Prosper Vandenbroucke a écrit:Le 2 décembre 1943, Monsieur Hoppenot, représentant du gouvernement d’Alger à Washington, protestant contre le désir des Américains de mettre en place, dans la France libérée, une administration obéissante et répondant à leurs souhaits, fut étonné d’entendre M. Dunn, qui s’exprimait au nom du Département d’Etat, déclarait avec force : « Non. Non. Les Français n’ont pas de gouvernement. » A cela, s’ajoutait l’intention d’imposer à la France une monnaie caricaturale. Difficile de comprendre la position américaine envers la France, alors que nos voisins Belges et Hollandais allaient bénéficier d’un tout autre traitement ; jusqu’à la Norvège qui venait de signer un accord avec les Etats-Unis et la GrandeBretagne.
« La Belgique et les Pays-Bas, deux nations qui ont un gouvernement, décréta M. Dunn ».http://www.ffi33.org/cnr/amgot/amgot5.pdf
Pour la France, le grand raisonnement de Roosevelt était que seul un gouvernement sorti d'une élection démocratique pouvait être légitime. De Gaulle pouvait bien s'entourer d'une assemblée consultative rassemblant (entre autres) des parlementaires et des politiques connus avant-guerre - tous les partis démocratiques y étaient représentés - il pouvait en mettre dans son gouvernement, obtenir le soutien de Blum (alors en captivité) et de Jeanneney - président du Sénat - recevoir du CNR, représentant toute la Résistance, l'assurance publique qu'ils ne reconnaissaient aucune autre autorité française, rien n'y faisait.
Ce que Lacouture appelle l'ostracisme de FDR confinait à la méfiance pathologique, au point qu'il finira par indisposer toute la presse anglo-saxonne et une partie des généraux ayant combattu aux côtés des Français en Tunisie puis en Italie. En particulier Eisenhower finira par passer outre et à aider De Gaulle autant qu'il le pourra. (de même Cordell Hull, son secrétaire d'état - affaires étrangères - avait fini par suivre le même chemin.)
Le raisonnement démocratique de FDR aurait été parfait, s'il ne s'était pas permis de désigner lui-même qui devait diriger les français d'Afrique du Nord, à savoir Darlan - un collabo notoire - puis Giraud - plutôt vichyste dans l'esprit sur le plan politique.
D'où la logique de l'Amgot pour la France. A quoi il faut ajouter que Roosevelt ayant maintenu un ambassadeur à Vichy jusqu'au débarquement en AFN, Vichy dont il n'avait cessé s'espérer un sursaut patriotique, FDR qui n'avait jamais voulu voir la France ailleurs qu'à Vichy était logique avec lui-même : si la France c'était Vichy, elle serait traitée comme un pays non seulement sans gouvernement, mais même comme allié du Reich, tout simplement.
Roosevelt fera durer le plaisir jusqu'en... octobre 44, soit deux mois après la Libération de Paris, pour finir, sous la pression d'une presse américaine déchaînée (qui proclamait que la plaisanterie avait assez duré) et des correspondants de guerre qui rapportaient qu'il n'y avait aucune espèce de doute sur l'autorité du gouvernement provisoire et sa popularité, par reconnaître officiellement le gouvernement provisoire. (Russes et Anglais avaient attendu la même date, par courtoisie envers Roosevelt.)
Commentaire du général, en conférence de presse devant un bon nombre de journalistes alliés, qui lui demandent ce qu'il pense de cette reconnaissance :"Le gouvernement français est satisfait qu'on veuille bien l'appeler par son nom."
J'ai bien noté, dans le texte de Prosper, que les Américains considéraient autrement le cas des pays qui avaient conservé un gouvernement (sauf le Danemark, on l'a vu, parce que son gouvernement et son roi étaient restés dans le pays, mais les Danois groupés autour de leurs institutions n'acceptèrent qu'avec réticence la présence d'un Amgot, lequel ne réussit jamais à gouverner dans les faits) à savoir la Belgique, la Hollande et la Norvège. Il est même curieux qu'un Amgot ait existé dans ces pays-là (avec quelles prérogatives ? Peut-être uniquement en tant qu'observateurs démocratiques, et peut-être, pour la Belgique, pour s'assurer des sujets - logistiques en particulier, comme le fonctionnement d'Anvers et celui des chemins de fer - qui touchaient aux opérations militaires des alliés ? Il faudrait creuser la question.)
Je finis par me demander si la présence d'un Amgot dans ces trois pays ne relevait pas uniquement de la règle soit-disant absolue posée par Roosevelt :"il n'y a de gouvernement démocratique qu'après des élections générales."
(A un de ses ministres qui lui faisait remarquer qu'il pouvait évoluer à propos de De Gaulle, il répondit: "je ne changerai pas d'avis. Je suis un Hollandais têtu !" - ses ancêtres étaient hollandais.)