Je découvre un peu plus chaque jour que Hitler dirigeait son Etat en général, et son armée en particulier, d'une façon spéciale et unique dans toute l'histoire, en raison de sa folie et d'un alliage absolument exceptionnel entre ce trait et l'intelligence manoeuvrière.
Or j'ai commencé à poser les problèmes ainsi il y a vingt ans, j'ai accumulé des matériaux et des réflexions quasiment chaque jour depuis, écrit une quinzaine de livres et des dizaines d'articles, et l'ampleur de ce qui reste à découvrir croît sans cesse à mes yeux.
Voici un élément de ma moisson de la semaine dernière à Londres.
Mon attention ayant été appelée sur Canaris par Eric Kerjean (voir son article dans l'avant-dernier Histomag) il y a quelques mois, j'ai appris à cette occasion le nom de son premier biographe : Karl-Heinz Abshagen (1895-1976). Le titre est tout un programme :
Canaris. Patriot und Weltbürger ("Canaris, patriote et citoyen du monde", rien de moins !), Stuttgart 1949. Son Wikipedia
http://de.wikipedia.org/wiki/Karl_Heinz_Abshagen est éloquent :
Trois livres sur l'Angleterre dans les années 20 et 30 !
Sur le site des National Archives de Londres, en tapant Abshagen sur le moteur de recherche du catalogue on voit apparaître trois dossiers KV, c'est-à-dire MI 6 ou autrement dit Intelligence Service.
Ils sont gros : il est vrai que tout son courrier était surveillé, et volontiers photographié entre 1931 et 1939, alors qu'il était correspondant à Londres de plusieurs journaux. Et l'on voit les fonctionnaires, tant du contre-espionnage que du Foreign Office, se concerter périodiquement pour savoir s'il faut l'expulser ou le laisser en paix, en d'autres termes si c'est un espion ou seulement un bon journaliste, habile à obtenir des sources ! Et finalement il reste jusqu'à la guerre !! Pour l'excellente raison qu'il arrive à se faire passer pour un Allemand de droite, viscéralement anticommuniste mais porteur de doutes sérieux sur Hitler et, surtout, sur son entourage SS "qui ne cesse de le monter contre l'Angleterre".
Il ne semble pas que ces dossiers aient fait l'objet de livres ou d'articles : quel gisement inexploité ! J'ai photocopié pas mal, il reste à lire et cela prendra du temps. Mais d'ores et déjà j'ai repéré un endroit crucial : dans la deuxième quinzaine de mars 39, Abshagen serine à ses amis très haut placés, notamment dans l'entourage de Chamberlain, qu'à présent l'Allemagne va vers la guerre et que si on veut stopper le processus il faut lui parler le langage le plus ferme (on sait qu'il y a eu des avertissements de ce genre dans l'été 38 avant Munich, mais c'est très neuf pour mars 39).
De là à dire que la garantie de Chamberlain à la Pologne, le 31 mars, est directement téléguidée de Berlin, il y a un pas... que je n'hésiterai peut-être plus à franchir dans quelques semaines.