François Delpla a écrit:Si on prend le chose à la lettre, Hitler est encore plus un surhomme que chez les intentionnalistes les plus extrêmes. L'autodicdacte maîtrise non seulement un grand Etat moderne, mais il en fait une jungle et la domine souverainement !
On ne peut nier sérieusement, d'une part le désordre régnant au sein des hautes instances, d'autre part la maîtrise du jeu par Hitler. Car malgré les divisions qui ravageaient sa hiérarchie, le III.
Reich a fonctionné jusqu'au bout. Hitler était le premier à profiter de ces rivalités, qui lui permettaient de diluer ses propres responsabilités. Il les laissait agir tant qu'elles ne gênaient pas sa politique. Et aucun de ses subordonnés n'a jamais eu une vision complète de ladite politique, tout étant cloisonné.
Il faut faire la part, certes pas évidente, entre une certaine dose de rivalités réelles et beaucoup de répartition consciente des rôles... avec entre les deux des situations intermédiaires diverses. Ainsi lors des contacts de février-avril 45 entre le Suédois Bernadotte et la direction SS, Schellenberg joue les gentils, Kaltenbrunner les méchants et Himmler les arbitres, annonçant de surcroît qu'il est suspendu à la décision de Hitler qui n'a pas encore tranché. Et de temps en temps on fait donner Ribbentrop, qui raconte encore autre chose. Cela ressemble beaucoup à des rôles appris, même si, comme tout bon metteur en scène, l'ordonnateur joue des marottes et du caractère de ses comédiens.
Je ne nie pas qu'en certains cas, comme celui des approches diplomatiques nazies à destination des Occidentaux, les hiérarques jouent consciemment une partition rédigée par le
Führer. Mais nous causons, ce me semble, des relations Himmler-Heydrich, et j'ai montré qu'il existait des éléments propres à établir que l'information dont ils bénéficiaient de la part de Hitler était différenciée (Heydrich a, le premier, appris de ce dernier que les Juifs seraient exterminés) et que l'ascension de Heydrich avait fini par inquiéter Himmler.
Et pour sortir de la mauvaise histoire, il ne suffit pas de se méfier du fonctionnalisme, il convient aussi de répudier un fatalisme facile qui prend sa source dans le goût ancestral du public pour l'épopée : Heydrich, cet archange du mal fauché en pleine ascension, est un nid à fantasmes. Jusqu'où n'allait-il pas monter ? Ne débordait-il pas irrésistiblement, par son virage de Prague et bientôt de Paris, le bureaucrate Himmler resté dans ses pantoufles ?
C'est pourtant le cas, non ? Vous oubliez également sa participation aux projets architecturaux de Speer. Cela dit, Hitler était peut-être soucieux de ne point aller trop loin pour le moment, d'où les autorisations accordées à Himmler pour rogner le domaine de compétences du
R.S.H.A..
C'est vrai, nous sommes dans la spéculation, et elle a sa valeur pour peu qu'on ne la transforme pas, sans faits nouveaux, en certitude. Mais toutes les spéculations ne se valent pas. "Sous-entendez le moins de choses possible", disait mon professeur de version latine. Le fait est que Himmler et Heydrich ne se marchent guère sur les pieds car ils ont chacun un rôle aussi distinct que fondamental. Himmler forge l'instrument SS, Heydrich, sur un large secteur, l'anime.
Ce qui, concrètement, signifie quoi, au juste ?
Une question : en France n'y aurait-il pas la même répartition des rôles entre le bureaucrate Oberg et l'activiste Knochen ?
Possible. Oberg était l'homme de Himmler, Knochen celui de Heydrich.