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Libération du 19ème arrondissement de Paris - Témoignage inédit-1

Nouveau messagePosté: 24 Aoû 2014, 09:27
de cvirlo
Exp : JUNCKER, 105 rue Manin, Paris XIX

Madame Garret

5 boulevard de la République

RIOM

- Puy de Dôme -

Maurice JUNCKER

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VIVE LE SON DU CANON

o-o-o-o-o-o-


choses vues


A Madame et au Commandant

Georges Collignon, en toute

affection.


Paris, le 22 août 1944



Je suis éveillé par ma femme. Elle est émue et peut à peine parler. Les alliés, me dit-elle d'une voix qui s'étrangle, sont à Angoulème..... Comme ils doivent être heureux à Nersac. Une larme perle au coin de son œil.


La nouvelle tant elle est inattendue me laisse septique. J'hésite à la tenir pour vraie. Peut être n'est-elle qu'un bruit comme tant d'autres, un bobard lancé au hasard, un canard volant à l'entour. Elle se confirme. Notre émotion est indicible. Elle accentue l'état de fièvre où nous sommes.


C'est que nous vivons des jours angoissants et formidables. Nous avons, comme chacun, suivi de la pensée, en pointant sur la carte, l'effort sanglant des Anglais pour desserrer l'étreinte en Normandie, l'avance rapide des Américains. Nous les attendons. Beaucoup déjà les imaginent défilant dans nos rues. Il n'est pas une maison qui n'ait préparé leur réception. Des drapeaux, des cocardes, des panneaux se confectionnent. Le plus superficiel des observateurs voir la transformation des appartements en teintureries. On y fait sécher des étoffes bleues ou rouges.


Durant ce temps, les Allemands, à la gare de Belleville Villette, près de chez moi, manipulent de l'essence. Elle arrive en wagons citernes puis embidonnée et expédiée, par camions, sur le front de Normandie ; L'activité a faibli. Le bruit de l'évacuation de la gare court. Certaines choses paraissent le confirmer. Nos hôtes indésirables se montrent nerveux. Ainsi, une réparation à la voie a du être faite. Des pétards ont été posés pour la couvrir. Au passage d'un train militaire, ils ont éclatés. Les soldats, croyant sans doute à une attaque tirent dans toutes les directions à tort et à travers. Des balles balafrent les murs, crèvent les fenêtres. On suppose que des habitants ont été blessés. Les langues s'agitent, la colère gronde. Les progrès des troupes alliées en direction de Paris prédisposent à l’extérioriser. On les attend de jour en jour, d'heure en heure, de minute en minute. Pierre les annonce à Versailles. Paul les a vus à la porte de Charenton.


Je reçois d'innombrables coups de téléphone. On me demande des nouvelles. Je n'en a pas et nul n'en a plus que moi. Mes amis, parisiens ou banlieusards, savent seulement que dorénavant, la radio sera discrète. Ainsi en a décidé le Grand État Major.


Faute de mieux, on commente les faits divers des jours précédents. Le vendredi 18 août, les Allemands auraient retiré leur garde des Magasins Généraux voisins. Le soir, un pavillon était en feu. On prétend qu'il aurait été incendié par les ex-occupants. Mais que ne dit-on pas.


Ce fut suffisant pour que des inconscients ou de louches individus se ruent à la curée. Des mégères et des voyoux profilent au long des murs leurs silhouettes ployées sous le poids de sacs de pâtes alimentaires ou de caisses de conserves. De moins hardis dissimulent dans leurs poches ou sous leurs effets de moindres larcins, boites de thon ou de confitures. Donnons leur cette excuse qu'affamés,, ils ont cru se ravitailler.... sur l'ennemi.


Le gros du public est moins indulgent. Des groupes se forment. Ils protestent, menacent et s'enhardissent à contraindre les pillards à se délester Un commerçant voisin a recueilli dans sa cave une centaine de kilos de riz. Il est l'objet d'une vive réprobation.

Paris en fermentation sent que l'heure de la bataille est proche. Il la veut propre et grande. Son histoire doit être pure.

Avec la nuit, ses bourgeois s'en sont allé se coucher. La pègre a été plus endurante. Mais à l'aube du samedi 19 août la chasse aux fripons recommence et s'intensifie. Les bourgeois paraissent cette fois être encadrés par de gens de la Résistance. On relève l'état civil des voleurs et le fruit de leurs exploits est entreposé. Cela se passe en général sans douleur. Les chapardeurs sentent que leur mauvaise grâce pourrait devenir cuisante pour eux. Seules quelques femmes poussent des clameurs. Elles affirment qu'elles ont le droit de sauver leurs enfants de la faim. Il n'est point autour d'elles quelqu'un pour ne pas être affamé mais tous, d'intuition, comprennent que le désordre n'est pas une solution. La répression est impitoyable. Un homme, en se jetant sous un porche d'une maison, cherche à échapper à ceux qui l'ont arrêté. Il doit sortir aussi vite qu'il est entré. Tout penaud, il va maintenant sans plus insister, déposer sa caisse.


Bientôt, un camion vient enlever les marchandises ainsi récupérées.


Si le spectacle est bruyant, il est réconfortant. La police comme tous les services publics, sauf ceux indispensables à la vie matérielle (?). Ainsi l'a ordonné la Résistance. Le peuple fait sa police. Il se montre ainsi une force consciente.


Une faute menace de tous gâcher. On arrête une homme chargé d'un sac très lourd. On le lui fait vider sur le trottoir. Des boites de conserves roulent à droite et à gauche. Il est difficile de les faire transporter une à une au dépôt qui n'est pas très voisin. Un agent de police bénévole veut jour le grand seigneur. Il annonce qu'il va le distribuer à la population. Hélas, il ne parviendra pas à discipliner les quémandeurs. Ceux ci sont nombreux. Dans leur simplicité, ils ne réalisent pas qu'ils se font ainsi les receleurs d'un pillage. Ils ne voient qu'une chose. Il y aura beaucoup moins d'élus que d'appelés. Chacun veut avoir la place la plus favorable. Le tapage est infernal. On se croirait chez les aras du zoo.


Le bruit est tel qu'il attire l'attention des Allemands. Un officier accompagné de plusieurs hommes, fusil au poing, intervient. Il s'informe, visite le dépôt et naturellement le fait vider par un camion. Nos vivres seront pour « ces Messieurs ». Le peuple murmure, proteste et submerge Herr Officier et ses hommes. Pour se dégager, à leur tour, ils vont procéder à une distribution. Ce n'est pas très glorieux. Je me console en pensant que c'est autant que les prussiens n'auront pas.


L'effervescence n'est pas complètement calmée qu'elle reprend sur nouveaux frais (?). Le bruit court que dans Paris les incidents se multiplient. On parle de barricades. La bataille ferait rage en certains centres, en particulier vers l'Hôtel de Ville, au Quartier Latin, à la Place de la République. Les informateurs sont au reste aussi imprécis que possible. Ici, tout est calme ou du moins le paraît. C'est à peine si l'oreille perçoit le roulement assourdi du canon.


Brusquement des mitrailleuses crépitent très près. Elles tirent rue Manin, dans la direction du pont enjambant la voie de chemin de fer de ceinture. Il y a un instant, mélancoliques et sales, deux sentinelles allemandes y protégeaient le travail des pétroleurs. Elles auraient été tuées sans que l'on sache ni par qui, ni comment. Plus tard, leur mort sera une histoire ou une légende. Pour le moment une seule chose est certaine, elles ont été tuées. Nous les avons vues jetées assez irrespectueusement sur une civière.... sement, l'une par dessus l'autre sur une unique civière. Les camarades qu la portent ont manifestement hâte de quitter la zone dangereuse. Ils se dirigent vers la gare de marchandises. Cest maintenant l'heure des représailles. Non seulement les balles sifflent mais la soldatesque teutone se déchaîne. A coups de crosse, elle démolit la devanture de notre boulangerie. La boutique d'un cordonnier voisin subit le même sort.


Le calme renaît.


Mais voici que dans le jour tombant, vers le nord, une lueur sinistre monte. Un épais nuage de fumée l'obscurcit. Les Grands Moulins de Paris brûleraient. Nous observons de chez Germaine, deux des fenêtres de son appartement s'orientant dans la direction. Longtemps, je suis incertain. J'ai l'impression qu'incandescence et fumée sont à un arrière plan. Les Moulins se détachent nettement. Rien ne permet de dire qu'ils sont entamés. Très tard dans la nuit pourtant la flamme paraît lécher la toiture. Le lendemain au matin, la silhouette médiévale des Moulins est toujours à sa place. Le campanile est intact. Mais de la toiture de tout un corps de bâtiment, il ne reste plus que la carcasse métallique. Je ne sais quelle est l'importance de dégâts. Si les renseignements donnés à Germaine sont exacts, les Allemands auraient fait sauter des péniches de torpilles sous marines et c'est l'explosion qui aurait provoqué l'incendie. Ce n'est pas impossible. Mais dans le même temps, Germaine entendait des commères se conter de bouche à oreille que la gare de Belleville Vilette était complètement détruite.


Que va être le dimanche 20 août ? Dès la pointe du jour, on se le demande sur le pas des portes. Assez généralement, le public est optimiste et crane. Quelques timides cependant se lamentent. Quelle folie de s'exposer à la follie germanique alors que la population de Paris est désarmée. Comme pour donner de l'autorité à ces discours, des coups de feu les ponctuent. Des autos menaçantes chargées de soldats en armes, hérissées de mitrailleuses, circulent. A leur apparition, le public se rentre, les portes se ferment. Elles s’entrouvrent, l'alerte est passée. On commence à craindre le pire.


L'estomac conserve ses maigres droits. Le déjeuner est troublé par la venue d'une automobile actionnant un haut parleur. Des têtes curieuses paraissent à toutes les fenêtres. On entend mal. On croit comprendre qu'une armistice serait intervenue entre le Gouvernement Provisoire de la République et les autorités allemandes. Les troupes d'occupation se retireraient et la population devrait s'abstenir de gêner le mouvement de repli. L'information émanerait de la Préfecture de Police.


Cet armistice a-t-il été signé ou non. Je n'en sais rien encore bien qu'il m'ait été donné de lire à la porte d'un poste de secours une note dactylographiée conforme à cette information. N'était ce que le mensonge d'une Préfet de Police, affolé par la défection complète de ses services gagnés à la Résistance ? La grève, suivant des renseignements sérieux aurait été réalisée par 99,7% des agents. L'histoire éclairera ce point quelque jour.


Quoiqu'il en soit, une joie immense se répand dans le voisinage. Elle s'accroit s'il se peut, à la nouvelle que la mairie a arboré le drapeau à nos trois couleurs, depuis longtemps proscrit. On assure que le quartier des Halles a déjà pavoisé. Oh le beau dimanche. Les gens en habits de fête ont gagné la rue. Ils se congratulent. Ils parlent du défilé triomphale des Sammies en tenue d'apparat, dans les voies de la capitale. C'est le prélude de la fin, de la fin de la guerre.


On ne se souvient plus que ce matin encore, la moindre sortie était dangereuse. Ma femme et ma fille étaient allé au ravitaillement. Elles ont essuyé le feu d'une sentinelle allemande. Fort heureusement les bougres sont mauvais tireurs. Ce n'a été qu'une émotion d'une courte durée. Ces dames sont rentrées sans paraître autrement émues. Maintenant ces aventures sont terminées, bien terminées.


Dans ce délire, une désagréable surprise est causée par le claquement prochain d'une mitrailleuse. Le détachement allemand de la gare aurait été attaqué. Il riposte en tirant violemment sur les immeubles voisins . Des balles atteignent le notre. Elles causent à l'intérieur des dégâts matériels. Rien de bien grave. Mais un peu plus loin, une femme et une jeune fille auraient été tuées alors qu'elles essayaient de voir au travers des persiennes.


Germaine a été une des victimes de cette aventure. Elle a trouvé le lendemain la trace de trois balles dans sa cuisine Pus exactement de deux balles, la troisième s'étant arrêtée dans le montant de la fenêtre. Fort heureusement, elle était absente au moment des faits. Elle est persuadée, en raison de certaines observations, que ses visiteuses seraient venues le lendemain. Ce n'est pas impossible mais je ne suis pas autrement convaincu.


L’échauffourée après l'annonce de l'armistice a produit un peu de panique.


Les Allemands ont-ils bien été attaqués et s'ils l'ont été, les agresseurs ne sont-ils pint quelques fous ou ce qui serait pus inquiétant des agents provocateurs. Les gens de Darnan et de Déat, sans compter ceux de Doriot, sont sujets à caution.


A tout hasard, je téléphone au commissariat de police pour signaler le fait. Un inspecteur me répond avec une nuance d'indifférence : « Que voulez vous, il y a à Paris au mois trois commandements : celui des boches, des autorités régulières et celui de la Résistance. Merci de votre communication, je vais prévenir la Résistance qui occupe la mairie »


La communication ne me paraît pas avoir produit d'effet. L'incident se poursuit. Que faire pour arrêter ces forcenés ? Ils poussent de rauques hurlements. De ma fenêtre, je les aperçois.allant, venant, épiant. Un grand diable blond, tête nue, les cheveux ébouriffés, le casque pendu au ceinturon, se montre particulièrement excité. Sa face rougeaude est mainfestement congestionnée par l'alcool. Il est au milieu du carrefour des rues Manin, David d'Angers et d'Hautpoul. Il épaule et tire. Sur quoi, Grands Dieux. En ce moment, il n'y a pas un chat dehors. Lentement avec le jour qui baisse, la fusillade s'éteint... On n'entend plus que le bruit très lointain du canon.


Le lundi 21 août, à peine levé, je vais à la fenêtre de mon escalier d'où je peux observer la gare. J'espère ne plus voir ces bêtes indésirables. Cela ne nous était-il pas promis par l'information diffusée par la Préfecture de Police ? Ils sont toujours là. C'est une déception. J'essaie de m'en consoler en constatant qu'ils montrent une moindre activité. Ce soir ou demain matin, pensais-je, ils nous auront débarrassés.


Le temps est superbe dans le ciel limpide, le soleil montant étincelle. Peu à peu, sur le pas des portes se forment de petits groupes bavards parmi les enfants qui jouent. Nul ne se hâte vers le travail. Pour une fois, la grève est vraiment générale, absolue. Les boutiques restent closes à l'exception de celles d'alimentation et des pharmacies. L’atmosphère n'est pourtant point celle des dimanches calmes. Les gens n'ont pas paressé au lit, ils n'ont pas sorti leurs beaux habits aux plis trop raides qui donnent à ceux qui les portent des airs de mannequins de modes. Il y a du laisser aller, sinon du débraillé. Si les femmes ont encore des soucis de coquetterie, beaucoup d'hommes sont en bras de chemise. Quelques uns, pour montrer qu'ils sont heureux, réalisent le conte oriental et renoncent à la chemise même. Un pantalon de travail et un gilet de flanelle forment toute leur vêture. Les gens ne déambulent pas. Ils flânent devant leur demeure.


Je n'ai plus de tabac. Je décide, pour tromper le désir, d'aller acheter des cigarettes anti asthmatiques chez un pharmacien dont l'officine fait l'angle du Faubourg Saint-Martin et de la rue Alexandre Parodi. Ma femme et ma fille m'accompagnent. Sans le moindre incident, nous allons notre chemin. Des affiches appelant le peuple à la résistance sont apposées sur les murs. Nul ne songe à les détruire ni à disperser le public qui se presse à l’entour non sans les commenter.


A la traversée du canal, sur le pont de la rue Louis Blanc, deux sentinelles interdisent le quai de Valmy où se tient je ne sais quel service de l'armée d'occupation. Sur l'autre côté du pont, des gens placides sont accoudés au parapet. Ils contemplent le miroir verdâtre du bassin. Des jeunes gens y jouent au water polo. On est bien loin de la guerre. Il avait fait chaud. Ainsi « nos invités » avaient été à boire un peu plus que de raison. C'est sans doute la raison pour laquelle juste au moment de notre rentrée, des salves se font entendre du côté de la gare toujours occupée. A en croire les allemands, ils auraient été attaqués par deux hommes qui se seraient réfugiés dans une maison de la rue d'Hautpoul. Les plus braves d'entre eux, avec des ruses d'apaches, traversent la rue et s'installent dans le cimetière ainsi que dans la cour contiguë d'un lavoir. Ils ouvrent alors un feu croisé dans les fenêtres les plus proches. Et bing, un careau est brisé, et boum, en voilà un autre cassé. Le jeu est passionnant, il faut croire. Les tireurs perdent toute prudence. Ils quittent leur abri et gagnent le milieu de la chaussée. Les carreaux, eux, n'y gagnent rien. Ils sont systématiquement descendu les uns après les autres. Les intérieurs des appartements, cela va sans dire, sont aussi maltraités que les vitres. Par miracle, il n'y aurait eu aucun blessé.

Le mardi 22 août est relativement calme. Pour le commun du moins. Car allemands et Forces Françaises de l'Intérieur se saluent , de temps à autre, par des pétarades. La gare a maintenant changé d’occupants. Elle est entre les mains des nôtres.


Il y a cependant de l'électricité dans l'air. Chacun à son histoire en réserve. Qui parle de ce qui se serait passé à la Place d'Italie ou à Clignancourt, qui rapporte les évènements de Passy ou de la Place Saint Michel. Tel autre informe sur les Halles ou le Luxembourg. Les détails abondent. Ils sont plus effrayants les uns que les autres. Les gens pusillanimes s'alarment. Ils estiment déraisonnable d'aller avec des mitraillettes à la bagarre contre un ennemi utilisant des tanks. Pour un peu, ils engueuleraient nos petits gars.


Ceux-ci sont, il est vrai, singulièrement équipés et armés. Ils n 'ont pas d'uniformes. Les uns sont en veston comme tout le monde. Les autres n'ont même pas de veston. Ils sont en chandail ou en manches de chemise. Ils sont chaussés d'escarpins, de vieilles godasses ou de savates. Quelques privilégiés possèdent un casque, les autres des bonnets de police, des bérets ou de vulgaires casquettes. Généralement, ils ont des fusils de guerre démodés. Voici un petit groupe Les hommes ont passé à la ceinture de mauvais pétards de cavalerie. Ils n'en sont pas moins plein d'entrain, en se défilant « casser la gueule au boche ».


Les pusillanimes s'impatientent de la lenteur des troupes alliées à se monter. Leur présence les rassurerais Ils tendent l'oreille et s'efforcent de mesurer l'éloignement des canons.


“C'est comme hier”

“Non, on dirait que le bruit se rapproche.”

“Cela dépend du vent.”

“Qu'attendent-ils pour arriver. Ils étaient hier à Versailles. Ils devraient être là.”

Allez expliquer à ces trembleurs qu'il est plus facile d'agiter le langues que d'avancer sous la mitraille. Ils ne manqueront pas d'invectiver contre les gens foutre et les défaitistes. Ils n'en démordent pas, les Anglais et les Américains ont été fabriqués pour les délivrer et les protéger. En tardant à venir, les troupes alliées manquent à tous leurs devoirs. Voilà.


Fort heureusement la grosse masse de la population parisienne a un tout autre esprit. Ces lamentations font hausser les épaules. Par contre, elle aime l'éloquence. Elle commente abondamment les nouvelles radiophoniques ou encore celles de Paris et de la banlieue immédiate transmises de bouche à oreille. On reste confondu par la rapidité de leur transmission. Que de fois, au cours de ces journées, ai-je reçu des coups de téléphone d'amis habitant loin d'ici. Ils croyaient m'apprendre des choses de leur quartier ou de leur commune. Je les connaissais depuis belle lurette.


Jamais le téléphone ne fut plus actif. Le mien n'est pas seulement à mon usage. Tous les habitants de l'immeuble s'en servent pour demander ou recevoir des communications. Un fils nous prie de quérir sa mère, une fille réclame son père. Un gendre est pris soudain d'une infinie tendresse pour sa belle-mère. Il la faut chercher sans retard. Des inconnus, bloqués sous le porche par la fusillade, demandent de prévenir les leurs. Mon cabinet, où^est installé l'appareil est un véritable central téléphonique. Pour satisfaire à tous, il me faudrait un employé à l'écoute et un chasseur pour les transmissions. En temps normal, le sujet serait insupportable. Elle paraît naturelle. Il passe une vent de fraternité, la fraternité des armes. Seul le boche en est exclu.


Elle n'empêche pas de penser à de graves événements. On a appris que les mairies étaient occupées par le « Résistance ». Les couleurs nationales ont été arborées. Les autorités allemandes ne réagissent pas. On peut dès maintenant pavoiser.


Coup sur coup, je suis informé que notre drapeau ne flotte plus à la mairie de l'arrondissement. Celle du 10° arrondissement aurait été attaquée par les troupes d'occupatio et enlevée d'assaut. Des nouvelles plus rassurantes parviennent d'autres coins. La lutte est ardente mais nos troupes tiennent bon. Il me faut pour me résigner sentir mes forces déclinantes. Elles m'interdisent la bataille physique. Je n'ai pas le droit, dans ces conditions, de juger l'effort des camarades. Je ne puuis que faire de mon mieux pour calmer les impatiences, consoler les douleurs, relever les volontés défaillantes. N'est-ce pas une manière de servir. Elle est peu glorieuse. Je m'y donne pourtant de toutes mes forces, faute de pouvoir mieux faire.

Re: Libération du 19ème arrondissement de Paris - Témoignage inédit-1

Nouveau messagePosté: 25 Aoû 2014, 11:49
de Bruno Roy-Henry
Très bon témoignage, alliant à la description des choses vues, un talent littéraire certain... La basoche avait du style, autrefois !