carlo a écrit:Aie, aie, aie, s'il y a bien un sujet casse-gueule, c'est l'holodomor, c'est malheureusement un debat ou l'objectivite n'a aucune place et dont l'instrumentalisation est poussee a un point rarement egale. Et fondamentalement je trouve odieux que les parlementaires de mon pays (Belgique) aient coules dans l'airain de la loi, la famine comme un genocide premedite contre la nation ukrainienne.
Je ne nie en aucune maniere l'existence d'une famine documentee et de grande ampleur, dans la resolution de laquelle les autorites portent fatalement une responsabilite, mais ce qui me derange c'est l'acharnement de certains a en faire l'equivalent de la Shoah et cela sur foi essentiellement d'une interpretation totalitaire de l'histoire de l'URSS.
Bonsoir,
Je rebondis avec retard sur la contribution de Carlo. Dans le mesure du possible, pourrait-il m'indiquer la date de la publication au MB du décret, arrêté ou loi qualifiant la famine ukrainienne de génocide ? Merci d'avance !
Pour en revenir à l'
Holomodor ! Nicolas Werth, spécialiste incontesté de l'histoire de l'Union soviétique, s'est longtemps refusé, jusqu'à il y a peu, de qualifier de génocide la famine en Ukraine. C'est à l'occasion de l'ouverture partielle des archives soviétiques et de son dépouillement que N. Werth révise son jugement.
Plutôt que de résumer sa pensée avec le risque de la déformer, je vous propose un large extrait de son ouvrage "
La terreur et désarroi - Staline et son système", éditions Perrin (collection tempus) pp 132 à 134 :
La qualification de la famine de 1932-1933 comme génocide ne fait pas l'unanimité parmi les historiens, tant russes, ukrainiens qu'occidentaux qui se sont penchés sur la question, En schématisant, on peut distinguer deux principaux courants interprétatifs. Il y a d'une part les historiens qui voient dans la famine un phénomène organisé artificiellement par le régime stalinien pour briser la résistance, particulièrement forte, des paysans ukrainiens au système kolkhozien et, au-delà, détruire la nation ukrainienne, dans sa spécificité "paysanne-nationale", qui constituait un sérieux obstacle sur la voie de la transformation de l'URSS en un État impérial d'un type nouveau dominé par la Russie, Ces historiens soutiennent la thèse du génocide. D'autre part, il y a les historiens qui, tout en reconnaissant la nature criminelle des politiques staliniennes, estiment nécessaire d'étudier l'ensemble des famines des années 1931-1933 (kazakhe, ukrainienne, famines ayant frappé une partie de la Sibérie occidentale et des régions de la Volga) comme un phénomène complexe dans lequel plusieurs facteurs, de la situation géopolitique aux impératifs d'industrialisation et de modernisation accélérées, ont joué un rôle important, à côté des "intentions impériales" de Staline. Pour ces historiens, le terme de "génocide" ne s'impose pas pour qualifier la famine de 1932-1933 en Ukraine et au Kouban. Jusqu'à récemment, je me suis senti plus proche de ce courant interprétatifs. Les travaux récents de Terry Martin, notamment sa magistrale reconstitution de "l'interprétation nationale" de la famine par Staline, la correspondance, depuis peu déclassifiée, de Staline avec Kaganovitch, les documents publiés par Iouri Sapoval et Valeri Vassiliev que j'ai abondamment cités ici, m'ont convaincu de la forte spécificité de la famine ukrainienne par rapport aux autres des années 1931-1933. Celles-ci sont les conséquences directes, mais non prévues, non programmées, des politiques d'inspiration idéologique mises en oeuvre depuis 1929: collectivisation forcée, dékoulakisation, imposition du système kolkhozien, prélèvements démesurés sur les récoltes et le cheptel. Jusqu'à l'été 1932, la famine ukrainienne, qui s'annonce déjà, s'apparente aux autres famines, qui ont débuté ailleurs plus tôt. Mais à partir de l'été 1932, la famine ukrainienne change de nature dès lors que Staline décide d'utiliser l'arme de la faim, d'aggraver la famine qui commençait, de l'instrumentaliser, de l'amplifier intentionnellement pour punir les paysans ukrainiens qui refusent le "nouveau servage". Si les paysans sont le plus durement frappés - par la faim entraînant la mort, dans des conditions atroces, de millions de personnes -, une autre forme de répression, policière cette fois, s'abat, au même moment, sur les responsables locaux, les intellectuels ukrainiens, arrêtés et emprisonnés. En décembre 1932, deux décrets secrets du Politburo mettent fin, en Ukraine - et en Ukraine seulement - à la politique "d'indigénisation" des cadres menée depuis 1923 dans toutes les républiques fédérées; le "nationalisme" ukrainien est fermement condamné.
Sur la base de ces éléments nouveaux, il me paraît désormais légitime de qualifier de génocide l'ensemble des actions menées par le régime stalinien pour punir par la faim et par la terreur la paysannerie ukrainienne, actions qui eurent pour conséquence la mort de plus de quatre millions de personnes en Ukraine et au Caucase du Nord.
Il n'en reste pas moins que le Holodomor a été très différent de l'Holocauste. Il ne se proposait pas l'extermination de la nation ukrainienne tout entière, dans sa totalité. Il ne reposa pas sur le meurtre direct des victimes. Il fut motivé et élaboré sur la base d'une rationalité politique et non pas sur des fondements ethniques ou raciaux. Toutefois, par le nombre de ses victimes, le Holomodor, replacé dans son contexte historique, est le seul évènement européen du XXe siècle qui puisse être comparé aux deux autres génocides, le génocide arménien et l'Holocauste.
Pour éviter tout malentenu, soulignons la distinction que fait N. Werth entre l'
Holomodor et l'Holocauste.
Cordialement,
Francis