JARDIN DAVID a écrit:Jusqu'ici je vous lis sans réagir. Il me semble qu'il est dangereux de se laisser guider par les conclusions écrites après-guerre et par le cours de l'histoire. En cas d'élimination réussie d'AH en juillet 1944 (idéalement un peu avant ...), la composition d'un gouvernement possible est connue, sans aller puiser dans les geôles du régime. Quant à la réaction des alliés occidentaux, elle reste entièrement à imaginer. Rien ne prouve qu'il n'y aurait pas eu remise à plat des alliances, probablement avec de dures concessions pour l'Allemagne, l'arrêt des déportations juives etc.
Le plan prévu consistait justement à évacuer unilatéralement la France (Alsace-Moselle comprise, je ne sais pas !) ce qui aurait largement changé la donne, y compris pour les pertes et destructions françaises.
N'oublions pas qu'à cette époque la discrimination raciale était encore largement en vigueur chez les très éclairés Américains et que les prisons soviétiques n'avaient rien à envier à Dachau. La clé, c'est la vision de ROOSEVELT, jamais en retard d'une opportunité pour défendre les intérêts US, je dirais même du grand capital US.
Donc, difficile d'écrire cette histoire contrefactuelle ...
JD
Jardin David, je pense que cette vision n'est pas réaliste. Je vais suivre la réaction de Pigoreau.
Il y a déjà deux chefs qui ne traiteront avec aucun gouvernement allemand d'aucune sorte, parce qu'ils ont une vengeance à accomplir : Churchill et Staline. (Et pour le mentionner, je pense que De Gaulle aurait été dans les mêmes dispositions.) Staline y trouve à la fois sa vengeance et son intérêt - pour la Russie dévastée et massacrée jusqu'au cauchemar, et parce que plus ça durera et plus il ramassera de pays de l'est, les pertes ne comptent pas - et Churchill qui a initié les bombardements sur les villes, "pour que le peuple allemand, responsable d'Hitler - "cet enfant monstrueux de la défaite et de la haine" - souffre dans sa chair pour ce qu'il a déclenché" Churchill ne pardonnera pas. Totalement exclu que ces deux-là mollissent.
Mais ne sous-estimez pas la détermination de Roosevelt. Pour tous les chefs d'état alliés, l'Allemagne est le pays qui a déclenché 20 ans auparavant un cauchemar en Europe, je l'ai dit, et qui a remis ça en 39. L'Amérique n'apprécie pas plus que cela de devoir une nouvelle fois mobiliser son peuple et sacrifier ses combattants pour une intervention en Europe. (D'ailleurs elle s'y est totalement opposée jusqu'à Pearl Harbor, on en parle sur un autre fil.)
Il s'agit une bonne fois d'abattre le militarisme allemand et ses séquelles. (L'acte d'accusation qu'on prépare pour Nuremberg désigne un "complot contre la paix" avant tout le reste.) Le scénario prévu pour l'Allemagne a été verrouillé en décembre 43 à Téhéran, avec définition des zones d'occupation. Pour toutes les opinions libres - on ne parle même pas des pays occupés - le peuple allemand est maudit. (la consigne pour les soldats américains vainqueurs sera l'interdiction de fraterniser. Pas avec ces gens-là. Pour les soldats russes...)
Ne vous inquiétez pas pour le grand capital US. (C'est bien la première fois que je vous entrevois plus gauchiste que moi !)
Il va faire sa pelote en rachetant des trusts et des parts dans des entreprises allemandes et en y retrouvant ses filiales, sans parler du démarrage d'une prospérité encore jamais vue aux USA, des commandes européennes assurées par le plan Marshall, ou encore des armes de la guerre froide : le grand capital US va vivre une période de rêve. Mais surtout, Roosevelt voudrait-il traiter avec un gouvernement allemand que son opinion, ses journaux l'en empêcheraient. Et ses militaires avant cela.
Seule exception possible à mon avis, où les Alliés auraient peut-être traité avec un un nouveau gouvernement allemand : la capitulation sans conditions immédiate dudit gouvernement, militaire à priori, les seuls à pouvoir s'imposer aux SS, ce qui ouvre un what-if moins épouvantable que ce qu'a été la réalité - et qui a été évoqué plus haut, par Dynamo. Pas certain que la Wehrmacht n'aurait pas suivi ses chefs contre les nazis, ni que la population fanatisée s'y serait opposée : en juillet 44, la population écrasée par les bombes et qui compte des millions de fils tombés en Russie, commençait à en avoir, si j'ose dire, plein les bottes.
Au passage, il aurait mieux valu tenter le coup en septembre ou novembre 44, où la défaite frappait aux portes de l'Allemagne, qu'au 20 juillet où, en apparence au moins, rien n'est joué en Normandie. Grosse erreur de timing, mais les militaires allemands n'ont jamais brillé par leur sens de la psychologie, surtout celle du peuple.
Pour la population, j'ai déjà signalé que Anthony Beevor, dans Ardennes 44, raconte que dans les villages traversés, les soldats allemands qui montent en ligne sur les routes de l'Eifel se font insulter par les femmes, dont les enfants et les maris survivants doivent être sur le front russe. La population qui ose insulter la Wehrmacht, ça ne correspond guère à l'image qu'on se fait de l'Allemagne nazie. Certes, ces soldats qui vont attaquer risquent d'attirer la guerre sur ces villages, mais on leur crie aussi qu'ils feraient mieux de se rendre aux Américains, qui inquiètent moins que les Russes, on le sait. (En revanche les villages n'insultent pas les Waffen-SS, ce qui me semble une prudence raisonnable.)