Henri Perrin, dit "Lieutenant Basile", FTP en Ardèche

Merci beaucoup pour ces très intéressants détails. Je vais essayer de me procurer le livre de Sylvain Villard.
Encore merci et bonne soirée !

De rien !

Outre la lecture du livre de Sylvain Villard, je vous suggère vivement de contacter l'auteur. Il pourra peut-être vous fournir des informations concernant votre oncle....

Les coordonnées de Sylvain Villard (Michel Rigaud de son vrai nom) sont visibles au bas de la page dont voici le lien : https://sylvain-villard-auteur.fr/produ ... e-edition/

Merci beaucoup.

Ce que je peux ajouter, c'est que le Commandant de la Roque se savait menacé. En effet, quelques jours avant son assassinat, il était venu prévenir mon oncle qui était également officier de réserve, lui disant: "Fais très attention, Londres nous a informé que les FTP ont reçu de Moscou l'ordre d'éliminer les officiers de réserves. Donc prends tes dispositions en conséquence".

L'un de mes cousins, qui était enfant en 1944, et est aujourd'hui très âgé mais toujours parfaitement lucide, a assisté à la rencontre entre son père et le Commandant de la Roque et s'en souvient en détails.

Je suppose que Moscou comptait sur une prise de pouvoir par les FTP à la libération, et voulait dégager le terrain des cadres FFI d'obédience gaulliste avant une potentielle guerre civile. Cette crainte d'une guerre civile a probablement contribué à la décision d'amnistie de ces crimes.

Merci beaucoup.
Cette crainte d'une guerre civile a probablement contribué à la décision d'amnistie de ces crimes.

La loi d'amnistie du 6 août 1953 (en faveur des collabos comme des résistants) faisait suite à d'autres lois d'amnistie, notamment celles du 16 août 1947 et du 5 janvier 1951.

Pourquoi l'amnistie générale en 1953 ? Officiellement, c'est au nom de la "réconciliation nationale". Mais il s'agit aussi (et peut-être même d'abord et surtout) de sauver la réputation de la Résistance. Si des milliers de collabos sont en effet amnistiés en août 1953, des milliers de résistants échappent également aux poursuites judiciaires intentées contre eux par des milliers de familles dont un membre fut une victime innocente de "l'épuration sauvage" (9 à 10 000 morts rappelons-le, dont beaucoup n'avaient rien à se reprocher).

On estime qu'entre 1945 et 1953, 2000 résistants sont passés par les geôles de la République ! Jusqu'en 1953, des chefs de maquis prestigieux (Guingouin, Romans-Petit, etc.) risquaient à tout moment de se retrouver en prison ! Il fallait donc stopper cet engrenage dangereux et donc amnistier tout le monde.... Problème réglé par la loi du 6 août 1953 !



Ci-dessus, l'article 20 de la loi du 6 août 1953 qui sauve la Résistance de toutes poursuites pénales...

Pour terminer, voici un article très intéressant qui explique bien quelle était la situation plus que délicate de milliers de Résistants entre 1945 et 1953...

Fabrice GRENARD, « La Résistance en accusation. Les procès d’anciens FFI et FTP en France dans les années d’après-guerre », Vingtième Siècle, 2016/2 (N° 130), p. 121-136.
URL : https://www.cairn.info/revue-vingtieme- ... ge-121.htm

Petite suggestion pour notre ami Aïki, s'il peut se rendre au SHD à Vincennes :
GR 19 P 7 - 14 F.T.P.F. : 7113e Compagnie
GR 19 P 7 - 34 F.T.P.F. : Etat-major départemental Ardèche
Et aussi :
GR 13 P 48 (Ardèche)
GR 13 P 99 dossiers d'homologation d'unités FFI Ardèche
LEs archives nationales sont également intéressantes (archives du CH2GM par ex.)
Voir aussi les références pour les dossiers individuels. N'hésite pas à demander pour tout conseil, le forum est là pour ça !

Récit particulièrement intéressant parce que même si les faits ont été considérés amnistiés, la Justice est allée au bout en enquêtant avec les faits à disposition et les témoignages et interrogatoires. Même si la Justice ne juge que les faits et les personnes impliquées (elle n'est pas la pour juger la Résistance, les FTP ou le Parti communiste), ses conclusions décrivent un système qui n'a rien de particulier et que j'ai constaté en d'autres endroits en interprétant les faits, et croisant les sources mais pour lequel il n'a probablement jamais existé de document source et pour lequel les témoignages sincères manquent:
Le Parti Communiste avait organisé sur le modèle du Détachement Valmy des unités chargé de l'Epuration politique, que l'on pourrait assimiler à des escadrons de la mort.
L'enquête parait dans le cas présent particulièrement circonstanciée (dans les limites de la sincérité des dépositions):
Le Lieutenant Basile commande une unité parfaitement intégrée à un commandement et exécute les ordres qui lui sont donnés. En l'occurrence, ici exécuter les 50 personnes figurant sur la liste. Son supérieur , le Commandant Ravel le confirme. Cependant celui-ci n'est pas sincère lorsqu'il déclare que la liste lui a été transmise par l'état-major départemental des FFI de l'Ardèche.
Nous sommes dans une période particulière. Officiellement les FTP sont dissous depuis le Débarquement de juin 1944 pour devenir FFI et se fondre avec les autres mouvements de Résistance. Concrètement ce passage est progressif. Les Maquis se regroupent ou se transforme en Bataillon FTP puis en Bataillon FFI. (Pour la Bretagne que je connais le mieux, les Bataillons FTP se forment début août avec l'arrivée des Forces Américaines et fin août les bataillons FTP prennent l'appellation FFI notamment à l'occasion de la constitutions des Fronts sur Lorient et Saint-Nazaire où les troupes allemandes se sont repliées.)
Lorsque le Commandant Ravel déclare que la liste lui a été transmise par l'état-major départemental des FFI de l'Ardèche il faut comprendre qu'elle lui a été remise probablement par le Commissaire Politique FTP qui a intégré l'Etat-Major FFI. Cette liste il ne l'a pas inventé, elle a mis un temps pour être établie, avec touts les renseignements nécessaires pour localiser les personnes à exécuter, (adresse, lieu de travail...) Une liste d'une telle importance n'a pu se faire sans approbation ni même sans soutien et ordre de la hièrarchie. Il faut au moins remonter à l'Interrégion FTP.

Ce que je peux ajouter, c'est que le Commandant de la Roque se savait menacé. En effet, quelques jours avant son assassinat, il était venu prévenir mon oncle qui était également officier de réserve, lui disant: "Fais très attention, Londres nous a informé que les FTP ont reçu de Moscou l'ordre d'éliminer les officiers de réserves. Donc prends tes dispositions en conséquence".
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Un certain nombre de listes de ce type étaient le fruit des échanges de renseignement entre le BCRA et le Service B des FTP. Le BCRA s'était depuis longtemps rendu compte que les FTP avaient incorporé à ces listes leurs propres objectifs politiques qui n'avaient que peu, voire pas du tout, rapport à la Libération.

Ce que les juges confirment et sous-entendent Lorsque ils écrivent:
"les charges étaient insignifiantes lorsqu'elles n'étaient pas inexistantes, qu'on peut se demander si ces victimes n'ont pas été choisies en raison d'une situation sociale ou d'une influence locale qui laissait présumer qu'elles appartenaient à des milieux politiques opposés aux tendances extrémistes des éléments FTP, lesquels auraient profité des circonstances pour éliminer des adversaires possibles"
Ils pointent précisément qu'il s'agit d'assassinats politiques. Dans la liste il y a certainement de véritables collaborateurs qui représentent une menace réelle pour la Résistance, cependant ils y figurent uniquement pour valider les accusations contre les cibles politiques.

Quant à la tentative d'élimination d u Lieutenant Basile, je reste particulièrement dubitatif sur le raison: , "Basile et la 7 113e Cie avaient prévu de se rallier avec armes et bagages à l'AS. "
L'unification des mouvements de Résistance était déjà en route, la preuve l'existence d'un Etat-Major FFI et dans les bios que j'avais cité précédemment les unités de l'AS et les FTP opèrent déjà ensemble.
"une décision ministérielle du 22 août 1944 autorise les unités FFI ayant eu une instruction militaire suffisante à être maintenues et intégrées sous les ordres de leurs chefs. C’est ainsi que se constituent en octobre le bataillons Ravel issu des FTP (1 050 hommes) et le bataillon Fauveau issu de l’AS (1 094 hommes), intégrés au sein de la 24ème division alpine. Envoyés sur le front des Alpes, ils participent pour une partie d’entre eux aux opérations contre les forces allemandes en Alsace "

L'ardèche est libérée dans la 1ere semaine de septembre; Quelle trahison alors?

Quant à la tentative d'élimination d u Lieutenant Basile, je reste particulièrement dubitatif sur le raison: , "Basile et la 7 113e Cie avaient prévu de se rallier avec armes et bagages à l'AS. "

L'historien Sylvain Villard explique très bien dans son livre les circonstances de la rupture entre le lieutenant Basile et le commandant Ravel, chef des FTP de l'Ardèche.

Basile, qui commandait la 7 113e Cie de FTP, était difficile à contrôler. A plusieurs reprises au cours de l'été 1944, il avait décidé de mener certaines opérations militaires de son propre chef, sans avertir ses supérieurs.

En outre, Basile avait refusé d'intégrer dans sa compagnie le commissaire aux effectifs désigné par l'état-major FTP de l'Ardèche, à savoir Emile Nodin alias Benjamin. Rappelons que chez les FTP, le commissaire aux effectifs joue le rôle de commissaire politique. A la place de Nodin, Basile avait désigné un certain Franck Gagnaire, auparavant chef des Compagnons de France à Tournon, une organisation de jeunesse d'essence pétainiste, lequel Gagnaire avait rallié la Résistance début 1944. Gagnaire, à l'inverse de Nodin, n'était donc pas membre du PCF.

Pour couronner le tout, Basile aurait insulté publiquement "le camarade Staline" lors d'une réunion avec le Comité militaire régional FTP à Privas le 17 août 1944. Crime de lèse-majesté !

Le 18 août 1944, Basile rencontre à Lamastre François Binoche, le chef de l'AS de l'Ardèche (et futur compagnon de la Libération). Un accord est trouvé : la 7 113e Cie de FTP passera à l'AS...

L'historien Sylvain Villard cite dans son livre l'intégralité de la lettre que le commandant Ravel, chef des FTP ardéchois, a envoyée dès le 16 août 1944 à Basile. Extraits : "Je viens d'être mis au courant par plusieurs sources différentes qu'une manoeuvre serait en train de se faire pour que ta compagnie passe sous le contrôle des FFI, chose contraire à la décision que nous avons signée, soit AS, soit FTPF. [...] Je te pose la question : oui ou non es-tu un homme ? Oui ou non es-tu un FTPF ? Je le crois encore personnellement. Je ne puis croire que tu puisses quitter cette armée populaire , cette armée que nous avons vu naître et fait grandir au sacrifice de notre peau [...]". La lettre est lourde de menaces et on sent bien en la lisant que tout cela risque de se terminer à coups de révolver...

Le 26 août 1944, le Comité militaire régional FTP se réunit de nouveau sous l'autorité du commandant Ravel, mais sans Basile cette fois. Ce dernier est condamné à mort avec quatre de ses subordonnés. Motif officiel : "banditisme" et "pillage". Mais c'est bien quelqu'un considéré comme un traître et un déserteur que Ravel fait condamner à mort. L'historien Sylvain Villard reproduit dans son livre le fac-similé du procès-verbal de cette réunion.

Je ne prends jamais les choses pour ce qu'elles sont. On parle d'un individu devenant incontrôlable mais on en condamne quatre à mort. Nous sommes en plein procès stalinien et les faits doivent être interprétés sous cet angle, me semble-t'il.
L'accusation de banditisme est faite pour que les "camarades" n'hésitent pas au moment de voter la condamnation et réprimer par avance toute volonté de modération. Dans cette comédie tragique il faut savoir interpréter les us et coutumes. Le refus d'intégrer dans la compagnie le commissaire aux effectifs désigné par l'état-major FTP de l'Ardèche, Emile Nodin, (de Lamastre, responsable du Front national, récipiendaire du brevet n° 712 du Supreme Commander Dwight Eisenhower "for brave conduct while acting under my orders in the liberation of his country, 1944-1945") à la place de Gagnaire, loin d'être une des causes ou un des éléments déclencheurs est clairement une manœuvre de reprise en main sinon de forcer Henri Perrin dans ses derniers retranchements et de ne laisser pas d'autre "choix" que son "élimination".
Henri Perrin était il devenu vraiment incontrôlable, menant des opérations en n'en faisant qu'à sa tête (tout en conduisant scrupuleusement son
travail d' "épurateur") ? Pas sûr. Les raisons de désaccord avec l'EM FTP sur la conduite des opérations ne devaient pas manquer comme le montre la tragédie du Pouzin:
https://fusilles-40-44.maitron.fr/spip. ... icle245214

Dans le cadre du Détachement Valmy, les agents "épurateurs" étaient militairement courageux mais considérés "politiquement sans valeur". Ceux qui ont survécu ont après-guerre été placardisés et tenus de se faire oublier.
La Révolution dévore ses enfants. Comme dans de nombreux corps-francs et autres groupes d'action, les membres finissent par s'affranchir de leur commandement mais chez les FTP la "ligne du Parti" l'emporte le plus souvent sur la réalité du terrain. Peut-être aussi que Henri Perrin détenteur de certains secrets et embarassant pour le PC risquait de faire de l'ombre après-guerre aux FTP plus politiques ? Son sort avait peut-être été décidé depuis plus longtemps que l'on ne le pense.

Nous sommes dans une configuration pas si éloignée du cas de Georges Guingouin que le PCF voulait éliminer physiquement.

Pour Aïki :

Concernant Henri Perrin, alias lieutenant Basile, l'historien Sylvain Villard a écrit L'oubli ou la face douloureuse de la Résistance en Ardèche , publié en 2007. L'ouvrage est consacré en grande partie à l'affaire de la "liste noire" de 50 personnes à abattre et dont Basile fut le principal exécutant. C'est de ce livre que j'ai tiré les infos publiées dans mes messages précédents.

Mais Sylvain Villard a écrit un autre livre en 2003 : Des combats et des hommes, tome 1. Je viens de le relire et on y trouve un long chapitre intitulé "La 7 113e Cie ou la bande à Basile". Ce chapitre donne de nombreux détails sur l'action de cette compagnie FTP dirigée par Basile. On y trouve plusieurs photos dont celle-ci :



Dans ce même ouvrage, Sylvain Villard a longuement donné la parole à Georges Barbary (1915-2010), l'adjoint de Basile. Barbary, alias Paul, déclare dans le livre : "Oui ! Je le dis, certains de ceux que nous avons fusillés ne le méritaient pas. De tous, je traînerai toute ma vie leurs visages horrifiés et leurs supplications..." (p. 193).

Ce même Georges Barbary a écrit ses propres mémoires, publiées en 2018 après sa mort, en partie consacrées à la 7 113e Cie et à Basile :

Bonjour,
je m'éloigne un peu du sujet mais des travaux ont permis de découvrir une cache d'armes dans une cour d'école de la Drôme : https://www.ouest-france.fr/leditiondus ... db7d00a235.
Étonnant non ?
Gildas

Retrospectivement, quelle était selon eux la finalité de cette liste des 50?
Ils se retranchent derrière Un ordre à exécuter pour lequel on ne leur a fourni et ils n'ont demandé aucune explication? Georges Barbary dit "Oui ! Je le dis, certains de ceux que nous avons fusillés ne le méritaient pas." mais ce n'est pas un aveux, ce sont les conclusions des juges.
Le fait que leurs collègues FTP les avaient à leur tour condamnés à mort, (et qu'ils n'ont pas dû témoigner spécialement en leur faveur au procès?) leur a probablement donné à réfléchir?