Rebonjour à la compagnie
Je me suis présenté (très sommairement) au "bureau de recrutement"; je ne pensais pas intéresser beaucoup de monde, mais je réalise que les témoins de l'époque commencent à se faire rares...Et à l'invitation de Daniel Laurent, je vais poursuivre ici ma modeste contribution à l'histoire.
J'en étais resté au tocsin qui a inauguré la "drôle de guerre". Bien sûr, mon père avait été mobilisé, les autres hommes de notre nombreuse famille étant militaires de carrière. Ensuite j'ai souvenir d'une alerte aérienne nocturne. Je ne saurais en préciser la date. Nous sommes descendus à la cave, et par le soupirail, j'ai entendu une sorte de hennissement de cheval. Je pense maintenant que c'étaient des stukas qui attaquaient Villacoublay ? Si un vieux versaillais pouvait me confirmer ?
Par la suite, nous ne sommes jamais redescendus dans la cave, dont le séjour n'était pas agréable.
Hiver 39-40 froid, mais sans soucis particuliers. J'ai même appris récemment, en lisant de vieilles lettres, que mon père avait refusé d'être démobilisé (en raison de son âge et de ses charges familiales); non par patriotisme, mais parce qu'il trouvait un avantage matériel dans sa situation d'officier de réserve !
Quant à mon frère ainé, jeune sous-lieutenant, il nous écrivait en mars 40 depuis son sp:
"Hitler est bien embêté..."
Vint le mois de Mai; je sentis bien qu'il se passait des choses inquiétantes, mais sans plus.
Le 10 juin, mon père (enfin démobilisé) pris par la panique qui faisait partir les voisins à pieds, avisa la voiture laissée dans son garage par mon oncle. Mais mon père ne savait pas conduire et de toutes façons, il s'avéra que cette voiture n'était pas en état de démarrer. Si bien que nous sommes restés sur place et ce fut notre chance.
Quelques jours plus tard, d'énormes incendies colorent le ciel en rouge, et des retombées de suie grasse recouvrent toute la végétation. Le lendemain matin, mon père qui était parti faire des courses, est revenu précipitamment en nous disant d'une voix blanche: "Les allemands sont en ville". Puis, j'ai vu passer sous nos fenêtres un groupe de soldats français dépenaillés emmenés vivement par des soldats allemands. Malgré mon âge, cette vision m'a semblé humiliante.
Mon frère, grièvement blessé près de Gournay, avait été ramassé par une ambulance allemande et soigné en Belgique, ce qui lui valut d'échapper à la captivité.
Les semaines suivantes furent paisibles pour nous. Un officier allemand s'étant présenté pour réquisitionner la maison, ma mère, qui baragouinait un peu sa langue, lui indiqua une maison voisine que ses occupants avaient quittée pour partir en exode. A leur retour, ils la trouvèrent saccagée...
A suivre...