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Marc RIBOUD : Le Vercors, 65 ans après

Dans cet espace, sont rassemblés sous forme de fiches l'ensemble des biographies, résumés de bataille, thèmes importants concernant la seconde guerre mondiale.
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Marc RIBOUD : Le Vercors, 65 ans après

Nouveau message Post Numéro: 1  Nouveau message de hilarion  Nouveau message 18 Sep 2011, 19:05

Marc RIBOUD, Le Vercors 65 ans après …
A 20 ans, il a pris les armes sur ce plateau légendaire du Vercors. Il y est retourné en 2009. Il nous livre un témoignage poignant.

Je n’aime pas beaucoup les histoires d’anciens combattants, et pourtant j’étais heureux de retourner dans le Vercors. J’ai aimé y marcher, revoir et photographier les prairies et les falaises. La nature y est si belle et si paisible, mais les cœurs et les corps sont toujours marqués par la violence des morts et de la torture perpétrés en ces lieux.

La maquis , pourquoi? Le choix était simple. La voix de de gaulle y était pour quelque chose. Le bruit des bottes allemandes sous nos fenêtres, à Lyon, y était pour beaucoup. Les chants à plusieurs voix des SS étaient beaux mais leurs pas cadencés étaient terribles. Refuser le STO était évident. Un frère, des amis arrêtés et emmenés dans les camps. Oui, le choix était simple : je me suis laissé aller comme l’eau sur la pente.

Je suis parti pour le maquis avec trois amis de Lyon qui, comme moi, allaient à la Maison des Etudiants catholiques, la MEC (ma mère l’écrivait « La Mecque » !). C’était un foyer de résistance, et un des pères jésuites nous a donne un (faux) nom sur un papier comme laissez-passer à montrer aux maquisards. C’Est-ce que nous avons fait.
J’avais 20 ans, j’étais un gamin, je n’avais aucune idée de la guerre ni des risques que je prenais. Nous sommes partis en mai ou juin 1944, d’abord en train jusqu’à Valence, puis en autobus et à pied, à partir d’un village au pied du massif. L’Armée Secrète nous a rpis en charge. Je me suis retrouvé volontaire dans un bataillon de chasseurs alpins.
Le 14 Juillet, je me souviens d’un parachutage massif par les Américains. Nous avions besoin d’armes, et dans les paquets, nous vons trouvé des chaussettes, des souliers dépareillés, des chewing-gums, etc . Les Allemands ont été les premiers à repérer où ils tombaient. Et quelques jours plus tard, dans la plaine de Vassieux, sur le grand terrain d’atterrissage préparé par les Français, ce sont une quarantaine de planeurs allemands qui sont arrivés. Les soldats allemands tiraient sur tout ce qu’ils voyaient : femmes, enfants, animaux.. Ils ont encerclé toute la plaine avec de très gros moyens.

J’étais à Valchevrière, au « belvédère », une espèce de terrasse dominant la seule route d’accès, là où il y a eu le plus de morts. Nous étions encerclés. Le capitaine Chabal nous a dit : « Nous allons faire Sidi Brahim ! », c’est-à-dire se battre jusqu’à la mort. J’étais serveur à la mitrailleuse américaine Remington. Elle a tant chauffé que la balle ne pouvait plus passer, et sans eau, on n’avait plus qu’à pisser dessus, sans succès. On était des amateurs, et en face, c’étaient de formidables guerriers.
Au cœur de l’action, on ne voit rien. On en voit pas l’ennemi, et mon copain m’avait prévenu : « Ne t’en fais pas, quand on entend les balles siffler, c’est qu’elles sont passées ». Il ya eu des tirs de mortiers, de mitrailleuses, de canons. Le bruit de la bataille a été si fort que je suis devenu sours pendant trois jours.
Puis est venu l’ordre de se replier en direction de la ferme d’Herbouilly (le PC de Jean Prevost). C’est ici que je me suis séparé de mon copain Albert potton, avec qui j’avais été volontaire pour toutes les missions depuis le début de la bataille. Chacun est parti de son côté. Et je n’ai revu Albert que plus d’un mois après, je ne savais pas alors s’il était mort ou vif. Il fallait traverser une combe éclairée par la pleine lune, et je me suis dit qu’on allait être abattus comme des lapins. J’ai préféré partir dans la direction opposée et passer la nuit cachée dans les fourrés. Les Allemands mettaient le feu à tous les hameaux, brûlaient les maisons isolées pour que le maquis ne se reforme pas. Les toits de chaume se consumaient avec d’immenses flammes. J’ai franchi un petit vallon et vu l’ombre projetée par l’incendie. Je me suis dit « Quelle Photo ! »

Pour éviter les Allemands, je suis monté en haut d’une falaise. Il y faisait encore nuit, il y avait de la brume et je ne voyais rien. Epuisé, j’ai dormi une heure et j’ai cherché un passage pour descendre de l’autre côté. Dans le noir, j’ai jeté de grosses pierres en différents points de la falaise. Là où la pierre faisait de longs rebonds en chute libre, je devinais un à-pic, et puis une pierre a fait des rebonds réguliers et rapprochés me signalant que je pouvais passer par là. Après la libération, j’ai appris que le Pas du Fouillet était le seul passage pour franchir la falaise, et je l’avais découvert, grâce à mon instinct de survie et à mes grosses pierres.
Arrivé en bas sur la route, j’ai croisé un type du pays et je lui ai dit que j’arrivais de Valchevrière. « un survivant : » s’esst-il exclamé. Il savait déjà que la bataille avait été terrible. Je lui ai demandé si les Allemands étaient arrivés. « Non, pas encore, mais ils ne vont pas tarder » m’a-t-il répondu. « Au prochain village, demandez Monsieur Bonnard. Dites lui que son neveu est vivant ». J’ai marché jusqu’au hameau, trouvé monsieur Bonnard et fait passer le message. Il m’a donné un morceau de pain et de jambon et m’a dit : « Cachez-vous dans la grotte, au pied de la falaise. Quand il n’y aura plus d’allemands, on mettra un grand linge blanc à notre fenêtre ». Six jours sont passés et toujours pas de linge blanc.
J’avais très faim et très soif. Les Allemands surveillaient les points d’eau, je pressais de la mousse pour en faire sortir quelques gouttes. N’y tenant plus, à minuit, j’ai frappé à la fenêtre du « père Bonnard ». Je l’ai appelé, pas de réponse, et après un long silence, il a murmuré derrière son volet : « Partez ! Les Allemands sont dans la ferme. Venez demain au champ, près des faux qu’on aiguise ». Si la sentinelle m’avait pris entrain de parler au père bonnard, il aurait été fusillé sur le champ avec moi pour avoir aidé un « terroriste ».
Ce qui nous a sauvés, c’est la fontaine qui coulait en permanence, comme dans toutes les fermes du Vercors. Grâce à ce bruit, j’ai pu passer par miracle entre deux sentinelles.
Le lendemain, je me suis approché des faucheurs, et j’ai vu une petite troupe de cinq soldats allemands sur des mulets qui se dirigeaient vers moi. Ils suivaient la lisière de la forêt où j’étais caché. Je me suis mis à plat ventre et j’ai vu les soldats passer à quelques mètres. Je voyais le dessous de leurs bottes. Quand ils sont partis, on m’a donné à manger et j’ai appris que les allemands se retiraient.

Ma famille me croyait mort, on a même donné une messe pour moi. Pour rentrer, j’ai d’abord fait quelques kilomètres dans un camion de lait, le seul qui passait, puis une longue marche à pied, en évitant la grande route. J’ai traversé une partie du Vercors et vu, dans les villages détruits, les inscriptions des SS : « Français, traitres à l’Europe ! ». J’ai stoppé un autre camion. Le chauffeur m’a caché sous une bâche. Au barrage, le soldat, paresseux, ne l’a pas soulevée. Arrivé à la maison, je me suis changé (j’étais encore en tenue de chasseur alpin) et j’ai décidé d’aller chez le coiffeur, place Bellecour, où je me suis retrouvé assis à côté d’un officier allemand ! Quinze jours plus tard, Lyon était libérée. Harcelée, l’armée allemande a vite décampé. Les maquis y ont été pour quelque chose. J’ai rejoint alors le 6° BCA sur le front des Alpes, à la frontière Italienne.

Avec le recul, cette période a été une des plus belles de ma vie. J’en ai vécu peu d’aussi exaltantes. L’argent ne servait à rien. Les affections, les amours, les amitiés, la culture, rien n’était vicié, il y avait une sincérité, une pureté, une intensité exceptionnelles dans les relations humaines. J’ai retrouvé un peu tout cela à Prague et en pologne, sous l’occupation Soviétique. Ceux qui résistaient comme Anna Farova, l’une des premières signataires de la charte 77, survivaient grâce à leur culture, à leurs valeurs, à l’amitié.
Rédacteur Fred Bonnus
Le lien pour débattre
Fichiers joints
riboud2.jpg
[i]Marc Riboud lors de sa visite au Vercors en 2009[/i]
riboud2.jpg (74.44 Kio) Vu 2566 fois
riboud1.jpg
[i]Marc Riboud à gauche et son ami Albert à droite[/i]
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