pierma a écrit:Je viens de me souvenir d'un appareil qui est mentionné par Pierre Closterman dans le Grand Cirque. C'est quelques semaines avant la fin de la guerre, en Hollande, on lui signale un appel du QG : "Scrambler for you, Sir !"
Il explique que le Scrambler est un appareil de téléphonie qui permet de parler en clair avec son interlocuteur, mais que la conversation est brouillée électroniquement pendant son transport (filaire ou hertzien ?) de sorte qu'une interception ne fournirait que des sons incompréhensibles. A l'arrivée, le signal subit le traitement inverse, et l'interlocuteur le reçoit en clair.
Ce système permet un gain de temps énorme pour la transmission d'ordres tactiques. (Dans le cas dont il parle il s'agit d'instructions pour une opération aérienne. Le QG commence par lui demander combien de ses appareils sont opérationnels, de mémoire...)
Il ne s'agit pas à proprement parler d'un système de cryptage : à la limite, la capture d'un de ces appareils suffirait à entendre toute conversation interceptée, à condition de pouvoir se brancher sur la ligne. (Je suppose qu'ils comptaient sur leur avance technologique en électronique, et/ou sur la très faible probabilité qu'un de ces appareils soit capturé sur une de leurs bases aériennes sans qu'ils s'en aperçoivent. - Auquel cas d'ailleurs une simple modification de l'électronique de brouillage aurait suffi à remettre ce système en service.)
As-tu des infos sur l'utilisation de ce système ?
Oui en effet, c'est un dispositif permettant de brouiller la voix de telle sorte à la rendre totalement incompréhensible. J'ai bien des informations sur les brouilleurs de voix, aussi bien pour les liaisons téléphoniques filaires que pour les liaisons hertziennes. Le plus connu fut, en l'occurrence, celui qui permettait à Roosevelt de s'entretenir directement avec Churchill... Comme je l'ai signalé au tout premier post, en préambule à la présentation de ces appareils de chiffrement/déchiffrement, j'ai délibérément choisi de ne pas évoquer ces systèmes de brouillage. Ils feront vraisemblablement l'objet d'un sujet à part entière car là, nous ne sommes plus dans des dispositifs mécaniques ou électromécaniques mais purement électroniques. A suivre donc ultérieurement.
La grande majorité des messages envoyés par l’armée allemande furent chiffrés et déchiffrés avec la célèbre machine ENIGMA. Ces messages, essentiellement tactiques, étaient toujours envoyés par radiotélégraphie au moyen du code morse. Toutefois, pour les niveaux plus élevés de la chaîne de commandement, les Allemands utilisèrent une variété de machines à chiffrer beaucoup plus complexes, qui fonctionnaient toutes essentiellement sur des signaux de téléimprimeurs (télex). Les britanniques surnommèrent tout le trafic allemand par téléimprimeurs "FISH".
ENIGMA
Cette machine est abondamment traitée et présentée dans d'innombrables sites. Pour connaître les détails, fonctionnalités et caractéristiques de ses nombreuses versions, il est recommandé de consulter les sites dédiés.
SCHLÜSSEGERÄT SG-39
Durant les hostilités, ENIGMA fit souvent l'objet d'enquêtes de sécurité par les autorités allemandes dont certaines soupçonnaient que ce système de chiffrement était susceptible de contenir des failles qui pouvaient permettre aux Alliés de briser le code.
En 1939, l'inventeur cryptographique Fritz Menzer développa une machine électromécanique à rotors, la SCHLÜSSELGERÄT 39 (SG-39) qui était en fait une ENIGMA améliorée.
Elle comportait en supplément trois roues à broches couplées aux rotors, concept directement emprunté aux machines de la firme suédoise de Boris Hagelin et qui permettait de générer un pas irrégulier des rotors. La SG-39 était entièrement automatique et était équipée de deux imprimantes sur bandes de papier.
Elle devait remplacer progressivement la machine ENIGMA mais en raison des retards constants dans son développement et dans sa production ainsi que l'indécision des autorités, la SG-39 ne fut achevée qu'en 1944 et ne rentra jamais en production, ce qui a incita son abandon au profit du SCHLÜSSELGERÄT 41 décrite ci-dessous.
Le dispositif SG-41 fut développé dés 1941 par le même Fritz Menzer après des difficultés rencontrées avec le modèle précédent et fut lui aussi conçu pour remplacer la machine ENIGMA.
Entièrement mécanique, il fonctionnait manuellement au moyen d'une manivelle latérale qui lui valut le surnom de Hitlermühle "moulin de Hitler".
Équipée d'un clavier, la machine SG-41 disposait de deux imprimantes sur bandes papier, sur lesquelles il était possible d'imprimer sur l'une la séquence des lettres saisies au clavier, sur l'autre le résultat du processus sous forme de texte chiffré ou déchiffré.
Elle comportait six rotors avec une roue à broches similaire aux machines C de Boris Hagelin dont elle avait aussi de grandes similitudes, et qui permettait de générer un pas irrégulier des rotors.
On peut observer sur ce cliché la présence d'une cage cylindrique composée de barres avec des onglets, similaire à celle que l'on rencontre sur les machines de Hagelin.
Cependant, en raison du manque d'approvisionnement en métaux légers comme l'aluminium ou le magnésium, l'appareil avait une masse de 13,5 kg ce qui ne lui permit pas une utilisation tactique sur le terrain.
Il fut fabriqué par Wanderer Werke à Siegmar-Schönaul, l’un des principaux fabricants de machines à écrire d'Allemagne.
Une fois la machine prête pour la production, les experts en cryptographie allemands voulurent remplacer massivement l'ENIGMA mais à cette époque, des dizaines de milliers étaient en service. Même si cette initiative s'avéra irréalisable, elle démontrait clairement que les cryptanalystes allemands ne faisaient plus aucune confiance à la sécurité de ENIGMA.
Dés la mi-1944, le haut commandement allemand commanda 11 000 machines SG-21 pour les forces armées et 2000 SG-21Z destinées au Reichswetterdienst, le service météorologique du Reich, version qui ne comportait qu'un clavier avec 10 touches numériques (ci-dessous).
Ce n'est qu'à partir d'octobre 1944 que les premières livraisons débutèrent et commencèrent à remplacer la machine ENIGMA G dans les derniers mois de la guerre. On estime que ce ne sont toutefois que 1000 à 2000 unités qui furent effectivement livrées.
Le dispositif de chiffrement SG-41 offrait une plus grande sécurité que ENIGMA dont les faiblesses furent éliminées. Pour les briseurs de code britanniques, le dispositif SG-41 demeura un mystère. Son fonctionnement exact ne put jamais être reconstitué et aucune méthode de déchiffrement ne put jamais être mise en œuvre. Les Alliés la surnommèrent respectueusement "machine remarquable".
Il est évident que si cette machine avait été mise en service plus tôt qu'elle ne le fut et sur une grande échelle comme cela était prévu, le résultat des combats aurait été très différent car il aurait certainement engendré de sérieux problèmes pour les cryptanalystes alliés.
Techniquement, le SG-41 présentait des fonctionnalités et des perfectionnements qui verront le jour dans les dispositifs de chiffrement qui seront conçus plus d'une décennie après...
La production de cette machine cessa lorsque l'armée soviétique commença à pénétrer en Allemagne.
Les SCHÜSSELZUSSATZ SZ-40 & SZ-42, appelées aussi machine de Lorenz, étaient des dispositifs de chiffrement destinés aux échanges de communications par téléimprimeurs auxquels ils étaient associés. Ils s'intercalaient entre l'équipement de transmission et le téléimprimeur lui-même.
Équipés de douze rotors de codage à pas irrégulier dont la combinaison générait une clé à usage unique, ils utilisaient la technique de chiffre Vernam ou masque jetable qui permettait de chiffrer automatiquement un message en combinant la clé à usage unique avec le texte à chiffrer. Les deux machines pouvaient fonctionner hors ligne et en ligne. Lors de l'utilisation en ligne, les messages étaient entrés en clair et immédiatement imprimés en clair chez le correspondant en liaison directe.
La machine de Lorenz fut développée et produite par la firme allemande Lorenz AG de Berlin et mesurait 510 X 460 X 460 mm. C'était un appareil lourd à usage sédentaire qui était raccordé au réseau d'énergie électrique. Plusieurs versions furent développées.
Des bandes de papier perforées étaient utilisées pour chaque message, l’une pour le texte à chiffrer, l’autre pour la clé de codage à usage unique générée par les 12 rotors. Chacun des messages à transmettre nécessitait la génération d'une clé différente utilisée une seule fois et détruite après usage. Le chiffrement par masque jetable autorisait un très grand volume de trafic à grande vitesse.
Alors que la machine portative ENIGMA était utilisée par les forces armées allemandes pour un usage tactique, SZ-40/SZ-42 était dédiée aux communications de haut niveau entre le quartier-général de Berlin avec les quartiers-généraux des différents corps d'armées.
es cryptanalystes britanniques de Bletchley Park, qui lui attribuèrent le surnom "TUNNY", comprirent le fonctionnement de la machine en janvier 1942 grâce à une erreur de procédure d'un opérateur allemand qui, en août 1941, retransmit un même message avec la même clé de chiffrage, pratique formellement interdite par la procédure. A partir des deux textes chiffrés, il fut possible de reconstituer le texte clair et la clé de chiffrement.
Le code de cette machine fut totalement cassé par les Alliés entre 1942 et 1943. Plusieurs machines furent élaborées par les britanniques pour imiter son fonctionnement. Elles furent suivies par le premier ordinateur numérique au monde, le calculateur COLOSSUS. Celui-ci ne fut conçu que pour décrypter les messages de la machine de Lorenz. Il était programmé mécaniquement avec des commutateurs, des cartes enfichables et des panneaux d'interconnexion. Son utilisation permit aux britanniques de lire un grand nombre de communications de "Tunny".
Le service de cryptanalyse suédois parvint, de son côté, à casser le système de Lorenz en avril 1943.
L'appareil GEHEIMSCHREIBER T-52, appelé aussi Siemens & Halske T-52 ou encore Schlüsselfernschreibmaschine (SFM) ou Geheimschreiber (G-Schreiber) était une machine de chiffrement associée à un téléscripteur utilisée par les unités de la Luftwaffe et La Kriegsmarine. Elle reçut le nom de code "STURGEON" par les cryptanalystes britanniques de Bletchley Park.
Développée par la firme allemande Siemens & Halske en 1930, elle remplit un rôle identique à la machine de Lorenz SZ-40/SZ-42 utilisée par la Heer et décrite précédemment. Toutefois elle produisait un chiffrement beaucoup plus complexe que la machine de Lorenz.
L'unité de chiffrement comportait 10 rotors permettant de générer la clé unique de codage. Elle ne fonctionnait qu'en ligne directement sur l'impression des signaux. Les messages, saisis en clair étaient immédiatement imprimés en clair à l'autre extrémité. Les opérateurs n'avaient donc aucun accès au texte chiffré.
Elle était utilisée principalement sur les lignes terrestres filaires et très occasionnellement avec des équipements radio pour des transmissions hertziennes.
La version initiale de la machine n’était pas très sûre et plusieurs versions virent le jour pour améliorer la sécurité de chiffrement.
L'interception des messages envoyés par lignes terrestres était particulièrement difficile. Briser le code de la T-52 fut réalisé en premier par les cryptanalystes suédois en juin 1940. Après l'occupation du Danemark et de la Norvège, les allemands utilisaient, pour leurs communications, des lignes téléphoniques terrestres qui traversaient la Suède, ce qui facilita le déchiffrage des messages par les suédois qui purent ainsi lire pendant trois années consécutives les messages circulant entre Berlin et Oslo, mais aussi entre l'Allemagne et les forces allemandes en Finlande ainsi que ceux de l'ambassade d'Allemagne à Stockholm. Ils parvinrent ainsi à intercepter 500 000 messages allemands parmi lesquels 350 000 furent déchiffrés. Cependant, en 1943, les allemands découvrirent les faiblesses de la version en exploitation et apprirent que leurs chiffrements étaient accessibles aux suédois. Ils introduisirent alors une version améliorée, le T-52d, dont les rotors présentaient un pas irrégulier. C’était trop pour les suédois....
Les cryptanalystes britanniques, de leur côté, eurent moins de chance que leurs homologues suédois, essentiellement parce que le T-52 était utilisé sur les lignes terrestres, auxquelles les britanniques, contrairement aux suédois, n’avaient pas accès. Cependant, le T-52 apparu occasionnellement sur le liaisons hertziennes en particulier en 1942 où les allemands les utilisèrent entre la Sicile et la Libye, puis plus tard, entre la mer Égée et la Sicile. Les messages ayant été envoyés en profondeur (c'est à dire avec les mêmes paramètres initiaux), les britanniques parvinrent à reconstituer le fonctionnement de la machine. Au fil du temps, et malgré le peu de trafic transitant par radio, tous les modèles T-52 finirent par être déchiffrés, y compris le T-52D beaucoup plus amélioré, sous réserve qu'ils aient été reçus en profondeur. En pratique, ils constatèrent que la plupart des messages envoyés sur les liaisons radio T-52 étaient aussi transmis via ENIGMA ou SZ-40/42. Le déchiffrage de ces deux machines étant bien mieux maîtrisé, la valeur des messages T-52 était relativement limitée.
Après la fin du conflit, de nombreuses machines T-52 furent exploitées par les armées et les services de sécurité de nombreux pays. La machine fut, entre autres, utilisée par le ministère français des Affaires étrangères qui fit l'acquisition de plus de 230 unités.
Développée en 1943 par Siemens et Halske, SFM T-43 entra tardivement en service en 1944.
Ce fut la dernière réalisation dans l'évolution de la communication cryptée par téléimprimeur.
Basée sur le modèle de téléscripteur Siemens T-37, elle utilisait la technique de masque jetable qui consistait à combiner le message en clair issu d'une bande perforée avec une clé issue quant à elle d'une autre bande perforée.
Ce système appelé chiffre Vernam, dont la clé était à usage unique, présentait en théorie une très grande sécurité. Pour chaque caractère tapé sur une touche du clavier, un caractère aléatoire était lu à partir de la bande clé puis mélangé avec le caractère original au moyen d’un circuit électronique. Une fois que le caractère utliisé à partir de la clé était lu, il était systématiquement détruit de telle sorte à ne pas être réutilisé à nouveau.
L'appareil servait principalement à l'échange de messages stratégiques sensibles entre les postes de commandement au plus haut niveau.
On estime qu'un nombre restreint d'unités furent produites, de l'ordre de 30 à 50 suivant les sources. Toutes furent confisquées par les alliés à la fin des hostilités, mais, curieusement, elle reste encore très peu connue. A ce jour, les caractéristiques techniques et les informations sur ce dispositif ne sont toujours pas déclassifiées.
Cette machine servit probablement ultérieurement de modèle pour la conception d'une machine de l'OTAN peu de temps après la fin du conflit.
La SFM T-43 fut surnommée “TRASHER” par les cryptanalystes britanniques. Aucun témoignage n'est venu confirmer le déchiffrage du code par les cryptanalystes alliés et tout laisse à penser qu'elle resta inviolable. Certains experts avancèrent l'hypothèse que les bandes clé étaient générées à partir d'une machine de Lorenz SZ-42 ou probablement par deux machines Siemens & Halske T-52 utilisées en cascade.
La SFM-43 était quasiment équivalente à la machine britannique 5-UCO (voir post 19 : SUITE 9 > PRINCIPALES MACHINES DES FORCES ARMÉES BRITANNIQUES).
Bravo et merci pour de présenter des articles aussi complets et rigoureux sur notre forum, Bernard
"Dans les situations critiques, quand on parle avec un calibre bien en pogne, personne ne conteste plus. Y'a des statistiques là-dessus." (Jean Gabin) Mélodie en sous sol
Bonjour, Merci pour vos compliments et encouragements. Il y aura probablement d'autres sujets similaires - certainement moins longs - qui feront (re)découvrir certains appareils ou équipements oubliés, peu connus ou insolites de cette époque, particulièrement florissante en matière d'innovations technologiques.
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