La Tondue de Chartres - Contre Enquête
Prise en Août 1944, cette photo symbolise le mouvement d'épuration des "collabos" après la Libération.
Mais qui était cette femme, qu'on a rasée sans jugement ?
Un jour gris et orageux se lève sur Chartres en ce mercredi 16 Août 1944. Vers 10h30, un premier char américain entre dans la ville. Pendant ce temps, les FFI (Forces Françaises de l'Intérieur) conduisent à la préfecture les "collabos" des deux sexes. Trois hommes sont exécutés sommairement, les autres seront emprisonnés. Dans l'après-midi, Robert Capa, 31 ans, seul photo-reporter américain ayant fait le débarquement avec les G.I. à Omaha Beach, contourne la cohue massée devant les grilles de la cour d'honneur. Des insultes, cris de colère et quolibets méprisants, fusent à l'adresse d'onze femmes renvoyées chez elles le crâne rasé. Capa se place à l'avant du cortège, règle son Contax. Il ne réfléchit pas, cadre à l'intuition.
En tête de la procession des "maudites", une jeune femme - la seule à avoir le front marqué de deux cercles au fer rouge - porte son nouveau-né et n'a d'yeux que pour lui. Comme si l'enfant la protégeait, l'isolait de la foule par son regard. elle ne semble pas avoir peur et ne fait d'ailleurs l'objet d'aucun geste hostile. Qui est-elle ? Robert Capa mourra neuf ans plus tard sans le savoir. Cette photo, devenue emblématique des 20 000 "filles de la honte" tondues pour avoir eu des liaisons avec les "Boches", est publiée le 4 Septembre 1944 dans Life magazine, avant de faire le tour du monde. Sa célébrité est proportionnelle au malaise qu'elle véhicule.
Lors du cinquantenaire de la Libération, des historiens tentent de percer ce mystère. Mais le sujet reste localement tabou et la plupart des témoins refusent de parler. Il faut attendre La Tondue, ouvrage paru en septembre dernier et rédigé par deux Chartrains, Philippe Frétigné, facteur de Clavecins, et Gérard Leray, professeur d'Histoire-Géographie, pour que le voile soit levé. Les historiens du cru ont gagné la confiance des témoins et, à défaut de lui rendre une dignité à jamais perdue, ils restituent son identité à "la Madone de la honte".
Sur la photo, Simone Touseau a 23 ans et son bébé, à peine 3 mois. En ville, on connait depuis le début ses relations avec l'ennemi...
Elle rencontre Erich Göz pendant l'été 1941. Cet officier de la Wehrmacht a douze ans de plus qu'elle, ils filent le parfait amour jusqu'en novembre 1942 : Göz est envoyé sur le front soviétique. L'été suivant, blessé, il est rappatrié à Munich. Sa belle l'y rejoint et trouve un emploi de travailleuse volontaire.
Enceinte, elle rentre à Chartres en décembre, où elle se cloître jusqu'à la naissance d'une petite fille, le 23 mai 1944. Göz est renvoyé sur le front. Le 8 juillet 1944, il est tué à 150 kilomètres de Minsk, pendant la retraite de la Wehrmacht. Elle ne l'apprendra que deux ans plus tard. Mais les Chartrains ne savent pas, le jour où elle défile tondue, le plus grave.
Simone n'est pas une simple victime de la passion. Convaincue par le NationalSocialisme à 14 ans, elle a adhéré, fin février 1943, au Parti populaire Français de Jacques Doriot, fasciste, antisémite et collaborationniste. Son amitié avec Ella Meyer, indicatrice de la Gestapo, lui a permis d'être traductrice à la Kommandantur.
Simone et sa mère sont soupçonnées de cinq dénonciations. Quatre hommes ont été déportés à Mathausen; deux en sont revenus. Les survivants accusent "les femmes Touseau", réputées pour leur sympathie avec l'ennemi. Arrêtées en février 1945, elles sont libérées en novembre 1946, faute de preuves.
Mais Simone est condamnée à dix ans "d'indignité nationale". Son calvaire commence. Elle tente un rapprochement avec la famille de feu son fiancé, qui la rejette. Elle déménage, se marie, a deux enfants. Mais ne prvient pas à refaire sa vie. "Tondue" à jamais, elle sombre dans l'alcoolisme et la dépression et se laisse mourir en Février 1966, à 45 ans.
En 2009, les auteurs de "La Tondue" retrouvent sa fille, âgée alors de 65 ans, et sollicitent son témoignage. En vain. Ayant découvert la vérité à l'adolescence, elle désire conserver l'anonymat et protéger ses enfants, qui ignorent tout. Elle a brûlé la correspondance de Simone Touseau et Erich Göz. Sans oublier les Photos.
Le Livre :
La Tondue
de Philippe Frétigné et Gérard Leray
Editions Vendémiaire
Les auteurs ont restitué l'itinéraire de "La Tondue" grâce aux archives judiciaires et à des témoignages inédits