Post Numéro: 57 de Vincent TORRES 16 Mai 2005, 23:00
Bonsoir à toutes et à tous,
Je viens ce soir vous raconter une anecdote qui s'est déroulée dernièrement. Il faut tout d'abord savoir que nous sommes parfois réunis, nous les quatre « copains ». Je commence par le plus jeune : il s'agit d'Antoine, c'est mon frère il est de la classe 1944, il a donc 81 ans. Les deux suivants sont Jean (mon beau-frère), et moi Vincent tout deux de la classe 1938, tous deux 87 ans et le plus ancien d'entre nous Camille, de la classe 1934.
Antoine a servi au 45e régiment de transmissions. Il était chauffeur et n'a pratiquement pas connu les combats. De fin 1944 à fin 1945, et il n'a cessé de faire des aller-retour entre Paris et pratiquement toutes les villes d'Allemagne.
Jean a été mobilisé en Afrique du Nord (à Constantine) au sein du 64e bataillon de chars de combat (F. T. 17). Il a été formé comme mécanicien sur les chars. En 40, il n'a pas cessé de faire des va-et-vient entre Tunis, Alger et le Maroc. Démobilisé fin 41, remobilisé le 251142, il a embarqué a Mers el-Kébir en 44 pour débarquer en Provence le 17 août 1944 au sein du troisième régiment de chasseurs d'Afrique.
Camille lui a été maintenu sous les drapeaux en Tunisie. Ses qualifications sont (et resteront jusqu'à la retraite) « Mécanicien d'essai en vol » une action de d'éclat remarquable lui rapportera la Légion d'honneur. Il terminera sa carrière en tant que mécanicien hélico à Sud aviation Marignane.
Camille a toujours le dernier mot, c'est le plus ancien d'entre nous. Nous lui devons le respect. Nous avons fêté ses 92 ans.
À l'occasion des cérémonies du 8 mai, le plus vaillant d'entre nous, (Camille) est venu nous chercher chacun à notre domicile pour nous conduire à la cérémonie. Je tiens à vous dire que nous n'avons pas cessé d'évoquer nos souvenirs. Bien entendu le nous avons un peu abusé des plaisirs de la table. Aussi les moments douloureux évoqués, nous nous sommes laisser aller à boire un peut. Seul Camille était interdit de boissons ! Mais...
De retour, pas bien tard, nous étions tous un peu chauds ! Bien entendu nous avons chanté toutes vitres ouvertes. Puis il y a eu des silences. Et c'est cela dont je veux vous parler. Nous étions sur l'autoroute, j'étais à l'arrière droit du véhicule et j'observais Camille. Il devait penser que nous nous étions à demi endormis. Et un surprenant phénomène s'est produit. Camille s'est mis à dire à mi-voix : « pression des pneus o.k ; feux de croisement allumés ; température de l'eau OK ; pression d'huile OK ; régime moteur trois quarts ; vitesse 130 km heure ; temps clair ; visibilité 5000. »
Il est vrai que sur son véhicule il y a une quantité invraisemblable de cadrans ! Je me suis mis avoir peur, et l'arrivée d'un péage m'a donné l'occasion de rompre cette espèce de monologue surprenant mais que je comprends si bien. Ainsi en dehors des traces douloureuses des combats, nous avons tous gardé quelque part ces espèces de réflexes qui resurgissent après 60 ou 65 ans !
Je comprends pourquoi mon épouse m'a si longtemps reproché de conduire ma voiture avec brutalité... Du reste, depuis ce jour où j'ai été touché à bord du H 39, lorsque je passe devant un char, je réalise que je m'arrange toujours pour passer par derrière. Rien ne me glace plus que la gueule d'un canon.
Je vais arrêter là pour ce soir, j'ai été très bavard, je vous ai parlé de l'actualité, de ce qui fait aujourd'hui que je repense à tout cela. Les souvenirs se bousculent, les aventures ressurgissent comme des bulles la surface d'un étang. Je réalise qu'il faudrait toute une vie pour vous raconter tout cela. Mon prochain récit clôturera, je pense la phase concernant mes souvenirs à l'apprentissage de la conduite et de la pratique du F. T. 17.
Post-scriptum : je veux répondre à l'un d'entre vous au sujet du char dont il me joint la photo et au sujet duquel il me dit : « que pensez-vous à l'époque de ces super lourd ? »
Les choses étaient assez claires. Il y avait le F. T. 17 dont on se moquait beaucoup à cause de sa queue, de sa lenteur, et de son canon. Il y eut ensuite le H 39 ; le SOMUA qui avait une fâcheuse tendance à se renverser ; de plus il se démontait en deux parties ce qui lui avait valu le nom de boîtes de conserves ; et le fameux B1 bis que nous admirions. Nous l'appelions volontiers du nom amical de « Bibis »
Tous les autres blindés français (FCM notamment, fabriqués près de Toulon) 2 C etc...étaient rares et secrets.(Cela me rassurait du reste que nous ayons des armes secrètes...)
Bonne semaine à tous.
Vincent TORRES