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La mort de Himmler reste à éclaircir

Tout ce qui concerne la libération de l'Europe et qui n'est pas développé au sein des sections ci-dessus.
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Nouveau message Post Numéro: 21  Nouveau message de Nicolas Bernard  Nouveau message 26 Jan 2008, 22:45

François Delpla a écrit:1) Le gouvernement britannique, fermement tenu en mais par Winston Churchill, s'oppose jusqu'au début de mai 1945 à la tenue d'un grand procès international des dirigeants nazis -contrairement aux Etats-Unis, à l'URSS et à la France.

2) Churchill finit par céder le 3 mai, de très mauvaise grâce, à telle enseigne qu'il écrit à Eden, après lui avoir annoncé le revirement du cabinet : "D'ailleurs beaucoup sont morts et certains peuvent mourir encore" !


M. Delpla insinue que Churchill a planifié la mort de Himmler, mais rien ne vient appuyer cette thèse, et tout vient l'infirmer, comme je l'ai démontré plus haut.

Il convient au préalable d'effectuer quelques rappels sur la genèse du procès de Nuremberg, histoire de comprendre le contexte malmené par M. Delpla. Ce qui me permettra d'examiner plus avant l'éventuel mobile des Britanniques pour prétendument tuer Himmler...

Tout d'abord, Staline cherche à imposer un procès pour glorifier le rôle joué par l'U.R.S.S. dans le second conflit mondial, imputer aux Allemands la responsabilité de la guerre, leur attribuer la paternité du massacre de Katyn, et légitimer le tout par un procès public, de même que les grands et petits procès soviétiques des années trente avaient pour but, d'une part d'expliquer les échecs économiques et sociaux du régime par l'existence d'un grand complot infiltré au parti communiste, d'autre part de renforcer la popularité de Staline auprès des masses.

Le gouvernement britannique, de son côté, semble très réticent au concept même d'un procès. D'une part en effet, Churchill redoute que les pressions soviétiques en ce sens n'aboutissent à une comparution publique de Rudolf Hess en temps de guerre, ce qui aboutirait à révéler quelques secrets gênants sur l'existence d'une ancienne faction pacifiste au sein des hautes sphères anglaises en 1940-1941 - sans oublier le fait qu'une audience publique pourrait accoucher du même résultat catastrophique que les fameux et fumeux "procès de Leipzig" de 1921, et contribuer paradoxalement à réhabiliter le national-socialisme. D'autre part, le Foreign Office et autres administrations londoniennes refusent de poursuivre les criminels de guerre. Tout au plus convient-on que les plus haut gradés d'entre eux devront être passés par les armes, mais cette solution est subordonnée à un accord passé avec les Américains et les Soviétiques.

Le 3 mai 1945, Churchill se rallie enfin à l'idée du procès, à la suite des pressions du Président Truman, et peut-être parce qu'il vient d'apprendre que les deux plus redoutables orateurs nazis (Hitler et Goebbels) sont décédés - motif qui ne me convainc qu'à moitié (pour ne pas dire moins), car rien ne prouvait à cette date que ces deux dangereux personnages étaient effectivement réduits à l'état de cadavres. Bref, le rôle joué par la Maison-Blanche a été déterminant, pour ne pas dire exclusif, dans ce revirement éclair du Premier britannique.

La session du Cabinet de Guerre britannique du 3 mai 1945 voit donc Churchill abandonner cette politique de la justice expéditive, laquelle n'impliquait certainement pas de supprimer en catimini les hauts gradés capturés sans en référer au moins aux Américains, puisque l'exécution desdits hauts gradés devait résulter d'un accord interallié (lequel aboutira en fait au procès de Nuremberg, grâce aux Américains et aux Soviétiques).

Ce revirement-surprise n'avait pas été prévu par Swinton, Ministre de l'Aviation civile, lequel avait tenu ce langage au cours de cette réunion : "La situation a changé : si nous ne pouvons agréer une procédure pour les leaders, faisons-le pour les subalternes. Les leaders vont être liquidés de toute façon."

La suggestion de Swinton s'intégrait dans le cadre de ce qui était jusqu'alors la politique britannique en matière de criminels de guerre : zéro poursuite, et mise à mort des leaders. Cette mise à mort ne pouvait intervenir que dans le cadre d'une procédure agréée par les Alliés, américains et soviétiques.

De son côté, le Premier Ministre répond par une question : "Pourrait-on négocier avec je ne sais pas, moi, Himmler, et le buter ensuite ?" A quoi réplique un des participants, d'après la retranscription : "Entièrement fondés à le faire. Et problèmes s’il ne l’est pas. Chef de la Gestapo."

Aussi curieux que cela paraisse de prime abord, le propos de Churchill disculpe totalement ce dernier. S'il existait une opération contre Himmler, le leader britannique n'aurait jamais tenu un tel langage, qui prouve au contraire que rien n'a été prévu. D'abord, on ne négocie pas avec un individu sur lequel plane l'ombre des tueurs britanniques. Quant à la question de le "buter ensuite", qui prouve que le sort de Himmler n'est absolument pas scellé (et trahit même un réel manque d'intérêt de Churchill sur le sujet, puisqu'il n'y reviendra plus par la suite), elle fait référence au contexte de la proposition de Swinton : la liquidation de Himmler, en qualité de chef nazi, relève de la conception toute britannique de la politique à suivre en matière de criminels de guerre, à savoir l'absence de poursuite des subordonnés et la mise à mort sans procès des pontes du régime. Il ne s'agit certainement pas d'une proposition de type mafieux cherchant à liquider un gêneur, mais de faire, d'une certaine manière, justice.

La réplique du participant ("Entièrement fondés à le faire. Et problèmes s’il ne l’est pas. Chef de la Gestapo.") s'inscrit également dans ce contexte. Puisqu'il n'est pas question de juger les leaders nationaux-socialistes, mais de les exécuter, il n'est pas davantage judicieux de laisser vivre Himmler, chef de la Gestapo donc criminel de guerre n° 1 : l'opinion publique ne comprendrait pas qu'un tel déchet de l'humanité ne soit pas exécuté ("Et problèmes s’il ne l’est pas").

Bref, la suppression de Himmler relève ici, non du projet d'assassinat crapuleux, mais de la politique à appliquer en matière de crimes de guerre. Les chefs nazis ne doivent pas survivre, parce que ce sont des criminels. Ils ne doivent pas être jugés, parce que les procès risquent de tourner au fiasco, comme à Leipzig en 1921.

Or, cette politique va ensuite être abandonnée par Churchill au cours de cette même session du Cabinet de Guerre. Il faut évidemment en déduire qu'il renonce à faire supprimer Himmler (et les autres), et que ce dernier devra figurer dans le box des accusés.

Une autre preuve que Churchill a rallié le concept d'un procès pour les grands dirigeants nazis nous est fournie par le télégramme adressé par lui à son Ministre des Affaires Etrangères, Anthony Eden, le 14 mai : "Il ne faudra pas oublier bien entendu que si Dönitz est un instrument docile pour nous, cela viendra en atténuation de ses crimes de guerre. Voulez-vous avoir en main un levier qui vous permette de manoeuvrer ce peuple vaincu ou simplement plonger vos mains nues dans une fourmilière en émoi ?" C'est avouer qu'il est prévu de juger le chef du Reich, ancien chef de la Kriegsmarine : ses charges seront atténuées, non exonérées. Des propos incompréhensibles s'il n'y a là mention d'un procès.

M. Delpla formule une autre interprétation de cette session, pour le moins fantaisiste : selon lui, les propos tenus prouveraient que Churchill veut faire supprimer Himmler parce que ce dernier peut encore susciter des troubles en Europe grâce à sa Gestapo (laquelle, pour rappel, et comme ne peut l'ignorer le Premier Ministre, n'existe pratiquement plus, ses cadres se fondant dans la masse ou s'efforçant de gagner des cieux plus cléments) ! Cette interprétation ne tient pas compte du contexte des déclarations formulées, outre de reposer sur des présupposés non démontrés - en l'occurrence, les prétendues inquiétudes britanniques quant au soi-disant pouvoir de nuisance des S.S. de Himmler en Europe. Prétendues, en effet, car lesdits Britanniques occupaient une partie de l'Allemagne depuis quelques mois, et avaient pu réaliser que l'ordre y régnait.

En résumé : il n'existait aucun plan de suppression physique de Himmler au 3 mai 1945, et il ne pouvait pas davantage en exister par la suite, puisque Churchill avait approuvé le jour même le concept d'un procès pour les leaders nationaux-socialistes.

Malgré ces élements, il semble que M. Delpla ait considéré que l'ordre de tuer Himmler serait intervenu le 3 mai ou les jours suivants (quand ? il est bien en peine de le préciser). Motif ? Prendre soin de distinguer le gouvernement Dönitz des S.S.... Un tel mobile est absurde, la simple arrestation de Himmler suffisant amplement à mettre ce dernier hors de combat.

Il est certes vrai que Churchill a envisagé d'utiliser Dönitz pour ramener l'ordre en Allemagne, au sens de réduire le chaos grâce à un embryon d'administration. Il n'a pas dissimulé ce désir dans le télégramme précité du 14 mai 1945. Mais il va très vite abandonner cette option, en fait embarrassante vis-à-vis des Américains et des Soviétiques, lesquels militent contre le maintien du gouvernement allemand, comme en témoigne la proclamation d'Eisenhower du 15 mai.

Deux jours plus tard, le 17 mai, le conseiller politique du S.H.A.E.F., Robert Murphy, et le représentant britannique de l'autorité de contrôle alliée de l'O.K.W. recommandent l'abolition du "so-called acting government" de Flensburg. Le 18, le S.H.A.E.F. demande l'accord des Soviétiques pour mettre Dönitz et ses ministres en état d'arrestation. Compte tenu de la sympathie que suscite ce gouvernement auprès de Moscou, il n'est pas bien difficile de prédire ce que sera la réponse russe, qui tombe le lendemain et s'avère évidemment être une approbation. Le 19 mai, instruction est donnée par le S.H.A.E.F. au 21e groupe d'armées britannique de procéder à l'arrestation. Ce sera chose faite le 23 mai au matin.

Dans ces conditions, et vu que la liquidation du gouvernement Dönitz a été décidée le 19 mai (et était dans l'air depuis le 15 mai), on se demande vraiment ce qui a pu pousser Churchill à vouloir supprimer Himmler.

Le fait gêne tant M. Delpla que ce dernier va jusqu'à imaginer un éventuel "contre-ordre" (qu'il ne date évidemment pas), mais peut-on imaginer qu'un tel contre-ordre n'aurait pas atteint un tueur britannique que Delpla nous présente pourtant comme en contact direct avec un proche collaborateur de Churchill, Robert Bruce-Lockhart ?

Résumons. Churchill abandonne le 3 mai 1945 sa politique de suppression des leaders nazis et se rallie à un procès, ce alors qu'il n'existe aucune opération visant à liquider Himmler. Les 18-19 mai, il laisse définitivement tomber Dönitz, et n'ignore pas que cet abandon devient de plus en plus inévitable depuis quelques jours. Dans ces conditions, une telle chronologie ne laisse aucune place à un projet d'assassinat du Reichsführer.

Bref, et comme maintes fois répété, les Britanniques n'avaient strictement aucun mobile à assassiner Himmler.
Dernière édition par Nicolas Bernard le 26 Jan 2008, 23:47, édité 1 fois.
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Re: La mort de Himmler reste à éclaircir

Nouveau message Post Numéro: 22  Nouveau message de Nicolas Bernard  Nouveau message 26 Jan 2008, 23:01

François Delpla a écrit:2) La cote politique de Himmler connaît, entre le 28 avril et le 10 mai, des oscillations d'une rare amplitude :

-28/4 au matin : chef des SS et de toutes les forces de répression sur le territoire encore contrôle par l'Allemagne, et maître du "Wehrwolf" censé poursuivre la guerre sur les arrières des Alliés;

-28/4 au soir : déchu de toutes ses fonctions et exclu du testament de Hitler, au profit d'un gouvernement Dönitz-Goebbels;

-1/5 : offre ses services à Dönitz, qui ne les refuse pas;

-6/5 : chassé par Dönitz mais gardant pignon sur rue dans sa capitale, Flensburg;

-10/5 : plonge dans la clandestinité.


3) Du 10 au 23 mai, la cavale de Himmler est lente, maladroite, irrésolue. Il apparaît qu'il aimerait mieux se rendre aux Américains qu'aux Anglais mais il doit pour cela traverser une vaste zone tenue par ces derniers;

4) Le 22 mai, il se laisse arrêter sans résistance à un poste de contrôle britannique; ses faux papiers ont tenu, mais ils le désignent comme membre d'une formation policière dont les représetnants sont systématiquement internés;


L'exposé des faits de Delpla comprend plusieurs inexactitudes manifestes. Et les faits qu'il présente pour avérés ne sont en réalité que de pures spéculations.

Tout d'abord, il est faux d'écrire que Himmler entre dans la clandestinité le 10 mai 1945, et qu'il aurait jusqu'à cette date gardé "pignon sur rue" dans la capitale du Reich, alors dirigé par le GrossAdmiral Karl Dönitz, à Flensburg. Une telle inexactitude, maintes fois réfutées, maintes fois répétée, n'est pas innocente.

Le 6 mai en effet, en fin d'après-midi, Dönitz fit savoir à Himmler qu'il se passait de ses services. Il n'était pas dans l'intérêt du nouveau Führer de maintenir au sein du régime les S.S. de si mauvaise réputation. Il est toutefois permis de supposer que Dönitz avait apporté une certaine aide aux futurs fugitifs S.S. : "un grand nombre d'officiers S.S. réunis autour de leur chef à Flensburg avaient été pourvus en hâte de papiers d'identité destinés à les faire passer pour de simples matelots ou officiers mariniers et avaient même reçu les uniformes correspondants" (Peter Padfield, Dönitz et la guerre des U-Boote, Pygmalion/Gérard Watelet, 1986, p. 391. ).

A l'issue de cet entretien, Himmler entreprit de quitter Flensburg et, de retour à son Q.G., annonça à ses adjoints que tout était fini. Tel fut son dernier ordre : "Noyez-vous dans la Wehrmacht pour vous mettre à couvert !" (Peter Padfield, Himmler. Reichsführer S.S., Cassell, 2001, p. 606). Il n'était plus rien, et l'Ordre noir était officiellement démantelé.

Les jours suivants, il les passa dans une ferme, à Satrup, pour préparer sa fuite, ce qui dément totalement la thèse selon laquelle il aurait conservé "pignon sur rue" à Flensburg. Himmler désirait gagner la Bavière, et de là sans doute fuir vers des cieux plus cléments. En ce sens, l'opération semble avoir été bien organisée, du moins en théorie. L'ex-Reichsführer bénéficiait de faux papiers au nom d'Heinrich Hitzinger, Feldwebel de la Geheime Feldpolizei démobilisé le 3 mai. D'aucuns ont raillé le choix de l'identité, en vérité judicieux : la même consonnance des noms, et l'identité de prénoms pouvait permettre, en cas d'aveu involontaire, de plaider la confusion. A la même époque, Eichmann se fit ainsi appeler Eckmann pour tromper ses geôliers (Simon Wiesenthal, Les assassins sont parmi nous, Stock, 1967, p. 119). Mais le choix de l'organisme était malheureux, car la G.F.P. faisait partie des structures dont les membres étaient tous inscrits sur une liste de "personnes recherchées" par les Alliés, ce que Himmler ignorait.

L'équipée démarra le 10 mai. Elle ne fut pas si désordonnée, compte tenu des faibles moyens de la petite escouade, puisque carte révèle que les fugitifs fonçaient plein sud. Mais le 22 mai, à 17 heures, Himmler fut arrêté en compagnie de ses deux adjoints, Grothmann et Macher, au poste de contrôle britannique de Bremervörde (voir le P.V. d'arrestation rédigé par le sergent Arthur Britton).

Le lendemain, le sergent Britton amena les prisonniers au camp 031 de Barnstedt, à une quinzaine de kilomètres de Lüneburg, où se tenait le P.C. de la 2ème armée britannique. Ils y arrivèrent vers 18 h 30, d'après Britton, où ils furent d'ailleurs aperçus par Karl Kaufmann, ex-Gauleiter de Hambourg. Et vers 19 heures (d'après Britton et deux documents britanniques d'époque) ou 17 heures (d'après un autre document), Himmler, jouant son va-tout, révéla sa véritable identité au responsable du camp, le capitaine Selvester.
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Nouveau message Post Numéro: 23  Nouveau message de juin1944  Nouveau message 26 Jan 2008, 23:34

Merci Nicolas de conserver une certaine forme de convivialité. "François" ou à défaut "François Delpla" me semble plus correct. Que l'on soit ou non en accord avec les thèses qu'il développe.


 

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Re: La mort de Himmler reste à éclaircir

Nouveau message Post Numéro: 24  Nouveau message de Nicolas Bernard  Nouveau message 26 Jan 2008, 23:44

François Delpla a écrit:5) Le 23, vers 14h, il arrive dans un camp de suspects dirigé par le capitaine Selvester. Au bout de 2h, impatient, il se fait connaître. Selvester le prend sous sa garde personnelle et le fait fouiller complètement. Seule la bouche n'est pas directement explorée car on craint qu'elle ne contienne une ampoule de cyanure (d'autant plus qu'on en a saisi une en fouillant ses vêtements, dans un étui accompagné d'un étui semblable, vide). Mais cette bouche fait l'objet d'une observation extérieure incessante et minutieuse lorsqu'il parle et lorsqu'il mange -la consistance de sa nourriture étant choisie pour qu'il ait à faire des efforts de mastication.

6) Le colonel Murphy, chef des services de renseignements de la 8ème armée britannique, vient diriger les opérations vers 20h, passe des coups de téléphone et finit par envoyer le prisonnier, vers minuit, à son quartier général, dans une voiture où il ne monte pas lui-même.


L'exposé de M. Delpla devient de plus en plus tendancieux. Il convient de préciser les faits.

Himmler s'identifie auprès de Selvester vers 19 heures. Le capitaine britannique en réfère immédiatement au Q.G. de la 2ème armée, lequel lui envoie le major Rice, chargé de contribuer à l'identification du prisonnier, vers 19 h 45. Probablement vers 21 heures, le colonel Murphy, officier de renseignements de la 2ème armée britannique, débarque à son tour au camp 031, pour prendre en charge le prisonnier, dont on est certain depuis 20 h 45 qu'il s'avère effectivement être le Reichsführer déchu (à en croire le compte-rendu du 30e corps britannique).

Contrairement à ce que prétend M. Delpla, Himmler est enfermé dans une voiture en partance pour Lüneburg sans que le colonel Murphy ne le perde des yeux, ainsi que ce dernier le reconnaîtra plus tard, et ainsi que le certifient le compte-rendu à usage interne destiné au Q.G. du 30e corps britannique, ainsi que le journal de guerre de cette unité. Delpla fonde son affirmation sur les seules et uniques souvenirs du capitaine Selvester, qui affirme que "vers minuit, le colonel Murphy a donné des ordres pour que le prisonnier fût emmené au QG de la 8ème armée et des officiers de renseignements en furent chargés". De cette phrase un peu vague, qui ne dément absolument pas que le colonel britannique a accompagné Himmler, Delpla en déduit trop vite que Murphy est un menteur invétéré... alors que des documents d'époque corroborent ses déclarations !

Ce qui est certain est que Himmler a été fouillé au camp 031. On ignore exactement qui, du capitaine Selvester ou du colonel Murphy, arrivé plus tard, ordonne et supervise la fouille, car les deux revendiquent cette initiative. A dire vrai, peu importe, puisque la ou les fouilles permettront aux Britanniques de mettre la main sur deux étuis censés contenir chacun une capsule de cyanure.

L'un des étuis sera vide, et Selvester comme Murphy en déduiront logiquement que la capsule se trouve dans la mâchoire de Himmler, seule zone corporelle à avoir échappé aux fouilles.

Selvester prétend avoir tenté de faire ingurgiter à Himmler du thé et des sandwiches au fromage, pour le forcer à se démasquer. Le fait est démenti par Murphy, mais ce dernier n'a vu Himmler que vers 21 heures, et pas avant. Quoi qu'il en soit, cette démarche - risquée - n'en était pas moins naïve, car il est bien connu que "les chefs nazis portaient une capsule de cyanure, parfaitement étanche, dissimulée dans la bouche. Il fallait la broyer pour que le poison agisse. Si elle était avalée accidentellement, la capsule résistait aux acides de la digestion et ne produisait aucun effet" (Jacques Delarue, Histoire de la Gestapo, Fayard, 1963, p. 443).

Or, les capsules en possession de Himmler étaient de ce modèle. Vingt ans plus tard, le colonel Murphy s'exprimera ainsi : "Pour autant que je me rappelle de celle trouvée dans ses vêtements, elle était de métal fin, suffisamment solide pour résister à une mastication soigneuse et aux liquides - surtout si c'était l'autre côté de la bouche qui était utilisé - mais pas suffisamment pour résister à une action visant à la briser."

Selvester, bien évidemment, ne remarquera rien d'anormal, mais n'en fera pas moins part de ses inquiétudes à son supérieur Murphy, lequel les partageait ô combien. Seule une fouille buccale pouvait permettre de déterminer la présence de poison dans la bouche de Himmler.

Une fois à Lüneburg, Murphy confie Himmler au sergent-major Edwin Austin, lequel ne remarque rien d'anormal, et s'entretient même brièvement avec le prisonnier, lequel s'exprime très normalement. Ce point est important, car il prouve que Himmler était capable de camoufler dans sa mâchoire une capsule de poison sans se faire remarquer. Or, il n'y a pas d'alternative : soit la chose est possible, soit elle ne l'est pas. Et cet "inconfort", si inconfort buccal il y a eu pour le nazi, se justifiait pleinement : Himmler savait qu'il jouait son avenir, et le poison restait sa dernière porte de sortie. Dès lors, il lui fallait absolument conserver cette capsule. Quitte à la garder en bouche plusieurs heures.

Murphy revient voir le prisonnier, accompagné du major Norman Whittaker et du capitaine C.J. Wells, médecin de son état, lequel tente d'examiner la bouche du Reichsführer. Mais ce dernier rejette la tête en arrière et, soit qu'il utilise ses mains (que personne n'a songé à lier ou retenir !), soit qu'il joue de sa langue pour extraire l'ampoule de sa dentition, parvient à la croquer brutalement. Toutes les tentatives de le ranimer se révèleront vaines.

Il convient de préciser que cette réalité du suicide, attestée par plusieurs témoins, avait été remise en cause par Delpla (!), sur la foi de documents qui en fait n'étaient que de vulgaires faux.

M. Delpla a toutefois révisé sa théorie, et considère qu'un agent britannique inconnu (et qu'aucun témoin n'a aperçu) aurait pénétré dans la voiture de Himmler sur le chemin de Lüneburg et l'aurait convaincu en quelques minutes (par hypnose ? production d'un ordre du Führer ? on ne sait) de mettre fin à ses jours quand bon lui semblerait, lui remettant à l'occasion une capsule de cyanure sortie de nulle part. Puis il serait descendu de voiture et aurait prestement disparu, façon Voldemort.

C'est une drôle de manière d'exécuter une cible. On peut se demander pourquoi l'agent britannique inconnu n'a pas cherché à tuer Himmler sur le trajet, comme aurait agi tout assassin digne de ce nom, ce d'autant que les risques étaient nuls, à supposer comme M. Delpla que le colonel Murphy faisait partie de la conspiration.

En d'autres termes, une telle hypothèse m'apparaît aussi historiquement valable et logiquement crédible que les aventures d'Harry Potter. Que M. Delpla y croie me laisse dès lors perplexe...
Dernière édition par Nicolas Bernard le 26 Jan 2008, 23:46, édité 1 fois.
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Re: oui

Nouveau message Post Numéro: 25  Nouveau message de Nicolas Bernard  Nouveau message 26 Jan 2008, 23:45

juin1944 a écrit:Merci Nicolas de conserver une certaine forme de convivialité. "François" ou à défaut "François Delpla" me semble plus correct. Que l'on soit ou non en accord avec les thèses qu'il développe.


Certes. J'éditerai les messages par la suite.
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nicolas

Nouveau message Post Numéro: 26  Nouveau message de juin1944  Nouveau message 26 Jan 2008, 23:47

Nicolas, merci d'avoir tenu compte de mon dernier post. Dis moi : combien d'internautes , à ton avis, prendront le temps de lire tes quatre derniers posts ?? J'ai une idée assez précise que je puis te soumettre en MP. Merci de passer de la partie de tennis au sport collectif :mrgreen:


 

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Re: nicolas

Nouveau message Post Numéro: 27  Nouveau message de Nicolas Bernard  Nouveau message 26 Jan 2008, 23:50

juin1944 a écrit:Nicolas, merci d'avoir tenu compte de mon dernier post. Dis moi : combien d'internautes , à ton avis, prendront le temps de lire tes quatre derniers posts ?? J'ai une idée assez précise que je puis te soumettre en MP. Merci de passer de la partie de tennis au sport collectif :mrgreen:


Les messages sont longs, je sais, mais si une ineptie s'énonce en deux lignes, sa réfutation en prend hélas dix fois plus.

Cela dit, les articles existent, et par la suite je me contenterai d'y renvoyer par des liens html... Contrairement aux apparences, causer du suicide de Himmler me saoule bien plus qu'on ne le croit.
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Re: La mort de Himmler reste à éclaircir

Nouveau message Post Numéro: 28  Nouveau message de Nicolas Bernard  Nouveau message 27 Jan 2008, 00:23

François Delpla a écrit:7) Le décès de Himmler est annoncé le lendemaine par un communiqué disant qu'il s'est suicidé en croquant une ampoule de cyanure pendant la fouille buccale pratiquée dans la villa. Des représentants militaires alliés, puis la presse, défilent devant le cadavre, après quoi il est enterré dans un lieu secret. La version donnée à la presse passe sous silence la durée de la présence du prisonnier, une fois identifié, entre les mains des Britanniques, et, de ce fait, l'invraisemblance de la présence d'une longue ampoule de verre fragile dans sa cavité buccale, dès lors qu'il parlait et mangeait normalement.


Le fait n'est pas invraisemblable, pour les raisons mentionnées plus haut. Par ailleurs, la question de la durée de la détention de Himmler est sans importance, là encore pour les raisons énoncées plus haut.




8] Un livre pionnier de Manvell et Fraenkel, en 1965, comporte un premier réexamen sérieux de la version officielle. Il attire, lui, l'attention sur l'invraisemblance notée ci-dessus, mais en se contentant de citer de longs passages d'un témoignage consciencieux et détaillé de Selvester, après quoi les auteurs laissent le lecteur méditer sur les contradictions de ce texte avec un témoignage désinvolte et invraisemblable de Murphy.


En fait, les deux journalistes britanniques Manvell et Fraenkel n'ont rien remarqué d'anormal dans les témoignages de Murphy et Selvester. M. Delpla leur prête - sans la moindre preuve - des intentions sorties tout droit de son imagination.




9) En 1991, le livre de Peter padfield résout la contradiction en gommant les aspects du témoignage de Selvester qui contredisent celui de Murphy.


Là encore, M. Delpla met en doute l'honnêteté intellectuelle d'un historien sans la moindre preuve étayant la thèse d'une intention frauduleuse.




10) En mai 2005, un historien peu conformiste mais réputé sérieux et habile à déterrer des archives importantes, Martin Allen, émet en appendice d'un livre sur les négociations secrètes menées par Himmler à la fin de la guerre une explication nouvelle de sa mort : il a été tué par un commando britannique dirigé par un certain "Thomas". Trois pièces sont produites à l'appui

11) En juillet 2005, deux de ces pièces sont qualifiées de "faux grossier" par Audrey Giles, une experte privée ayant travaillé pour Scotland Yard -la troisième, la plus explicite, ayant résisté à l'examen matériel et n'étant traitée de faux que parce qu'elle va dans le sens des deux autres.


Il convient de préciser que Mme Giles n'était pas une simple agent de Scotland Yard. Elle y avait dirigé la section d'analyse des documents. Elle exerce ses activités depuis une trentaine d'années. Bref, ses compétences ne sauraient être mises en doute par un amateur.

Mme Giles conclut que les trois documents sont des faux. Là est l'essentiel. Le troisième document, le plus explicite d'ailleurs, fait directement référence aux deux autres, ce qui réfute d'emblée son authenticité, quoique mieux réalisé formellement que les autres.

M. Delpla oublie simplement qu'un faux bien conçu reste un vulgaire faux. Mais il veut encore croire à l'authenticité de cette pièce... Grand bien lui fasse. Le spectacle d'un novice donnant des leçons à une experte ayant trente ans de métier reste assez plaisant.





L'information est répercutée essentiellement par un journal, le Daily Telegraph, et un journaliste, Ben Fenton, l'un et l'autre silencieux depuis septembre 2005.


L'un et l'autre n'ont aucune raison de revenir sur une affaire classée : la thèse du meurtre de Himmler reposait sur des documents qui se sont révélés être tous des faux. Une fois la supercherie éventée, il n'y a plus de thèse, donc zéro raison d'y revenir, sauf identification du coupable, ce qui de toute évidence n'a pas été le cas.




Plaintes, contre-expertises, décisions de justice, retrait du livre ? Néant sur toute la ligne !


Le dossier a été confié à la police. C'est tout ce que les Archives nationales pouvaient légalement faire.

Le retrait du livre, rendu difficile par les exigences du Droit britannique en matière de diffamation des personnes décédées et intervenant dans des débats historiques (ce d'autant que la mauvaise foi de Martin Allen n'était pas avérée), s'avérait inutile, dès lors que l'accusation portée contre Churchill avait volé en éclats grâce à l'enquête du Daily Telegraph.

Enfin, lorsqu'un livre accusant Churchill d'avoir fomenté Pearl Harbor est sorti en 1992, on a laissé faire les historiens, et pas la Justice.

Bref, les arguments de M. Delpla sont sans valeur.




Quant aux cartons d'archives comportant les pièces litigieuses, ils ont été soustraits pendant plus d'un an à la consultation, puis remis en place... sous forme de cédéroms... ne comportant plus les pièces en question !!!


Oui, c'est vrai, ça, pourquoi ne pas inclure des faux dans la reproduction de documents authentiques sur CD-Rom destinés aux chercheurs ?

Et une perle de plus pour ma liste, une...





12) Quiconque réclame la vérité appartient à la mouvance négationniste... ou se fait accuser d'être à son service, consciemment ou non. Beaucoup des personnes qui discourent au sujet de cette affaire, ou qui ont à prendre des décisions la concernant, par exemple en matière de modération de forums, perdent tout le bon sens, la rigueur, la curiosité, l'équité et le goût du débat qu'on leur connaît par ailleurs.


Il convient de préciser que les seules personnes, autres que M. Delpla, à contester la réalité bien établie du suicide de Himmler ne sont autres que les négationnistes, de l'hitlérophile David Irving au néo-nazi Joseph Bellinger. Sans oublier l'ancien médecin de la prison de Spandau, Hugh Thomas (rien à voir avec l'historien de la guerre d'Espagne) qui prétend que le cadavre de Himmler n'était pas celui de Himmler.




13) Le gouvernement britannique a réagi à une mise en cause précédente de Churchill, concernant Pearl Harbor, en mettant en accès libre les archives concernées. Or, sur la mort de Himmler, aucune n'est encore disponible ! Les rapports d'époque de Selvester et de Murphy, notamment, sont toujours cachés.


M. Delpla multiplie les inexactitudes tendancieuses.

Il faut rappeler :

1) que le rapport d'autopsie sur la mort de Himmler a été rendu public ;
2) que le schéma de la dentition de Himmler l'est tout autant ;
3) que les journaux de guerre du 30e corps, dont dépendait la zone militaire me semble-t-il où a été intercepté Himmer, le sont également.

Par ailleurs, le Ministère de la Défense a autorisé les témoins à s'exprimer. L'armée a également laissé paraître plusieurs photographies, notamment du cadavre, mais également d'un modèle de la capsule utilisée par Himmler.

Ce n'est pas ce que j'appelle faire preuve d'opacité. On n'est pas encore au niveau de la transparence totale, j'en conviens, du fait que certaines pièces restent inaccessibles, mais la rétention d'archives, dans ce contexte, ne peut absolument pas être assimilée au résultat d'un complot. Elle est le produit tout bête de la loi et de l'inertie bureaucratique.
« Choisir la victime, préparer soigneusement le coup, assouvir une vengeance implacable, puis aller dormir… Il n'y a rien de plus doux au monde » (Staline).

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Nouveau message Post Numéro: 29  Nouveau message de navigant  Nouveau message 27 Jan 2008, 00:39

Le corps d'himmler est resté enterré pendant un an et ensuite incinéré.


 

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Nouveau message Post Numéro: 30  Nouveau message de Daniel Laurent  Nouveau message 27 Jan 2008, 08:25

Bonjour,
navigant a écrit:Le corps d'himmler est resté enterré pendant un an et ensuite incinéré.

Soit prudent, navigant, il y a sur ce fil un marteau et une enclume, il est dangereux de mettre le doigt entre les deux.
:mrgreen: :arrow:


 

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