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Rose honoré d'ESTIENNE D'ORVES

Nouveau messagePosté: 16 Sep 2011, 15:39
de fbonnus
QUAND MON PÈRE A ÉTÉ FUSILLE PAR LES ALLEMANDS


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Honoré d'Estienne d'Orves et Mme Rose Honoré d'Estienne d'Orves

Je vois encore la lourde porte de la prison de Fresnes, si impressionnante pour nos petites tailles, les couloirs immenses où nous déambulions tous les six, escortés par des soldats allemands, puis le sas et ce petit parloir, surveillé par un soldat, où nous attendons avec mes frères et soeurs de rencontrer notre père, Honoré d'Estienne d'Orves.

Nous sommes en Juillet 1941, j'ai 7 ans et, pour la première fois depuis plus d'un an, je vais enfin revoir mon papa. Dans une lettre adressée à notre mère, il avait demandé à nous voir : "Je ne crois pas que ce soit trop émouvant pour les enfants de venir dans cette prison pluys cocasse qu'impressionnante, nous passerons un moment dans une petite salle, moment que nous ferons naturellement très gai".
Nous l'apercevons, il descend les escaliers les mains dans les poches, l'air joyeux, nous ne voyons pas les soldats qui l'escortent, nous oublions les portes fermées et les murs glauques. Mon père sourit, nous serre dans ses bras, me fait sauter sur ses genoux avec mon frère Marc, puis cause avec Marguerite et monique mes grandes soeurs, agées d'une dizaine d'années. Maman porte le petit Philippe ... il n'a pas encore 1 an. Nous sommes tous là, réunis pour un petit quart d'heure, quinze courtes minutes et puis il faut partir, quitter papa et suivre sagement maman qui reste toujours droite, retourner à Verrières-le-Buisson dans le château de mes grands-parents où nous prions chaque soir pour qu'Honoré soit libéré.

Libéré Pourquoi ? Nous n'en savons rien et les grandes personnes qui pensent ainsi nous protéger restent muettes. nous passons tout l'été à verrières, où nous jouons dans les grands jardins du château ... C'est là, au milieu des fleurs, qu'une tante m'annonce le décès de mon père. Ma mère nous réunit ensuite : "votre père est mort, mais vous ne devez pas pleurer", nous ordonne t-elle. C'est difficile à 7 ans de rester forte pour faire plaisir aux adultes, pour obéir à maman, difficile de comprendre pourquoi notre père est mort "en héros".

Ma mère, jeune veuve de 31 ans, serrera les dents pour se tenir droite, pour élever ses cinq enfants qu'elle a eus de cet officier de marine exécuté à 40 ans. Cet homme plein de panache qui, après la défaite de 1940, choisit de se rallier au général de Gaulle, devint responsable d'un réseau d'espionnage, fut dénoncé puis arrêté par les Allemands en janvier 1941 avant d'être fusillé, le 29 août 1941, dans la clairière du mont Valérien.
Pour enfouir sa douleur, ma Mère choisit le silence. Nous grandissons tous les cinq avec la présence fantomatique d'un père disparu dont, partout en France, on honore la mémoire avec respect. Ma mère, dans les années 1950, nous lira un poème d'Aragon, "La Rose et le Réséda", où le poète évoque mon père : "Celui qui croyait au ciel". En 1953, avec l'aide de Pierre de Bénouville, elle laisse publier un livre sur l'histoire d'Honoré et ses actes de résistance. Je découvre alors quelques superbes lettres écrites pendant sa captivité.

Ces lettres, que notre mère gardait enfermées dans des valises comme des secrets, nous n'y aurons accès qu'en 1981, lorsque nous décidons, mon jeune frère Philippe et moi, de publier un nouveau livre à la mémoire de notre père. Pour enrichir l'ouvrage, nous entreprendrons des recherches d'archives, recueillons des témoignages et accompagnons sa sortie en allant témoigner au quatre coins de France. Ce rebelle qui "croyait au ciel" nous avait laissé un message dans ses lettres : "Que personne ne cherche à me venger. je ne désire que la paix dans la grandeur retrouvée de la France", avait-il écrit. C'est cette parole que, depuis, je transmets aux jeunes de toute l'Europe, en hommage à l'esprit de mon père.

Le lien pour débattre ici