. C'est en effet une très ancienne hypothèse, toujours débattue, mais dont on peut penser qu'elle est, elle-même, le résultat d'écrans de fumée, résultantes de la guerre froide. En tout cas cette hypothèse rencontre trop d'obstacles pour la voir validée.

Donc l'idée apportée ici par M. Delpla est de proposer que l'intox nazie potentielle a produit un effet superlatif de la purge.
Elle en aurait exagéré les effets. Il y aurait eu beaucoup plus d'officiers éliminés que prévu initialement.

Outre que cette nouvelle hypothèse se heurte aux même obstacles que la première et ancienne proposition, on se demande vraiment, en observant les résultats des purges parallèles - les procès de Moscou -, comment Staline aurait eu besoin d'Hitler et du SD pour mettre en oeuvre ses crimes ?

D'après certains historiens comme John Erickson, c'est Staline lui-même qui lance le bobard d'une intoxication de ses propres services, afin de trouver un prétexte à l'arrêt des purges fin 1938. Il accuse alors le NKVD d'être infiltré par l'"étranger" et en profite pour se débarrasser du patron de la police politique, Iejov, qui s'était personnellement occupé de l'élimination de Tukhachevsky, entre autre.

En tout état de cause, on attend au moins des indices concrets pour commencer à partager l'enthousiasme de M. Delpla à propos de son hypothèse.