Post Numéro: 661 de morel 08 Avr 2020, 12:19
Ma petite contribution...
Dans la seconde moitié des années 70 j'étais élève à l'Ecole Militaire de Strasbourg.
J'avais un professeur de Français (il se plaisait à dire : "agrégé de grammaire française") et un professeur de Philosophie (agrégé également).
Le philosophe avait été incorporé dans l'armée allemande, avait fait la campagne de Russie dans la Wehrmacht et il en était revenu avec un pied gelé et une jambe amputée sous le genou.
A force de le "titiller" nous avons provoqué une fois le récit partiel de ses souvenirs.
Il a raconté comment l'encadrement allemand n'était jamais grossier avec les hommes (le vouvoiement était constant, les insultes interdites) mais d'une fermeté et d'une autorité sans tolérance, le moindre écart était puni et les sanctions étaient redoutées.
Il a raconté son dernier combat pendant lequel il voyait les "rouges" (c'était son mot) se succéder par vagues à l'assaut de la position tenue par la compagnie a laquelle il appartenait, le contact entre les différents postes avait été perdu dans le fracas des tirs et des explosions et les seules personnes sur lesquelles il pouvait compter étaient les deux autres soldats, des allemands, avec lesquels il partageait son trou.
Pour lui il n'y avait plus d'alsacien, plus d'allemands, il n'y avait plus que des camarades de combat.
Et puis l'assaut a cessé...
Plus de 30 ans après, Monsieur Küntz, bien que fier d'être redevenu pleinement français, était encore plus proche des anciens combattants allemands que de son collègue professeur de Français qui lui en voulait de s'être "laissé incorporer".
L'agrégé de grammaire française était un personnage sec et vif.
Amoureux de la langue française et fervent défenseur de "l'Humanisme" il faisait souvent référence à Montaigne.
Sa phrase préférée qu'il répétait souvent c'était : "Vous me voyez, moi, Monsieur Kretz, agrégé de grammaire française, descendre la rue Jacques Kablé avec une arme à la main ?".
Cet homme était discret sur sa conduite face à "l'occupant allemand" (c'étaient ses mots) nous ne savions qu'une chose, il avait rejoint la clandestinité pour échapper à l'incorporation.
Ces deux alsaciens dont je garde le souvenir ému, plusieurs années après la guerre, s'évitaient soigneusement dans les couloirs et manifestaient l'un envers l'autre un respect "distant". Manifestement, entre eux il y avait de la "compréhension" mais pas de "réconciliation".
Je profite de ce "fil" pour poster ce message juste pour leur rendre hommage à ma façon.
Et au nom de Dieu, vive la coloniale !