Muntz a écrit:
Carlo: ta citation de Lénine de 1915 ne fait aucune référence à la Russie, qui n'était pas considérée un pays capitaliste (surtout pas par Lénine), de par son peu de développement industriel dans un univers agricole. Encore en 1915, l'objectif primordial des bolcheviks et autres, mencheviks aussi, c'était d'abattre l'autarcie tsariste, bien plus liée à des rapports sociaux de productions féodaux que capitalistes.
En 1915 le schéma historique marxiste était très clair:
a) Sociétés de l'Ancien Régimen (la Russie appartenait à cette catégorie).
b) Sociétés capitalistes, où la révolution bourgeoise avait déjà triomphée (au premier chef, la France et la Grande Bretagne).
c) Sociétes socialistes, qui ne peuvent venir que des sociétés capitalistes.
Karl Marx n'a jamais dit autre chose. Et même plus, la stratégie de la lutte des mouvements ouvriers devait être toujours de rechercher les alliances avec les mouvements bourgeois pour abattre les systèmes de l'Ancien Régime. Lénine non plus n'a dit autre chose avant la Révolution de Février.
D'accord avec le reste de ton intervention.
Cordialement,
Muntz
Ton schéma me paraît plus marxiste (et en tout cas très simplifié, la "révolution bourgeoise" n’étant pas un critère unique) que léniniste, a fortiori le Lénine de 1915-16. En 1915, s'il parle de façon générale de pays capitalistes, il y a de fortes chances qu'il inclut la Russie dans le lot, d'autant plus qu'il est en train d'imaginer un stade supplémentaire: l'impérialisme. La Russie n'est pas arrivé au stade impérialiste (elle reste à ses yeux un pays arriéré où subsistent des structures pré-capitalistes) et c'est tant mieux car Lénine voit dans le stade impérialiste une menace directe pour la révolution mondiale: la corruption d'une partie du prolétariat (leaders ouvriers et "aristocratie" ouvrière) par les profits de l'impérialisme, les signes de cette corruption sont pour lui clairement dans la politique 'social-chauvine" de la IIème internationale au début de la guerre. De toute façon les thèses d'avril indique bien le volontarisme de Lénine, donc dire qu'il pourrait ne pas inclure la Russie, c'est à dire sa base révolutionnaire, dans les pays capables de voir la victoire du socialisme, me paraît peu probable... Dans Que Faire ? en 1901 il entrevoit déjà la possibilité que le prolétariat russe (qui doit faire face à un régime plus dur) devienne l’avant-garde du prolétariat mondial.
tietie007 a écrit:2°) Segundo, je n'ai pas envie de disserter 1 000 heures sur la définition d'un mot. Le terme "pragmatisme" ne vous convient certainement pas, car il relève d'un lexique se rattachant à la l'idéologie libérale, ce qui ne peut vous plaire. Donc appelez cela "analyse concrète de la situation concrète", si vous voulez, mais cela revient au pragmatisme, et Lénine le fut, lors de la paix de Brest, puisqu'il troqua l'espoir de la révolution mondiale contre la sauvegarde de la révolution en Russie. D'ailleurs, et je le répète, il y eut discussion au sein du comité central et d'autres étaient contre cette paix, car elle mettait fin aux espoirs de révolution mondiale d'après Boukharine. Je cite des faits, pas des opinions sur ce que je pense de ....
Pourquoi troque-t-il l'espoir d'une révolution mondiale? Expliquez-moi comment le révolution mondiale cesse d'être possible? A mon avis on a ici plus une opinion qu'un fait. De fait, il troque la certitude d'être renverser dans les deux mois contre la possibilité de faire avancer sa révolution. La mesure est réaliste, elle part d'une analyse simple de la situation, analyse en phase avec sa critique de la guerre impérialiste.
Ceci dit tout ceci nous amène à nous interroger, et c'est une interrogation bien stalinienne, jusqu'à quel point peut-on expliquer la pratique par la théorie? Jusqu'à quel point peut-on trouver une justification idéologique, un discours théorique, à une pratique quotidienne du pouvoir. Où commence le renoncement? Quand la philosophie se pétrifie-t-elle en dogmes?
Ces questions-là, il me paraît difficile, voir impossible d'y répondre sans aprioris politiques. J'essaye pour ma part d'y répondre sans porter de jugements, mais je me rends bien compte qu'il y a toujours une part de justification dans mes réponses. Je pense que Staline pour l'essentiel a cherché à continuer "l'œuvre de Lénine", qu'il a essayé de le faire en s'appuyant sur le "thésaurus" politique de Lénine, quitte à grossir le trait (le socialisme dans un seul pays) ou à remettre à plus tard.
Staline, plombier plutôt qu'architecte? Il y a pas mal d’idées reçues sur le personnage, et si l’idée d’un Hitler pas complètement cinglé ou demeuré fait son chemin, Staline semble plus difficile à appréhender. J’avais lu Quand l’acier fut rompu, un livre de Marcel Mariën datant de 1957, du temps où il présentait la caractéristique d’être surréaliste et stalinien. Ce petit livre plein d’humour et à des années-lumière de la propagande ordinaire contient quelques-unes des pistes les plus intéressantes pour la compréhension et l’approche critique du personnage Staline.
Mais je me demande si on réorienterait pas habilement le débat en l’éloignant des brumes de la théorie et en le redirigeant vers la guerre. Muntz, F. Delpla ou Daniel sont plutôt tenants d’un Staline peu habile. Si Staline fut un continuateur maladroit, peu équipé intellectuellement, voir un traître pour certains, comment envisage-t-on une politique plus en phase avec la tradition léniniste et surtout, puisque c'est le sujet qui nous occupe plus à même de gagner la guerre?