Daniel Laurent a écrit:
Car si ce qui precede tiens la route, on se demande bien pourquoi il se suicide apres n'avoir rencontre que des sous-fifres. Et ca, plus les archives anglaises "a trous", genere des questions, des doutes.
Sans me faire l'avocat du diable, une réponse m'a été faite à ce sujet, qui est de loin l'élément, à mon humble avis, le plus consistant des objections qui m'ont été assénées (ah oui, elles sont assez nées, celles-là ! le tombeau les guette...).
L'objection consiste à dire qu'il voudrait perfectionner la méthode Hess : aller en mission chez les Alliés + garder toute liberté d'aller voir comment c'est chez Satan lorsqu'il pensera avoir épuisé toutes ses cartes. C'est ce que, après les manières civilisées de Selvester, Murphy lui ferait brutalement comprendre en quelques "you bastard" bien sentis.
Il y a là, effectivement, une possibilité (je fais très attention à mes formulations, car je sais que des plaideurs infatigables les guettent pour me les opposer à moi-même pendant l'éternité si la moindre ambiguïté s'y glisse !... ou même simplement s'ils croient possible de faire gober la chose aux pressés des forums qui ne prennent pas le temps de tout lire). Mais cette possibilité est ruinée radicalement (c'est clair, là ?!) par le témoignage de Selvester, que celui de Murphy ne fait que confirmer par défaut.
Voilà un civil qui a fait la guerre consciencieusement et se sent encore sous l'autorité du ministère de la Défense lorsqu'il s'agit de la raconter. L'après-midi du 23 mai est sans doute le plus saillant de ses souvenirs, l'un de ceux qu'on ressasse. Un ou plusieurs rapports de lui figurent d'ailleurs en bonne logique, sauf destruction intentionnelle ou accidentelle, dans ces archives qu'encore aujourd'hui on nous cache. Ce serait le moment de se retrancher derrière des trous de mémoire s'il avait quelque chose à se reprocher ou si vraiment ses souvenirs étaient brouillés et, par exemple, de demander à consulter ses rapports de l'époque. Nenni. Il fait sans aide extérieure ni crainte de se contredire un long texte, très circonstancié et peu tributaire de ce que les journalistes et les historiens ont déjà écrit sur le sujet. Il s'écarte en particulier, sur des points essentiels, des deux versions anglaises les plus diffusées, celle des mémoires de Churchill et celle de Trevor-Roper (elles-mêmes fort contradictoires sans que quiconque s'en soit avisé, ou du moins l'ait dit, avant votre humble serviteur).
La plus intéressante des contradictions qu'il apporte à l'ensemble de la littérature précédente porte sur l'horaire. Jusque là il était laissé dans le vague et le lecteur, emporté par le récit, pensait que tout s'était passé en quelques minutes, ou une poignée d'heures tout au plus. Selvester nous informe que Himmler arrive à 14h environ dans le camp qu'il dirige et le quitte vers minuit, après que son cas eut été pris en main par lui personnellement vers 16h. Or, en 1963, la correspondance interne entre les bureaucrates qui se demandent que faire et que dire à l'adresse de Selvester et de Manvell dit que leurs dossiers à eux (dont ils vont avoir le toupet de déclarer à Manvell la pure et simple inexistence !!) indiquent qu'il est arrivé en début de soirée (à 18h 40) et reparti au plus tard à 22h (pour arriver à 22h 45 au QG de la compagnie de défense de la 8ème armée). Si ce n'est pas une volonté officielle et vraisemblablement originelle de ratiboiser les horaires pour rendre plus crédible la dissimulation du cyanure dans la bouche, qu'est-ce que c'est ? et pourquoi dès lors laisser passer cet aspect du rapport de Selvester alors qu'on lui demande par ailleurs une modification ? Sinon parce qu'on estime fort risqué de commencer à discuter avec un témoin consciencieux, non mêlé aux magouilles du 24/5/45 ?
Le raccourcissement de l'horaire par les deux bouts a pour vertu, corollairement, de faire passer à la trappe les précautions de Selvester pour inventorier le contenu de la bouche de l'extérieur, sans lui demander de l'ouvrir, ce qui a provoqué les jours précédents de fâcheux suicides, mais en l'amenant à le faire pour parler comme pour se nourrir, et en choisissant un aliment dur à mastiquer.
La littérature postérieure au livre de Manvell confirme qu'il y a là une vérité gênante (logiquement ou politiquement ou les deux à la fois, suivant les auteurs), puisque ce livre répercute loyalement le témoignage de Selvester sur les deux points fondamentaux de l'horaire et de l'inspection méticuleuse de la bouche en mouvement... tandis que les suivants retombent dans le vague !!!
Conclusion : on peut à la rigueur estimer que Himmler au début court deux lièvres à la fois, la négociation et le suicide par un moyen précairement dissimulé, si la négociation échoue ou si le moyen est en passe de lui être soustrait ; Selvester ruine de fond en comble cette possibilité... et Murphy le confirme, tant en réduisant l'horaire pour mieux pouvoir prétendre que Himmler n'a ni mangé ni bu, qu'en assénant (encore une thèse bien assez née comme ça !) contre l'évidence et le bon sens que Selvester n'avait pris, après la découverte de l'identité de Himmler, aucune espèce de mesure sinon de l'appeler à la rescousse !