Bonjour tout le monde et d'accord avec vos réflexions, seulement il y a quand même eu de grosses lacunes lors de ces rapatriements et à travers le tri des rapatriés d'Allemagne.
Le rapatriement produisit un mélange explosif constitué à la fois des victimes les plus misérables du régime nazi, à savoir les survivants de camps de concentration, et de leurs pires ennemis, les collaborateurs ayant fuit avec l'armée allemande et les anciens volontaires de la Wehrmacht et de la SS.
L'indignation qu'inspira la découverte des crimes nazis personnifiés par les martyrs qui rentraient au pays, se déchargea aussitôt sur les brebis galeuses du troupeau des rapatriés. Il en résulta une atmosphère de suspicion généralisée. Selon les bruits qui couraient, le tri dans les camps de transit aurait été inadéquat, laissant s'infiltrer des agents de la Gestapo, des miliciens, voire des escrocs allemands ordinaires tentant d'empocher la prime de rapatriement pour rentrer aussitôt outre-Rhin et recommencer la manœuvre en boucle.
Certains collaborateurs belges appréhendant un retour vers leur pays d'origine où il serait impossible de faire oublier leurs engagements passés, se dirigèrent plutôt vers la France, y rachetant des fermes abandonnées et profitant de l'exode rural accéléré par les déplacements de population durant la guerre.
Leur concentration dans certains départements particulièrement dépeuplés, provoqua des remous dans la population locale et des soupçons quant à leur trajectoire et leurs motivations.
Je peux supposer qu'à l'échelle nationale, une bonne partie des collaborateurs rapatriés eurent d'excellentes raisons pour ne pas retourner dans leur lieu d'origine.
Comme l'ambassadeur des États-Unis à Bruxelles l'observait dans l'un de ses télégrammes à Washington en expliquant des incidents survenus en Belgique:
Quand un homme revient de Buchenwald et pointe le doigt vers un notable de sa ville en disant: "cet homme est responsable de ma déportation en Allemagne et il doit être immédiatement arrêté et fusillé", il est difficile d'ignorer ses paroles La colère des foules fut parfois provoquée par la mise en scène du rapatriement.
En avril 1945, le Commissariat belge au rapatriement invita la population bruxelloise et mobilisa les enfants des écoles publiques pour accueillir les premiers survivants de camps de concentration rapatriés par l'aviation alliée sur l'aérodrome militaire d'Evere, dans la banlieue nord de Bruxelles.
A la suite d'une erreur dans l'ordre d'arrivée des convois, la foule fut le témoin du débarquement de familles entières de collaborateurs, avec tous leurs bagages et leurs animaux domestiques.
En France, l'organisation de comités d'accueil fit aussi partie des principales missions des directions départementales du ministère du Rapatriement.
Quelle fut la place des travailleurs rentrant d'Allemagne dans cette atmosphère de confusion et de suspicion?
La majorité d'entre eux, employée dans les centres industriels de l'ouest de l'Allemagne, rentra
avant les survivants des camps de concentration, et dont le retour était attendu avec autant de crainte que d'impatience.
La chronologie même de ces retours suscita l'indignation, mais elle n'était que le résultat de la géographie des déplacements de populations pendant la guerre, et non celui d'une liste de priorités établies selon la souffrance endurée ou le mérite patriotique.
Les mouvements de résistance en Belgique protestèrent contre le fait que leurs camarades déportés languissaient encore dans les bagnes nazis dans des conditions terribles, alors que "
les travailleurs volontaires, leurs femmes, leurs enfants et même leurs caniches, leurs harmonicas et leurs valises" rentraient par milliers.
Aux Pays-Bas, le Conseil consultatif de la résistance adressa une lettre de protestation au gouvernement, exigeant une priorité absolue pour le rapatriement des résistants déportés "
non seulement à cause des souffrances qu'ils ont subies, mais aussi et surtout parce que le motif de leur déportation en Allemagne leur donne droit à une telle distinction".
Dans le courant des mois de mars et avril 1945, des responsables locaux français se plaignirent, auprès de l'administration centrale du rapatriement, à propos des communiqués de presse concernant les convois de rapatriés attendus qui semaient la confusion en annonçant le retour de «déportés ».
Les comités d'accueil mobilisés pour honorer les héros "
déportés politiques" étaient le plus souvent déçus car il n'y avait "
que des déportés du travail" à accueillir.
A la suite de ces plaintes, le ministère donna l'instruction de distinguer les déportés "
politiques" de ceux "
du travail" dans chacun de ses communiqués afin de permettre la constitution de comités d'accueil appropriés.
Même si les travailleurs furent indubitablement considérés comme moins dignes d'une réception triomphale que les survivants des camps de concentration, leur classification resta pourtant incertaine.
Victimes ou traîtres? La question était quasi automatiquement réduite à l'alternative suivante: requis ou volontaires? La confusion qui régnait dans l'opinion publique avait été savamment cultivée par les autorités d'occupation et par leurs complices qui avaient présenté la réquisition du travail comme une ruée spontanée des peuples d'Europe vers l'Allemagne, soutenant son combat de titan contre le bolchevisme.
Pour alimenter cette propagande, on avait proposé aux requis des contrats d'engagement «volontaire ».
L'issue de la convocation était identique: signataires et objecteurs étaient tous contraints au départ, mais une récompense matérielle était promise aux premiers (une prime, une paire de chaussures). En définitive, en acceptant de travailler pour l'ennemi, ces travailleurs n'avaient-ils pas œuvré contre la libération de leur pays?
"
Ils n'avaient qu'à se cacher" fut l'objection courante à tout recours à l'argument de force majeure invoqué par les requis.
Amicalement
Prosper
(Source: livre cité )