François Delpla a écrit:Le récit de Dulles est peu fiable et fort daté.
Il date notamment d'une époque où on ne prêtait pas à Hitler, surtout vers la fin, la moindre qualité manoeuvrière.
Il est tout à fait probable qu'il ait été très bien informé de ce qui se tramait, et en ait joué pour enfoncer un coin entre les Alliés, ce qui a d'ailleurs failli réussir.
(à suivre)Cinq jours plus tard, l’industriel italien revient… avec Dollmann en personne. Le 3 mars, ils rencontrent un collaborateur de Dulles et Dollmann demande, à un moment, si les Américains sont disposés à traiter avec Himmler. Il reçoit une réponse négative. Puis le représentant de l’OSS exige, avant toute poursuite des discussions, la libération de deux résistants italiens dont un chef important, Ferruccio Parri.
Le dossier des archives de Churchill sur cette affaire commence par un télégramme d’Eisenhower aux chefs d’état-major américains et britanniques, daté du 27 février. Il fait état de la prise de contact « d’un ou plusieurs officiers supérieurs allemands » avec l’OSS afin de « faciliter une victoire alliée à l’ouest ». Il s’ensuit, le 2 mars, un rapport du JISC posant la question de l’implication de Himmler dans la démarche, et laissant entendre que si elle est pilotée par lui son intérêt est nul. En tout état de cause, si on donne suite, il convient de consulter le gouvernement soviétique.
Une mention manuscrite de Churchill sur une note du colonel Hollis nous renseigne précisément sur son opinion le 7 mars : « si vous êtes d’accord », disait la note (datée du 6), il faut consulter les Soviétiques par l’intermédiaire des ministères anglais et américain des Affaires étrangères. Et Winston écrit : « Je suis d’accord ».
La pièce suivante est donc, en toute logique, un télégramme de Kerr, l’ambassadeur britannique à Moscou, daté du 10 mars, déclarant que le gouvernement soviétique considère les pourparlers proposés comme « de la plus haute importance » et qu’il va déléguer pour y participer trois diplomates, dont deux sont d’ores et déjà désignés, Sousloparov et Dragun.
Le 9, Alexander avait fait état d’informations communiquées par l’OSS, suivant lesquelles Wolff était prêt à engager des pourparlers à Lugano, assisté des officiers Dollmann et Simmer , et souhaitait accompagner l’annonce de la reddition des troupes de l’Axe en Italie d’une proclamation au peuple allemand disant que la lutte était sans espoir. Comme preuve de bonne volonté, Dollmann a fait libérer Parri. Toutefois, le fait que Wolff et Dollmann soient de proches collaborateurs de Himmler rend Alexander « très méfiant ». En définitive, il prend néanmoins parti pour l’envoi en Suisse de deux officiers de son état-major, l’un anglais et l’autre américain. Le lendemain, nouvelle pièce capitale annotée par Churchill : Brooke écrit que la « procédure dans l’éventualité d’approches allemandes de paix » devra être agréée par les comités des chefs d’état-major anglais et américains et que les Soviétiques devront être « mis au courant ». Churchill corrige : « promptement et complètement informés ». Voilà quelqu’un qui a le souci d’éviter tout malentendu.
Joignant le geste à la plume, il fait, le 12, envoyer aux dirigeants du Kremlin le télégramme d’Alexander par l’intermédiaire de Kerr, ambassadeur anglais à Moscou, avec ce commentaire : « Nous souhaitons avoir l’opinion des Soviets avant tout dialogue entre les parties concernées. »
A ce stade, il est probable que Winston est mû par deux préoccupations, difficiles à distinguer : faire vivre les accords de Yalta en donnant à Staline une preuve éclatante de bonne volonté, ne pas offrir à Hitler ou à un dirigeant nazi quelconque la moindre occasion d’enfoncer un coin entre les Alliés. Mais tout change brusquement le lendemain : la mission de liaison anglaise à Washington signale que dans cette capitale un avis d’Harriman a retourné la situation. L’ancien émissaire de Roosevelt auprès de Churchill, devenu ambassadeur des Etats-Unis à Moscou en 1943, a en effet convaincu les chefs d’état-major américains que les pourparlers envisagés ne portaient que sur une reddition militaire et qu’en l’occurrence il n’y avait pas plus à y associer les Soviétiques qu’eux-mêmes ne conviaient les Occidentaux à contresigner la capitulation des armées d’Europe orientale. Les inviter serait donc, à leurs propres yeux, un « signe de faiblesse ».
Si Averell Harriman devait devenir dans son grand âge, d’une part un parent par alliance de Churchill en épousant son ancienne bru Pamela Digby, divorcée de Randolph et mère de Winston junior, d’autre part l’un des artisans du rétablissement de la paix au Vietnam, force est de constater qu’il joue ici un rôle primordial dans le déclenchement de la guerre froide. Car il y a une mauvaise foi évidente, cohérente avec l’anticommunisme vigilant dont témoigne Harriman tout au long de sa mission à Moscou, à identifier les capitulations de petits pays ou de forces allemandes réduites (Stalingrad mis à part), reçues à l’est par les armées soviétiques, avec la reddition d’un million de soldats allemands en Italie, qui libérerait d’un coup une quantité presque égale de troupes anglaises et américaines en leur ouvrant l’accès du Reich.
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