Post Numéro: 72 de tietie007 09 Aoû 2009, 20:20
Le pacte germano-soviétique a des causes conjoncturelles et structurelles !
1) Les causes conjoncturelles.
Il est vrai que les anglais et les français n'ont pas fait preuve de beaucoup de zèle pour trouver une alliance avec Staline. Il est clair que les accords de Munich pouvait être considéré par le Petit Père des Peuples comme une alliance objective entre les puissances occidentales et le Reich. Mais le géorgien connaissait les plans allemands d'agression. Dans Ce que savait Staline, David E.Murphy, Stock, 2006, pages 48 et 49 précise :
Le 17 mai 1939, Proskourov, chef du renseignement militaire depuis le 14 avril 1939, envoya un rapport à Staline accompagné d’un document annexe de six pages intitulés :
« Les plans futurs d’agression de l’Allemagne nazie selon un officiel du ministère des Affaires étrangères allemand, Kleist ».
Le rapport était classé Top secret et fut produit par la résidence du renseignement militaire soviétique à Varsovie. Il se fondait sur une réunion d’information organisée par le Dr Kleist, chef du département Orient du cabinet de Ribbentrop, pour les hauts fonctionnaires de l’ambassade d’Allemagne à Varsovie, au cours de la visite qu’il fit le 2 mai 1939.
Coïncidence, ce 2 mai 1939, Staline limogea Litvinov , remplacé par Molotov au Commissariat aux Affaires étrangèresn, le premier ayant le défaut d'être d'origine juive, ce qui pourrait être embarassant en cas de négociations avec les allemands.
Dans ce rapport, Kleist affirme clairement l’intention des teutons d’attaquer la Pologne, puis de se retourner contre les puissances occidentales,
pour enfin attaquer l’URSS !
Il rajoute que le conflit avec la Pologne ne devait pas être perçu comme venant de l’Allemagne. Que Berlin discutait avec les ukrainiens, notamment A.Volochine, chef du gouvernement autonome d’Ukraine carpatique et I.Revaï, ministre de ce gouvernement, qui étaient d’accord en ce qui concernait une large autonomie de l’Ukraine carpatique.
Staline était donc au courant des plans hitlériens concernant la Pologne , puis son désir d’attaquer la France et l’Angleterre ! Cependant, il ne pensait pas, comme l’affirmait Kleist, que les puissances occidentales, notamment la France, allaient s’effondrer aussi rapidement !
Le 5 juillet 1939, Proskourov envoya au Commissaire à la Défense, Vorochilov, une lettre anonyme reçue par la mission diplomatique soviétique à Berlin qui disait que « le gouvernement allemand accueillerait favorablement une proposition du gouvernement soviétique concernant un accord immédiat des deux gouvernements sur le sort futur de la Pologne et de la Lituanie » !
Conclusion: La frilosité des alliés et le peu d'entrain que ceux-ci mettent dans la volonté de trouver un accord militaire avec les soviétiques conjugué à l'espoir d'un partage de la Pologne avec le Reich, va faire la différence et engager Staline dans une alliance avec Hitler !
2) Les causes structurelles ou idéologiques : Une conception léniniste de la guerre !
Quelles pouvaient être les pensées de Staline au terme de ce week-end fatidique ? Se résumaient-elles à ses espoirs de recouvrer ces régions de Biélorussie et d’Ukraine qui étaient sous souveraineté polonaise, de gagner l’ assentiment de l’Allemagne pour obtenir la Bessarabie de la Roumanie et l’accord d’Hitler sur la suprématie soviétique dans les pays baltes ?
Ou en revenait-il aux vieilles conceptions léninistes selon lesquelles les capitalistes-impérialistes s’épuiseraient finalement dans les guerres, ouvrant ainsi la voie au socialisme révolutionnaire dans les pays industrialisés ?
Le fameux discours de Staline, devant le Politburo, le 19 août 1939, trouvé dans une section du deuxième Bureau du ministère de la Défense de Vichy consacré au parti communiste français , et qui avait été repris, le 28 novembre 1939, par l’agence Havas, provoqua, le 30 novembre 1939, une réaction immédiate et inattendue du géorgien dans la Pravda, remettant en cause la réalité de ce discours qui évoquait les raisons de l’alliance avec l’Allemagne, notamment un calcul tactique espérant l’épuisement mutuel du camp impérialiste, permettant à l’URSS de tirer les marrons du feu. (Pages 61-63).
L’existence de ce discours secret n’est pas sûre à 100 %, mais la réaction rapide et violente du Petit Père des Peuples aux articles d’Havas est assez curieuse. ( p65) De plus, les commentaires de Staline en présence de Gueorgui Dimitrov, Molotov et Jdanov, que le bulgare a rapporté dans son Journal, reflètent les déclarations contenues dans le discours du 19 août :
« Une guerre oppose deux groupes de pays capitalistes (…) pour le redécoupage du monde, pour la domination du monde. Nous ne voyons rien de mal à une bonne bagarre et à l’affaiblissement mutuel des uns et des autres. Ce serait bien que, par le fait de l’Allemagne, la position des pays capitalistes les plus riches soient ébranlés. Nous sommes maîtres chez nous. Les communistes (…) dans l’opposition dont l’opposition ; là, la bourgeoisie et maître. Nous pouvons manœuvrer, dresser un camp contre l’autre pour les faire se battre aussi férocement que possible. »
Le 5 juin 1941, encore, il y eut des échos dans un discours de Staline aux diplômés des académies militaires où transparaissait sa fascination pour la conception léniniste de la guerre comme accoucheuse de révolutions.
Dans la lignée de son discours, la direction centrale de la propagande politique de l’Armée rouge commença à travailler sur un nouveau manuel politique pour ladite armée. On y trouvait les déclarations suivantes :
( p.66) « Si, comme conséquence de la guerre, une situation se développe dans certains pays par laquelle une crise révolutionnaire mûrit et la puissance de la bourgeoisie s’en trouve affaiblie, l’URSS entrera en guerre contre le capitalisme pour aider la révolution prolétarienne. Lénine a dit : « Dès que nous serons assez forts pour écraser le capitalisme, nous l’empoignerons immédiatement par la peau du cou ».
Si l’URSS avait accompagné l’Angleterre et la France, il ne fait aucun doute que la machine militaire allemande se serait retournée contre l’URSS. La possibilité n’est pas exclue que l’URSS, dans les situations qui pourraient se développer, prenne l’initiative d’opérations militaires offensives. »
Donc si les puissances occidentales ont joué un rôle ambigu envers l'Allemagne nazie notamment la politique qui a conduit aux accords de Munich, il n'en reste pas moins que le rusé Staline, avait des idées derrière la tête, en traitant avec les allemands. Il voulait certes, éviter d'être le dindon de la farce, mais il désirait aussi affaiblir les puissances dites impérialistes, pour tirer les marrons du feu, et souhaitait étendre l'empire soviétique, ce qu'il
a fait avec le partage de la Pologne, qui donna lieu, je le rappelle, à un traité d'amitié et de délimitation des frontières, le 28 septembre 1939, signé avec Ribbentrop, mais aussi, à l'annexion pure et simple des Pays baltes, de la Bessarabie, de la Bukovine du nord, et d'une partie de la Carélie !
Je rajouterai, comme le précise Jean-Jacques Marie dans son Staline, Fayard, 2001, p.587-600, que le géorgien a donné de nombreux gages de bonne volonté à l'Allemagne, par la suite :
- le 11 février 1940, un accord commercial germano-russe est signé. Les soviétiques livreront des matières premières au Reich, contre des brevets et prototypes allemands.
- le 10 janvier 1941, un nouvel accord commercial germano-russe est de nouveau signé.
- A noter que le 20 avril 1941, Staline convoqua Dimitrov pour lui annoncer la dissolution du Komintern : "Le temps du communisme national est venu."
Ce projet est, évidemment, un gage de bonne volonté envers l'allemagne nazie puisque le Petit Père des Peuples abandonne, formellement, le projet d'une révolution mondiale.