Généralement on considère que l'épuration sauvage a été nécessaire mais limitée dans le temps et en nombre. C'est loin de correspondre à ce qui a été vécu. D'autant que la version officielle prévaut toujours, les accusations valent condamnation même lorsqu'après guerre des témoignages viennent infirmer ou nuancer des accusations. Dans ces affaires la parole des victimes manque.
Un document particulièrement intéressant (et émouvant) parce que contemporain des faits, éclaire différents aspects de ce type d'affaire: Environ deux semaines après le Débarquement les Gendarmes découvraient aux environs de Loudéac le corps de deux sœurs, enlevées chez elles par un groupe de Résistants, violentées et exécutées. Le Maire du lieu à l'époque " (Je) ne connais aucun renseignement sur ce double assassinat. Je connaissais très bien ces deux jeunes filles qui sont arrivées de Paris où elles travaillaient. Il est de notoriété publique que les filles XXX fréquentaient des militaires de l’armée d’occupation et ont été vues à plusieurs reprises en leur compagnie. Elles étaient réputées comme étant de mœurs légères surtout la plus jeune".
Il s'agissait d'une expédition punitive pour une affaire de "collaboration horizontale", en somme "justifiée".
Pourtant l'affaire dérangeait, et dérange toujours, localement.
Les Archives Départementales conservent la lettre découverte par les Gendarmes dans la poche de la plus jeune des filles. Elle pensait pouvoir faire entendre sa version des faits.
Il faut avoir en tête que les deux jeunes filles au moment des faits qu'on leur reproche avait seulement 15 et 17 ans. 17 et 19 ans au moment de leur assassinat. La lettre donne des indices sur
l'ambiance qui régnait, le caractère prémédité des assassinats ainsi que sur leurs auteurs et les commanditaires:
"Monsieur
De tous côtés j'entends les gens parler de moi. Je suis fausse, ect ect... Je vous en prie Monsieur laissez moi vous parler ce n'est pas pour mon honneur dans le pays elle est bien faite mais je vous demande ceci pour le bonheur de mes parents. Croyez moi.Tout de suite vous allez penser que je veux vous faire croire que Tout ce que vous entendez est faux. et bien oui. Je vous avoue tout de suite que j'ai parlé aux Allemands et même bu avec eux. Il y a deux ans lorsqu'il y en avait à xxxx j'étais alors en vacances on m'invitait à rentrer étant cliente de cette maison je ne refusais pas. C'est de cette façon que j'ai été débauchée Mais je n'admettrai pas qu'on dise que j'ai eu des rapports avec eux (les gens me jugent mal mais je ne suis pas celle qu'ils croient) que j'ai fait quelque chose pour leur bien pour entretenir la guerre. Non cela est faux. Je vous le jure absolument faux. Et si je leur ai parlé vous devriez savoir que je n'aurais jamais pensé que ces bagatelles auraient amenées de pareilles histoires. Je manque de réflexions je n'ai que dix sept ans. Et tout le tort est mis sur moi. Pourquoi alors qu'il y en a tant d'autres qui ont fait beaucoup pire. ET aussi mes parents leur aurait vendu un cochon, il faudrait avoir des preuves sures avant d'imaginer de pareils mensonges. Et en avez vous?
Si les Allemands venaient chez nous ce n'était pas principalement pour nous ils s'arrêtaient dans tout le village. Nous ne leur avons jamais rien vendu du reste la ferme que que mes parents exploitent est trop petite pour vendre en dehors du ravitaillement et depuis ces deux années j'étais à Paris il me fallait aussi quelques colis. L'année dernière je suis revenue en vacances personne ne peut rien dire. Je ne me suis occupée de rien. Après ce petit stage je suis retournée à Paris, il faut bien que je gagne ma vie je n'ai pas eu le bonheur de naître riche. Vu les évènements il y a deux mois que je suis revenue. Je n'étais pas trop arrivée que j'ai entendu parler qu'on voulait me tondre. N'étant pas en tort je ne voulais pas qu'on me fasse ainsi qu'à ma sœur une telle honte. Je me demandais pourquoi cela m'aurait été fait. Est ce que je le mérite pour leur avoir parlé Il est vrai que d'après les gens j'ai fait bien autre chose.
J'ai rencontré un jeune homme. Je le lui ai dit. Et n'importe comment j'en voudrais à un jeune homme je ne voudrais pas le dénoncer à la Kommandantur. Ah non je ne le ferai jamais. J'en veux à personne j'ai les idées assez larges Chacun est libre de ses actions. Je demanderai simplement qu'on me laisse tranquille je ne fais aucun mal. Maintenant quoiqu'il arrivera je sais qu'on me jugera coupable. Toutes les histoires sont dues à de mauvaises langues. Je suis innocente entièrement innocente. Je vous prie de me croire je suis moi aussi Française et je suis prête à tout pour vous aider à terminer la guerre. Je ne vous blâme pas au contraire je vous approuve.
Monsieur je ne vous connais pas mais j'espère que vous connaissez la mentalité des gens de campagnes et la grande jalousie qui règne. Renseignez vous en lieu sûr avant de faire quelque chose Naturellement je n'ai pas de conseils à vous donner. Soyez indulgent et je vous demande surtout de me croire, je suis innocente je vous le jure. avec mes sentiments de française"