Bonjour à tous !
D'abord une mise au point : je ne crois pas que nous venions sur les forums pour dire des choses du genre "Machinchose dit ceci mais je préfère Trucmuche car ses thèses ont jusqu'ici convaincu plus de gens", mais plutôt pour examiner des questions historiques. Ce qui ne veut pas dire qu'il ne faille pas parler des historiens, mais qu'il faut le faire en résumant et en comparant leurs arguments, documents, méthodes, etc. sans que leur forte ou faible audience entre en ligne de compte. On peut très bien être célèbre et se tromper, ou être obscur... et se tromper aussi !
En ce qui me concerne, j'ai été frappé il y a une quinzaine d'années par la propension de ceux qui avaient écrit sur Hitler à sous-estimer ses capacités intellectuelles et manoeuvrières. Il ya toujours eu des exceptions (Raymond Cartier, Hugh Trevor-Roper, quelques autres) mais ponctuelles : ces auteurs pondéraient mal l'intelligence de Hitler et les facteurs considérés par les autres comme rendant compte de tout son comportement, brouillonnerie, paresse, emportement, fanatisme, incapacité d'écoute, etc. . Je ne me reconnais, de ce point de vue, que deux maîtres, qui ont commencé à s'exprimer sur le sujet vers 1990, deux John d'origine européenne installés aux Etats-Unis, Lukacs et Costello, d'ailleurs fort différents entre eux.
Lorsque j'ai écrit sa bio, en 97-99, après avoir surtout travaillé sur l'année 40, j'ai voulu développer quelques intuitions de ces deux auteurs et j'ai dépeint un Hitler très calculateur, notamment pendant la dernière semaine de son existence, tout en dégageant le rôle fondamental de Himmler et de Göring dans la mise en oeuvre de ses mystifications. Je le montrais aussi, bien sûr, fanatique et croyant dans une certaine mesure à ses fables, notamment sur les Juifs.
Depuis, de l'eau a coulé sous les ponts, et si je reste d'accord avec presque tout ce qu'il y a dans ce livre, je le trouve bien incomplet. J'ai découvert ou un peu mieux lu certaines sources. J'ai notamment trouvé dans les archives des décryptements britanniques le télégramme pleurnichard de Göring au moment de son arrestation (voir en fin de dossier :
http://www.delpla.org/article.php3?id_article=55). Et puis j'ai travaillé sur la vie personnelle de Hitler à travers ses relations féminines, ce qui a donné lieu à certain affinements concernant la dernière semaine (j'ai notamment exploité le témoignage de Traudl Junge suivant lequel il était resté prostré du 22 au 28 avril puis avait été comme dopé par la "trahison" de Himmler :
http://www.delpla.org/article.php3?id_article=216). Surtout, ce travail m'a permis de mesurer mieux le rôle de la "mission" qu'il croyait avoir reçue, et que les femmes autour de lui avaient pour fonction de confirmer en permanence.
C'est donc un Hitler toujours aussi calculateur mais plus fragile qui m'est apparu, et s'il se peut encore plus cynique. Et j'en viens, notamment dans mon futur livre sur Nuremberg, à considérer que quelque chose a pu se fêler dans sa complicité avec Göring au premier semestre de 1941. Autant le Reichsmarschall a joué à être contre la guerre en 38 et 39, autant en 41 il est vraiment contre l'invasion de l'URSS avant d'avoir liquidé la GB... et dès lors il devient lui-même, en partie, un manipulé (notamment lorsqu'on lui fait contresigner la Solution finale, vraisemblablement sans lui en dire beaucoup sur les modalités).
Ainsi, quand il se laisse engueuler comme du poisson pourri lors des réunions d'état-major en 43-44 pour l'impuissance de la Luftwaffe à enrayer les bombardements, est-il résigné ou complice ? J'aurais plutôt tendance à présent à pencher pour la première solution.
En ce qui concerne la "trahison" du 23 avril 45, je crois donc moins que jamais à une intox de Bormann (un exécutant incolore et sans initiative) envers Hitler. Il me semblerait plutôt que Hitler encourage Göring à négocier après sa mort, puis le laisse dans l'expectative et le flou sur le moment, après quoi le fameux télégramme apporté par Bormann est exploité pour rompre les amarres et convaincre d'autant mieux les Américains que le torchon brûle entre lui et Göring que ce dernier n'était pas prévenu et se met réellement à trembler pour sa vie. Le mythe de la "trahison" de Himmler, 5 jours plus tard, est du même tonneau, sinon que là je ne vois pas comment il n'y aurait pas complicité : car si Göring est à la tête d'une Luftwaffe détruite, Himmler possède un appareil SS intact et, de sucroît, étant bien moins intelligent que Göring et moins apte à comprendre Hitler au quart de tour, il a sûrement besoin d'une feuille de route assez précise.
PS.- J'envisage de reproduire sur mon site des bouts de ce débat et souhaiterais recevoir les autorisations des intervenants.