Post Numéro: 3
de François Delpla
26 Jan 2007, 17:02
C'est dit sur mon site mais je conçois que ce soit un peu long à lire, et pas seulement par la faute de mes interlocuteurs !
Pour faire vite : si une équipe de tueurs spécialement déléguée par le Political Warfare Executive entre en contact avec Himmler sur le territoire allemand le 23 mai 1945, elle a nécessairement reçu sa mission quelques jours plus tôt, voire quelques semaines, donc dans un autre contexte.
Le 23 mai en effet, c'est aussi le jour de l'arrestation en bloc du gouvernement Dönitz. Une mesure que Staline pressait Truman et Churchill de prendre, sans qu'ils se dépêchassent d'obtempérer. C'est-à-dire qu'ils voulaient bien traiter avec ce gouvernement nommé par Hitler, et Churchill explique lumineusement pourquoi dans un télégramme à Eden, daté du 14 : nous avons besoin de Dönitz pour désarmer la Wehrmacht et pour l'instant il nous obéit comme un toutou en convainquant ses soldats d'amener leurs armes dans nos dépôts.
Seulement voilà : Dönitz, en sa capitale d'opérette de Flensburg, avait fait bon accueil à Himmler, pourtant déchu par Hitler quelques jours plus tôt, avant de le virer et de le pousser à la clandestinité, le 10. Il envisageait donc bien, dans un premier temps, de lui rendre ses fonctions de ministre de l'Intérieur, ou quelque poste très élevé dans l'appareil de sécurité, ce qui correspondait bien à la logique himmlérienne (et, à mon avis, testamentairement hitlérienne) consistant à proposer les services de l'appareil SS aux Alliés de l'Ouest en détériorant, par là même, leurs relations avec l'URSS.
Dans cette configuration, Himmler est donc pour Churchill (qui suit l'affaire de beaucoup plus près que Truman et a les idées nettement plus claires) un homme à éliminer d'urgence, tant pour ne pas trop déplaire à Staline que pour s'assurer que Dönitz n'est rien d'autre qu'un expédient provisoire.
Ajoutons que Churchill vient de passer des années à essayer de convaincre ses deux partenaires qu'il faudrait lors de l'avance en Allemagne fusiller immédiatement les cadres de très haut niveau. Ce n'est que le 3 mai qu'il accepte, sous une très vive pression de Truman, l'organisation d'un procès à Nuremberg, et encore, sous réserve d'un accord sur les modalités. Dans le télégramme où il explique à Eden ce revirement du cabinet, il fait contre mauvaise fortune bon coeur en disant : "de toutes façons beaucoup sont morts et bien d'autres peuvent mourir entre-temps."
Donc pour Churchill, les nazis, les vrais, les chefs, ça ne se juge pas, ça se liquide, pour purifier au plus vite l'Allemagne et la rendre gouvernable.
Mais il est clair que quand le 23 il fait arrêter Dönitz (décision qui lui revient car Flensburg est en zone britannique) il pourrait rappeler son commando, si commando il y a, l'exécution sommaire devenant tout d'un coup beaucoup moins justifiable. Il y a là un cafouillage... qui explique la rareté, encore à ce jour, des archives et les nombreuses bizarreries et contradictions des versions officielles et autres témoignages.
Pour moi donc, le mobile semble être beaucoup plus de l'empêcher d'agir que (comme le disent Irving, Bellinger et consorts) de parler.
J'ajoute que ce sont eux, ainsi qu'Allen dans son livre, qui parlent d'une exécution. Les recherches que j'ai faites moi-même, autour du témoignage du capitaine Selvester, m'amènent à pencher plutôt pour un suicide assisté. C'est ainsi d'ailleurs que j'avais intitulé le dossier au tout début, mais plutôt ironiquement. A présent je penche pour l'exactitude du récit de sa fin (sinon que je retarde la date du 23 au 24, les choses ne pouvant s'être passées avant minuit) : il a bien croqué une ampoule pendant un examen buccal... mais on venait de la lui fournir ou peut-être de la lui rendre.