Post Numéro: 224 de François Delpla 22 Mar 2013, 17:11
Comme je le disais plus haut à un interlocuteur agressif, et je n'ai pas de raison de changer lorsqu'un autre est aimable (le Monsieur étant tout de même excessif !) : si on se préoccupe des conséquences, on ne fait plus de l'histoire. C'est vrai, ou pas, point.
Mais en l'occurrence, je peux parler avec plus de vingt ans d'expérience : ma démarche a souvent suscité dun certain intérêt dans les mouvances néo-nazies, pétainistes etc. et je n'ai jamais fui ce genre de contacts, pour la raison même que j'expose ci-dessus (faire de l'histoire sans s'occuper des conséquences, donc sans privilégier des affinités, etc.) et en affrontant bravement l'incompréhension de certains amis, qui parfois en sont venus, brièvement, à m'insulter ! Mais la cohabitation avec les premiers a été, en général, tout aussi brève.
En l'occurrence, démontrer que Hitler était fou a-t-il vraiment de quoi séduire des gens d'extrême droite ? Peut-être si on les laisse maîtres du terrain et des leçons à en tirer mais rassurez-vous j'ai bon pied bon oeil (cas de le dire, puisqu'il n'y en a qu'un qui est vraiment bon ! mais pour les pieds il y a la paire) et suis très confiant dans le fait qu'après moi une vision raisonnable des choses trouvera des serviteurs.
Je prendrai l'exemple de Göring à Nuremberg. Il n'est pas fou et le montre tous les jours. Il n'hésite pas à traiter Himmler de "psychopathe"... et je suis à peu près sûr qu'il a compris que Hitler l'était. D'ailleurs je ne crois pas, pour ma part, que Himmler ait été fou non plus. Ni Hess, ni Goebbels, pour achever de faire le tour des premiers couteaux. Le fou avait besoin de s'entourer de gens rationnels ! Il ne leur demandait qu'une chose : obéir en aveugles à ses lubies.
Mais cela, c'est moralement bien plus grave que d'agir en esclave de ses folles pulsions ! Ils le savent bien, tous, qu'on leur ordonne des actes criminels, d'incendie du Reichstag en judéocide en passant par les nuits des Longs couteaux et de Cristal, et toutes les guerres d'agression.
Pour prendre les choses par un autre bout, ce qui me paraît politiquement dangereux, c'est bien la vision fonctionnaliste avec toutes ses variantes, qui fait du nazisme un grand bateau ivre dont le capitaine a la tête dans les nuages et dont les lieutenants se tirent dans les pattes. Chaque décision est vue alors comme une "résultante" de forces aveugles, au besoin avec un "arbitrage" du chef brièvement descendu de son nuage.
En dehors des fonctionnalistes, qui prennent leur source dans les ouvrages de Fraenkel (1941) et Neumann (1942), un grand brouillard a été semé par l'ancien nazi Hermann Rauschning, qui voyait dans le nazisme une force de destruction qui, à moins d'être arrêtée, n'allait pas laisser pierre sur pierre à la surface de la terre. Ce qu'on n'a pas assez vu c'est que tous ces ouvrages (sauf le premier de Rauschning, la Révolution du nihilisme, en 1938) datent de la guerre et de son début, à l'époque des victoires allemandes apparemment irrésistibles : il s'agit avant tout de remonter le moral des troupes, en avançant que le colosse a des pieds d'argile.
Si au contraire on voit dans le nazisme un mouvement puissant, quasi-victorieux à la mi-mai 40 pour une longue période, et vaincu uniquement grâce au hasard d'un changement gouvernemental à Londres le 10 mai, et si on attribue ce quasi-triomphe tout autant à la folie de Hitler qu'à son intelligence, on se rend compte que la démocratie l'a échappé belle, et aussi, souhaitons-le, que cette folie a laissé des traces : par exemple l'actuelle théorie du "choc des civilisations" en descend en ligne directe. Ce qui veut dire que nous ne sommes pas fous, ou pas tous, mais que comme de vulgaires Göring ou Hess nous pouvons nous laisser enrôler par des idées folles, ou en tout cas sommes sollicités de le faire par des brutes bien actuelles.
Il y a encore à faire, dans ce qu'on nous enseigne, un ménage... fou. Par exemple, jusqu'à janvier dernier, la prise du pouvoir était vue comme le résultat d'erreurs de calculs des conservateurs vaincus et non comme celui de meilleurs calculs du chef nazi vainqueur. Ce n'est quand même pas compliqué à comprendre ! Mais c'est tabou, et pour une raison encore plus simple : des prix d'excellence de Sciences-Po, et de ses équivalents marxistes, se sont fait avoir, partout dans le monde, en ne voyant pas venir un inculte apparent qui allait monter sur la scène de la politique planétaire et la dominer pendant douze ans. Cela reste profondément inavouable. Et offre une mine de trouvailles pour les courageux.
Même chose pour la marche à la guerre, notamment contre la France. Le récent livre d'Evans, par exemple, dit assez nettement que Hitler a préparé la guerre dès qu'il a été au pouvoir, mais il vasouille sur l'année 39 : lisant au premier degré le fameux entretien de Hitler avec Burckhardt le 11 août, il pense qu'à cette date il espérait encore obtenir Dantzig par la négociation ! Alors qu'il est clair qu'il voulait se faire déclarer la guerre par la France pour l'écraser.
La piste de la folie permet tout bonnement d'éviter ce genre d'erreur. Elle consiste à prendre au sérieux le "pacte avec la Providence" que le sujet pense avoir passé, et qui le rend tout aussi fidèle à un programme arrêté dans ses grandes lignes vers 1925 qu'assuré dans les postures mensongères qui permettent de dissimuler la continuité de ses desseins. C'est un Hitler infiniment sournois et malsain qui apparaît là, et les gens aux motivations très diverses qui le suivent ne peuvent pas apparaître sous un jour très reluisant.