Préliminaires à l’histoire de l’ORA
17 juin 40 : le maréchal Pétain appelle à la rupture du combat.
18 juin 40 : le général de Gaulle appelle à la poursuite de la lutte.
L’EMA est à Montauban ; chef, sous-chef, 1er bureau et représentant des directions sont installés dans le petit séminaire.
Deux préoccupations : mettre de l’ordre, sauver ce qui peut l’être : moralement, intellectuellement et matériellement.
La tâche est énorme ; elle exige, sans le moindre répit, état d’esprit immédiat, simple.
En même temps qu’on installe un commandement militaire dans chaque canton, responsable de tout (ordre, hygiène, ravitaillement, circulation, etc.), et qui, finalement, se substituera, durant quelques semaines, à tout, on lance l’ordre verbal de camouflage du matériel.
Le 24 juin 40 : les officiers de l’équipe de liaison partent transmettre cet ordre aux commandants d’Armée, de Région, de Groupements, à tous chefs qu’ils rencontrent sur leur itinéraire. Bine des chefs de corps, de division ont déjà pris des initiatives à ce sujet, mais plutôt dans le sens de la destruction que du camouflage.
Or, une arme hors d’usage ne sert plus à personne, de même que, plus tard, il s’avèrera qu’un patriote sous les verrous n’est plus directement utile à la cause de la résistance.
Se taire et agir : tel est le mot d’ordre ; et cela n’a rien à voir avec le double jeu.
Juillet, août, septembre 40 : toute la gamme des organisations successives se réalise laborieusement : régiments départementaux, brigades d’artillerie régionales, régiments de cuirassiers bâtis avec les ex-chars puis divisions motorisées régionales, pour aboutir, après des discussions sordides menées à l’Armée dite de l’armistice, dans laquelle sous couleur de « maintien de l’ordre », on réussit à conserver un peloton d’AM et une batterie motorisée sans préjudice d’un FM de plus par ci, de pistolets mitrailleurs par là, d’une cuisine roulante d’un autre côté. Mille petits riens dont on espère faire un jour quelque chose.
Parallèlement, on « organise » les dépôts sous contrôle, dans lesquels le camouflage fleurit au gré des instructions verbales et des compréhensions individuelles. On « brade » les véhicules automobiles à la fois au cours de séances interministérielles au Thermal de Vichy, et par le mise au point de contrats de Sociétés nouvelles de transports. On baptise le recrutement « Démographie » grâce au contrôleur Carmille ; on invente les Chantiers de Jeunesse pour avoir des recrues rassemblées ; on « repère » vaille que vaille au Corps le plus près de leur domicile, ou bien, comme dans les Alpes, à la vallée où ils résidents.
On ne voit pas ce qu’on tirera exactement de tout cel, mais on fait flèche de tout bois, se réservant de recoller les morceaux plus tard. L’essentiel est de disperser, de camoufler, de croire et de faire croire, d’imaginer et de faire naître les imaginations. Il faut que l’Armée vive pour revivre.
Octobre, novembre, décembre 40 : On a fait ce qu’on a pu en Métropole. Il est temps de songer aux territoires extra métropolitains.
L’Afrique du Nord d’abord. Il y a là-bas d’énormes ressources en matériels, vieux sans doute, périmés, mais existant ; ces matériels sont d’autant plus difficles à contrôler par les commissions que c’est le général Verneau qui est le chef de la délégation des services de l’armistice pour l’Afrique du Nord.
Il y a aussi les ressources en personnel, considérables, au moins en personnel indigène. Et, sous couvert de « maintien de la souveraineté », on arrache au boche ici un escadron de chars, là un groupe automobile, ailleurs les batteries de DCA, un peu partout des AM et des camions.
En octobre : - au Maroc, tout va bien. Le colonel Guillaume, directeur des Affaires politique, civilise et multiplie ses tabors. Les hommes et les armes ne manqueront pas.
- en Algérie, le matériel se camoufle au mieux, grâce au général Verneau, et malgré que certain chef d’EM réclame des ordres écrits.
- en Tunisie, c’est moins net. Il y a trop d’Italiens, et peut-être une vie trop douce.
Au total, l’état-major Weygand est bien axé, il n’y a pas de crainte à avoir de ce coté-là.L’attaque de Dakar permet de mettre en avant le sort de l’AOF. On y sauve un escadron de chars Somua, un régiment d’AM, des légionnaires qui ne veulent pas rejoindre les armées de l’Axe. Ou bien, on en prend prétexte pour faire sortir des oflags et des stalags le maximum possible de coloniaux.
Reste le Levant. En décembre 40, il s’y trouve, là aussi, d’énormes possibilités, et pas de contrôle. Hélas, ce que l’on y organise ne servira pas dans le sens désiré, encore que « l’armée du Levant » que l’on extorquera au boche au cours du 2e trimestre de 41, après des palabres sans nombre, fera campagne en Tunisie en 42-43, et y fera belle figure.
Mais le 1er bureau de l’état-major ne peut plus, à lui seul, assumer les tâches d’ensemble et l’organisation de détail. On risque à ce jeu d’avoir des fuites, ou d’être obligé d’écrire davantage qu’il ne sied faute de temps, ou de mélanger, dans des archives contrôlables, le bon grain à l’ivraie, voir de laisser échapper l’essentiel, absorbé qu’on est par l’accessoire.
Ainsi naît le service CDM (Camouflage du matériel). Mollard quitte le 1er bureau. Il travaillera désormais directement avec le chef d’EM et agira personnellement. La liaison sera maintenue, car la communauté d’idée autant que le travail initial commun prévaudront toujours.
Ainsi naît aussi la section Maillard – Mesnay – Masson – La Blanchardière, qui, au 3e bureau, va travailler au doublement, puis au détriplement de l’Armée de l’armistice et à la prospection de la zone occupée.
Car, maintenant, on songe à recoller les morceaux : nous sommes à la fin de 1941.
Le matériel camouflé, les fabrications clandestines assurées, le rattachement occulte des réservistes permettent d’espérer, dans un délai de un an, la constitution de 24 groupes mobiles composés chacun d’un EM, de 4 bataillons, d’un groupe de reconnaissance à un peloton d’AM et 2 escadrons motocyclistes, d’un groupe d’artillerie-auto, de transmissions et de génie. Les 8 premiers GM seraient entièrement actifs, les 8 suivants en majorité actifs, les 8 derniers auront des noyaux actifs encore solides. Leur mise sur pied s’échelonnera sur 15 jours environ. C’est une Force de près de 150 000 hommes, y compris quelques éléments de réserve général bâtis à l’aide des sociétés de transports conventionnées.
La maison Carmille qui a admirablement travaillé peut maintenant situer les réservistes dans l’espace avec 50% de chances de succès, grâce au récolement des fiches de mobilisation avec le recensement général de la population « inventé » à cet effet, et au contrôle des cartes de rationnement.
Ne pouvant se résigner à laisser inemployées ces possibilités laborieusement réalisées, au début de 1942, le colonel Pfister, alors sous-chef du 1er bureau de l’EMA, arrête son plan et en remet les détails, en février au général Verneau qui acquiesce immédiatement et en remet l’étude au chef d’EMA. L’accord de ce dernier se fit attendre 3 mois, mais l’on savait déjhà se passer des ordres et autorisations des autorités supérieures. Lorsque cet accord parvint, le travail était en si bonne voie qu’un refus ne pouvait plus en arrêter le cours.
Chaque quinzaine, le colonel Pfister se rendait au SNS à Lyon, ou le SNS venait à lui, avec des chiffres, des lieux, des armes, des spécialités. Patiemment, obstinément, des chiffres de recensement sont reportés sur des fonds de cartes ; au bout de 3 mois, le colonel Pfister a ce qu’il faut ; au bout de 4 mois, il peut offrir des ressources à l’équipe de création des Groupes mobiles ; au bout de 5 mois, il peut proposer au colonel Mollard des moyens de réserve générale.
Pendant ce temps, on bâtit des tableaux d’effectifs adaptés aux circonstances et où les unités sont interarmes ; on rétablit des tableaux de dotation ; on pèse les ressources des dépôts sous contrôle ; on rédige les tableaux d’emploi par division, par subdivision, par place ; on prospecte les ressources non instruites (chantiers de jeunesse, compagnons de France, travailleurs coloniaux) dont on imaginera de faire des pionniers en attendant d’en faire des recrues ; on désigne nominativement les états-majors, les services, les cadres mobilisateurs.
Et, en octobre 1942, dans ses coffres, le colonel Pfister détient enfin les contrôles nominatifs des unités de 12 divisions comprenant, chacune un EM, 3 régiments d’infanterie moderne, un régiment blindé, un régiment d’artillerie, et les éléments correspondants du génie, des transmissions, du train et des services ; il a les tableaux de transport de l’armement et des munitions qui existent réellement dans les dépôts sous contrôle ; et le SNS a camouflé, dans les environs de Lyon, quelques 300 000 ordres d’appel individuels correspondant aux contrôle nominatifs des unités.
C’est un plan de mobilisation au petit pied. Sa réalisation comporte certes de aléas, mais une telle majoration d’effectifs a été prévue que l’on peu tenir pour assuré le regroupement du personnel et une quinzaine de jours, lui assurant un premier appoint de matériel et d’armement dans les mêmes délais. Et puis, on n’ergotera pas en attendant l’aide matérielle des alliés que l’on croit déjà devoir être passive.
Arrive novembre 1942 et l’envahissement par le boche de la zone dite libre. Tout le travail est réduit à néant ! Il n’aura tout de même pas été inutile puisqu’il aura permis d’entretenir la flamme, et avec elle, l’espoir de faire vivre et oser.
L’Armée de l’armistice vit ses derniers jours. On a bien essayé de la faire mourir dans l’honneur : le 8 novembre, des officiers de l’EMA partent dans les régions donner des instructions pour l’évacuation des casernes et le rassemblement hors des grands itinéraires. Le 9 au soir, un PC s’installe à la ferme de la Rapine près de Thiers, en attendant son transfert dans la région de Mende. Le 10 au matin, suivant les instructions, tout le monde se retrouve, en civil, autour de l’hôtel des Bains : il y a contre-ordre. Et, le 11 au matin, les boches défilent sans coup férir. Seul le général De Lattre aura accompli le geste prévu, envers et contre tous.
C’est terminé, ou presque. Quinze jours durant, on cherche bien à faire quelque chose, mais quoi ? Il y a trop de détails matériels à régler, trop de préoccupations locales pour remettre sur pied un plan d’ensemble. Et le boche prend ses positions petit à petit suivant un plan bien réglé. Et le 27 novembre au matin, les unités sont, par la plupart, prises au nid.
Ordre de démobiliser tout le monde !
Un dernier réflexe de conservation en vue d’une résurrection future fait créer les organes liquidateurs des corps de troupe dont on fera durer l’existence jusqu’à la plus extrême limite. Ainsi, un noyau de gradés conservera les pièces administratives, et, par là, le contact avec le personnel démobilisé. Et puis, nombre de Corps ont aliéné des domaines ruraux où des noyaux actifs seront conservés.
Dans les Corps, on camoufle encore, au petit bonheur, et surtout au hasard des circonstances, ici quelques armes, là de l’habillement, ailleurs de quoi équiper et armer des compagnies entières. Mais, ce qui caractérise cette fin de novembre, c’est l’hyatus qui s’est créé entre le Commandement et la Troupe : les Corps ont conscience qu’ils ont été abandonnés à eux-mêmes, la Troupe livrée à l’occupant, l’Armée tout entière trahie par ceux qui en avaient la charge. Il règne à la fois une vague de démoralisation et un bouillonnement de colère.
C’est de ce dernier sentiment que naîtra l’O.R.A., pour ainsi dire par génération spontanée, d’un seul coup et partout à la fois. Et pourtant non, pas si spontanée que cela peut sembler à priori, car ce qui est très réellement récolté c’est le fruit des petites pratiques et des grandes pensées semées à tous vents depuis le 24 juin 1940 par quelques uns qui n’abdiquent jamais quoi qu’il arrivât !
Seulement, il faudra dorénavant agir en état de rébellion constante dans la seule discipline commune de l’idée de Patrie confondue avec et dans la Nation.
Dès les premiers contacts, les camarades de la Troupe font comprendre brutalement qu’il ne saurait plus être question de faire revivre un Commandement dont ils ont constaté et mesuré toute la carence : ‘Nous ne voulons pas de généraux », tel est le thème d’ensemble, aux très rares exceptions près des régions du sud-est où deux généraux manifestèrent la correction de leurs sentiments : ainsi de la personnalité du général Frère, véritable drapeau pour tous, que le général Giraud désignera comme son représentant dans la métropole.
Et c’est de tout cela que naîtra notre force et aussi que surgiront toutes nos difficultés. Car, il faut bien le dire, nous pâtirons jusqu’au bout, et nous pâtissons encore, du différent Giraud = De Gaulle, de l’antinomie Alger-Londres, de l’incompréhension voulue et sans cesse grandissante entre « l’intérieur » et « l’extérieur », du duel d’influence entre les USA et l’Angleterre.
Armés de notre seule bonne volonté, ignorants des tendances diverses et peu préparés à déceler les manœuvres, nous n’avons trouvé d’appuis et de compréhension que sur le plan local, à force de franchise et de rectitude, alors que, sur le plan général, les rebuffades et les actions [terves] nous refermaient constamment sur nous-mêmes.
« Giraudistes » ! Voilà ce qu’on nous lançait comme une injure jusqu’après le débarquement de juin 1944 ! Et pourtant, dès mai 1943, notre seule position se résumait dans la formule=programme suivante : « Nous ne somme les prétoriens de personne », voulant exprimer et exprimant par là que, militaires certes, nous étions d’abord citoyens, nous incorporant intégralement à la Nation.
Et l’on peut se demander d’un côté ce que nous serions devenus sans « DELPHIN », notre seul tenant du B.C.R.A., d’un autre côté ce que nous aurions pu faire de grand et de solide avec et parmi les autres sans le rideau de fer tendu par certains entre le général de Gaulle et nous.
Mais, ceci est une autre histoire. Bornons-nous à relater objectivement notre combat jusqu’à la Libération, notre cœur empli d’un immense respect pour ceux de nos camarades, et nombreux hélas, qui ne connurent pas à l’heure du suprême sacrifice, la mort glorieuse des champs de bataille mais l’ignominie des plus cruels outrages : c’est pour la Libération de la Patrie qu’ils moururent ; c’est aussi pour cela que tout d’autres des nôtres supportèrent sans faiblir les tortures des geôles nazies.
Que tous ceux qui, dans le même temps, vécurent dans la quiétude se taisent enfin et écoutent !
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Un jour j'ai trouvé ce texte du colonel Pfister (chef du 1er bureau de l'EMA sous Vichy) dans le fond qui lui est consacré à Vincennes, cela peut constituer un bon lancement à un topic consacré à l'O.R.A. Je précise bien que l'auteur de ce document est le colonel Pfister, il n'est donc pas impartial.
Donc réactions, discussions, la parole est à vous...
Amicalement