Post Numéro: 1 de Resilience 27 Déc 2019, 16:39
Je voudrais apporter mon témoignage en tant que petite-fille de "collabo".Maquis de Broualan-Antrain ;
C'est en effet de mon grand père maternel qu'il s'agit. Je ne l'ai jamais connu, ni entendu parler de lui. Comme mon grand père paternel était également décédé (Mais j'en savais quand même plus sur lui), j'ai grandi sans me poser plus de questions. Et de toute façon, chez moi, ma mère excellait à éluder les questions gênantes et j'ai vite compris que j'avais intérêt à filer doux .Question d'ambiance, direz-vous, mais cette ambiance, j'ai grandi dedans et vous comprendrez mieux ce que je veux dire. Nous étions 3 filles et je suis la dernière.
Je me suis donc construite par rapport à mon père, ouvert sur le monde et les gens, et qui s'était engagé,jeune,et non politisé dans le Sud Ouest (dès l'âge requis) pour finir à Berlin(sans le savoir à l’avance), car disait-il : "je ne pouvais pas voir les Boches!".
J'ai pris le large assez tôt, juste après mon bac, pour fuir les valeurs, l'ambiance imposée par ma mère et surtout une sorte de "non dit" que j'identifiais mal à l'époque mais qui me mettait très mal à l'aise, sans pouvoir trouver de mots pour le décrire.
Le large, c'était mon autonomie qui me permettait de vivre et de m'ouvrir au monde. C'était aussi mettre de la distance entre ma famille élargie (Sur laquelle ma mère avait la main mise) et moi-même. J'agissais par instinct, car ne comprenant ni les rouages ni les buts de ce fonctionnement, je préférais m'en méfier. Bref je fuyais en quelque sorte des pressions qui n'avaient ni tenant, ni aboutissant, ni explication.
Et j'ai commencé à la payer "cher" petit à petit, cette liberté, cette autonomie, par des attaques incessantes, répétées, sournoises et diffamatoires de ma mère auprès des membres de ma famille d'abord, puis de mes soeurs, puis de ma fille pour couronner le tout ! Après la mort de mon père ce fut de pire en pire et sans que je puisse avoir d'explications ! Le brouillard total et l'incompréhension. Voire la peur. Oui, j'ai éprouvé de la peur devant ce qu'elle était capable de faire et de dire. Elle est décédée sans rien dire (Sans rien ME dire ou m'écrire, j'étais à cette époque à l'autre bout du monde). En emportant son secret.
Vous me direz que c'est triste de parler ainsi de sa mère, mais c'est juste ma réalité mon vécu.
Ce n'est que l'année dernière qu'une cousine éloignée a essayé de reprendre contact avec moi, et m'a brutalement appris que notre grand père commun était un "collabo", que leurs parents les avait mis au courant très jeunes et que les discussions sur le sujet étaient quotidiennes! A ma grande surprise, elle venait sans le savoir de me donner les clés pour comprendre tout le brouillard et l'incompréhension dans lesquels j'avais baigné. J'avais donc été la "seule" à n'avoir été au courant de rien, même pas le début du début d'une info sur le sujet. Elle m'apprenait également que toute ma famille (Soeurs, beaux-frères, cousins…) est d'extrême-droite depuis longtemps.
Là, j'ai compris que ma mère savait depuis mon adolescence que je ne serai jamais de ce camp là, d'où l'exclusion dont j'ai été l'objet par tout moyens appropriés ou inappropriés... Et surtout il fallait que je ne sache rien car mon père est décédé sans jamais avoir rien su! Incroyable mais vrai. En effet, si j'avais appris quoique ce soit, c'est sûr que j'en aurai parlé avec lui et pour ma mère, c'était évidemment inenvisageable... Mes soeurs, elles, se sont tues. Tout le monde s'est tu, adoptant allègrement les idées, les valeurs, les façons de faire de ce grand père, de ma mère, de ses relations (sic) et menant mon père en bateau.
C'est pour lui que je témoigne.
Ce grand-père avait été "collabo" soit, mais quel collabo? Ma cousine ne savait pas grand chose en fait. Elle avait bien tenté de voir des témoins de l'époque (Tous décédés à présent, ce qui ne me facilitait pas la tâche!) mais seulement des ex-miliciens (sic...) qui ne lui apprirent rien.
En discutant plus avant avec elle, pour faire appel à sa mémoire et ce qu'elle avait entendu chez elle, il ressortait qu'il était sans aucun doute possible "monarchiste", "antisémite", "fasciste", et qu'il était le seul de la ville à avoir à sa table des allemands, dont des Officiers.
Je décidais de commencer des recherches, avec son accord, bien qu'elle insista sur le fait que les gens susceptibles de savoir quelque chose étaient tous morts ! J'étais mal partie et prévenue trop tard, à mon sens, décidément.
Je savais donc par ma cousine qu'il avait fui sa ville (Où il était élu de 1936 à 44), entre environ le 28 Juillet et le 1er Aout pour un château dans le centre de la France. Je savais que mes parents s'étaient rencontrés du côté de Vichy, ma mère enceinte et mineure, s'étant faite épouser rapidement. Ce lieu avait bien soulevé des interrogations de ma part mais jamais de réponse claire ! Je décide de partir là bas à la recherche de ce château et je trouve. Je trouve la Mairie du petit bourg où ils se sont mariés, et sur l'acte de mariage daté de 1947, la signature du grand père (Ma mère était mineure) attestant de sa présence. Et dans ce bourg, tout proche de Vichy, le château où il s’est caché jusqu'en 1952. A cette date il revient dans son département d'origine(malade) sans toutefois revenir chez lui, dans sa maison et son village et ce malgré les lois amnistiant les faits de collaboration ! Il meurt en 1953.
Je continue mes recherches mais ne sachant trop comment m'y prendre. La dernière guerre n'avait pas été ma préoccupation première. Je me mis à lire tout d'abord, faire de l'internet à haute dose, et je suis entrée en contact avec un homme remarquable, que je salue au passage et qui m'a donné des pistes pour mes recherches: livret militaire, et surtout archives auxquelles je n'aurais jamais pensé.
Je me déplace donc un jour aux Archives départementales et rencontre le Directeur. J'explique (pas fière) que je cherche une trace, peut être une lettre de dénonciation, d'un grand père. Ce Monsieur s'absente un instant et revient en me priant de m'asseoir. Il y a bien un dossier à son nom, mais "Vous avez une procédure à suivre, une dérogation à demander" car le document est protégé pendant 100 ans ! (C'est pourquoi, vous le comprendrez mon témoignage doit rester anonyme) Deux mois à attendre pour savoir si je peux le consulter et surtout (Ce qui est rare!) obtenir des copies. Je passe sur mon agitation intérieure... mais je touchais au but.
J'ai eu le feu vert après 2 mois épouvantables et j'ai pu avoir des copies(rare)…
Mon grand-père, le 10 Juillet 1944, a dénoncé tous les chefs de la résistance du lieu à la Préfecture régionale, au service "Information", et ce juste après un massacre par la milice d'un maquis tout proche le 07/07/44 ! Ce également alors que les Américains étaient à la porte du Département.
Bien que les protagonistes ne furent pas arrêtés (Ils ont été prévenus), l'enquête judiciaire a eu lieu en 45 et le CDL devant les témoignages accablants demande l'internement. Le Préfet classera "sans suite" (Mais n'était ce pas à cause de son poste de "délégué cantonal à l'Information" qu'il occupe à partir de 1942 que le Préfet ne donne pas suite ?).
De plus, la milice intervient le 07 juillet dans un maquis, le 08 dans un autre tout proche, et le 10, il écrit cette lettre? Je peux raisonnablement penser à son implication d'une manière ou d'une autre, pour le 07 et 08 également ...
J'apprends aussi dans ce dossier qu'il laissait ses filles "faire de la musique en compagnie des Allemands" (sic), qu'il était toujours à cours d'argent : Problème quand on sait que les dénonciations étaient rémunérées.
Je me pose également la question de savoir s'il a joué un rôle quelconque dans la Milice, ce qui, avec le témoignage de ma cousine, est hautement probable.
Bien des questions restent mais j'ai encore des détails à récolter, des dossiers à lire aux archives (Car je vais pouvoir consulter tous les procès du département et y chercher les liens qui me manquent via certains noms)Non ,je ne pourrai pas, car après avoir voulu rencontrer mes sœurs, et refus, le Responsable de Rennes qui m’avait donné l’autorisation de lire d’autres dossiers a été muté…. !
Il est douloureux pour moi de découvrir tout ce passé, et si je témoigne, c'est pour mon père comme je l'ai déjà dit, mais aussi pour que tous aient conscience que demain tout peut recommencer. J'ai attendu 54 ans et l'Histoire m'a rattrapée.
N'oubliez jamais.