Post Numéro: 70 de François Delpla 05 Juil 2015, 17:15
Sur cette question particulièrement il convient de ne pas oublier le jeu de Hitler, à la fois très habile et très fou. Ces deux traits concourent à produire un art de la surprise qui a peu de précédents.
Depuis le 10 mai il est dans le dernier tour d'un 10 000 mètres d'athlétisme; il croyait d'ailleurs, ce jour-là, entamer les 100 derniers mètres, largement en tête, mais le changement dans la journée du titulaire de Downing Street a un peu retardé les choses. Il tenait la France, allait la contraindre en quelques jours à la paix, Chamberlain ferait la gueule mais signerait un peu plus tard ses conditions "généreuses", exposées le 6 par Göring à Dahlerus. Dès lors, "main libres à l'est", on prendrait la Biélorussie et l'Ukraine à Staline au moment et par les moyens opportuns (sans doute plus tard que 1941, histoire de laisser retomber partout tension et mobilisation).
Le refus churchillien des "réalités" et sa provisoire victoire de justesse sur Halifax fin mai obligent à augmenter la dose, par l'invasion de la France -un plan B mis en place pendant l'arrêt devant Dunkerque, au cas où. En soi, c'est une catastrophe : lui qui avait toujours dit que la côte atlantique ne l'intéressait pas et fondé là-dessus ses éternelles déclarations d'amour à l'Angleterre comme ses propos rassurants envers les Etats-Unis, il fait croire que c'était une ruse, et son anticommunisme aussi.
Reste un atout dans sa manche : que les conditions d'armistice , dévoilées par le prestidigitateur le 21 juin à Rethondes soient encore "généreuses". Elles le sont, mais à saisir de suite, plus encore qu'au moment de Dunkerque. Si l'Angleterre, en les voyant, entre dans la voie de la négociation, elle obtiendra qu'une France évacuée garde sa flotte et ses colonies (sauf Madagascar, promue mouroir de Juifs). Sinon, Hitler a de tels moyens de pression, même et surtout en laissant subsister une zone libre, que l'Angleterre peut tout craindre (notamment en Méditerranée, Franco n'ayant rien à refuser à Hitler, etc.). Elle devrait signer la paix, elle va le faire... et patatras, Mers el-Kébir ! Churchill se conduit comme une brute... et n'est pas désavoué, y compris par Roosevelt : la catastrophe est absolue, et Barbarossa, dès ce moment, la dernière chance du Reich... à laquelle Hitler va croire car il se croit mandaté par la Providence pour "effacer deux millénaires de pitié judéo-chrétienne" et elle ne va pas le laisser tomber après avoir autant honoré ses rendez-vous.
Personne en Occident n'a une perception claire de tout cela, pas même Churchill, de Gaulle, Spears ou Cooper. Ils pressentent simplement que l'homme est très dangereux et que son triomphe n'est pas encore assuré. Ils analysent que la faute à ne pas commettre, c'est de négocier avec lui, surtout à ce moment, avec les cartes qu'il a en main... et que si on réussit à lui en faire perdre quelques unes, il peut devenir très fragile.
C'est ce combat-là que de Gaulle choisit de continuer, du moins tant que l'Angleterre le fait, et que Pétain déserte... en choisissant délibérément de se moquer de ce qu'en pensent les Anglais. En pensant que le fou, c'est Churchill... et que l'armistice même de la France va ramener son pays à la "raison".