Élu président du Conseil le même jour qu'Hitler chancelier en 1933, Daladier mena dès son élection une lutte acharnée contre l'Allemagne nazie.
Édouard Daladier (à gauche) aux côtés d'Adolf Hitler (à droite) lors des accords de Munich.
Le 30 septembre 1938, les accords de Munich sont signés entre la France, la Grande-Bretagne, l'Allemagne et l'Italie. Édouard Daladier, alors président du Conseil, rentre en France avec le sentiment d'avoir permis à Hitler d'entamer sa conquête de l'Europe. Pourtant, au sortir de la Grande Guerre, Daladier a toujours été préoccupé par la situation de l'Allemagne. Vaincu, enclin à d'énormes restrictions, le Reich a nourri un antagonisme profond à l'égard de certains de ses voisins. Une véritable bombe à retardement qu'Édouard Daladier tenta de désamorcer à plusieurs reprises durant l'entre-deux-guerres.
Blessée, humiliée, l'Allemagne change de visage sous l'impulsion d'Adolf Hitler qui accède à la chancellerie le 30 janvier 1933. Édouard Daladier sera nommé président du Conseil le même jour, tout un symbole de cette lutte indirecte qui opposera le Führer au "Taureau du Vaucluse" durant les années qui suivirent. Les effets néfastes de l'exclusion de l'Allemagne ont toujours été considérés par Daladier, c'est donc sans surprise qu'il encouragea, en juin 1933, la constitution du "Pacte à quatre", dont l'objectif central était de maintenir l'Allemagne au sein de la Société des Nations et de l'impliquer pleinement lors de la conférence mondiale pour le désarmement se déroulant à Genève. Finalement, cette tentative diplomatique échoua puisque Hitler se retira des débats pour entamer une campagne de réarmement intensive.
L'affaire Stavisky met le feu aux poudres
En France, le climat est tout aussi tendu et caractérisé par une instabilité ministérielle. Les ligues antiparlementaires se multiplient et manifestent leur opposition au régime. Ces dernières envisagent concrètement le retour à un régime autoritaire, l'affaire Stavisky met le feu aux poudres tandis que les dysfonctionnements de la magistrature et de la justice apparaissent au grand jour. Daladier, alors ministre de la Guerre, est nommé pour remplacer Chautemps à la présidence du Conseil... Un cadeau empoisonné en raison de l'atmosphère suffocante qui y règne. Le cas Stavisky fait le bonheur des ligues et de la presse d'extrême droite qui s'empresse de diffuser une propagande antisémite et antiparlementaire. Daladier ne se défile pas, réputé énergique et impartial, il entreprend de restaurer la crédibilité du gouvernement en prenant des décisions radicales.
C'est ainsi qu'il renvoie plusieurs personnalités issues de la sphère politique et judiciaire, dont certaines furent impliquées dans l'affaire Stavisky et d'autres pour leurs affinités avec les ligues nationalistes. L'éviction de Jean Chiappe, proche des ligues et préfet de police de Paris, engendre des manifestations le 6 février 1934 qui se transforment en émeute meurtrière. Malgré ses prises d'initiatives, Daladier ne peut lutter face aux accusations de corruption et de scandales politico-financiers à l'encontre du gouvernement. La messe est dite, les radicaux succombent face à la pression populaire. Daladier démissionne, le gouvernement reste dans une situation instable jusqu'en 1936 et l'affirmation du Front populaire.
En effet, les événements de 1934 sont toujours dans les esprits et, à l'approche des élections législatives, les radicaux se montrent hésitants malgré le rapprochement entre le PCF et la SFIO. Herriot, alors à la tête du parti radical, est sondé sur la participation des radicaux à la manifestation des gauches unies prévue le 14 juillet 1935, mais, dans la foulée, et sans attendre l'aval d'Édouard Herriot, Daladier intervient personnellement lors d'un meeting et avance "un accord fraternel dans la bataille républicaine entre classes moyennes et prolétariat". L'élève prend le pas sur le maître, le parti radical doit se positionner en présage des législatives. Le recentrage du parti radical prendra définitivement forme en janvier 1936 lors de la publication du programme commun du gouvernement, période durant laquelle Daladier remplace Herriot à la tête du parti radical.
Édouard Daladier, homme d'initiative
Sur le plan international, Hitler devient de plus en plus incontrôlable et les accords de Munich signés par Daladier et Chamberlain n'atténueront pas les aspirations du dictateur allemand. C'est ainsi qu'au lendemain des accords de Munich, Daladier intensifie son large plan de réarmement (déjà impulsé en 1936 lorsqu'il fut nommé ministre de la Défense nationale et de la Guerre au sein du gouvernement Léon Blum) et de relance économique remettant ainsi en question les acquis sociaux de juin 1936. Son impopularité grandit vis-à-vis du Front populaire et de la CGT, mais, de l'autre côté du Rhin, les ouvriers travaillent cinquante à soixante heures par semaine et la Luftwaffe dispose fin 1938 de milliers d'avions de combat modernes.
Daladier décide donc de "remettre la France au travail" afin de dynamiser l'industrie de guerre tout en essayant, en parallèle, d'acheter des avions militaires aux États-Unis : "Notre infériorité aérienne est tragique. Il nous faut le secours de 1 000 avions américains. Il faut qu'en août 1939, nous ayons 2 000 avions disponibles en France. Les bombardiers, en particulier, sont indispensables, ils constituent l'un des gages du maintien de la paix." Ainsi, sous l'impulsion du duo Édouard Daladier-Guy La Chambre (ministre de l'Air), la France parvient à nouer de solides relations commerciales avec les États-Unis, tout en favorisant la création d'une véritable solidarité politique entre les deux nations. Cette association prometteuse sera malgré tout insuffisante, l'armée allemande prend rapidement le dessus sur les forces militaires françaises. Daladier se rend en Afrique du Nord afin de planifier la lutte ; en mer, il apprend la capitulation de la France. Son souhait de poursuivre le combat fut rapidement annihilé par le gouvernement de Vichy qui décide d'assigner en justice les anciens dirigeants politiques et militaires français. Édouard Daladier est arrêté en 1940, emprisonné puis jugé à Riom en 1942, lors d'un procès qui a marqué les esprits et qui révéla les réelles intentions de Daladier au sortir de Munich.
Par LAURENT LEGRAND - Le point.fr