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Le rapatriement d'Allemagne des populations déplacées

Nouveau messagePosté: 18 Juil 2012, 11:28
de Prosper Vandenbroucke
Bonjour à toutes et à tous,
A ma connaissance, ce thème n'a jamais été abordé sur ce forum, aussi serait-ce intéressant de connaître vos avis et vos réflexions à ce sujet.
Bien amicalement
Prosper ;)

Le défi le plus difficile et le plus urgent qui attendait les Alliés à la fin de la Seconde Guerre mondiale en Europe n'était pas l'ampleur des dégâts matériels, mais la détresse humaine causée par les colossales migrations de masses dues à sept années de guerre.
Plus de onze millions d'Européens furent entassés sur le territoire du Reich vaincu, déplacés par la guerre et par les politiques nazies de peuplement, de main-d'œuvre et de persécution.
Pour l'ensemble du continent européen, le total s'élevait à plus de trente millions d'individus, dont huit millions de citoyens soviétiques et douze millions de personnes de langue allemande expulsées des pays d'Europe centrale et orientale.
Ces migrations massives étaient une variable cruciale dans la planification stratégique de l'avancée alliée en territoire allemand, parce qu'elles risquaient de bloquer les routes, les villes, les gares et les carrefours en se ruant vers l'ouest.
Tant que les opérations militaires étaient en cours, le commandement allié décréta un stand-still afin d'immobiliser chaque individu ou groupe à l'endroit même où il serait libéré par les armées alliées.
Les rapatriements «spontanés», à pied ou par tout moyen de transport «emprunté» à l'ancien ennemi, ne pouvaient qu'aggraver le chaos régnant déjà au sein du réseau allemand de communications, gêner les opérations militaires, répandre les risques d'épidémies et empêcher le tri systématique des rapatriés afin d'intercepter les criminels nazis et les collaborateurs.
Les gouvernements des pays libérés reçurent l'ordre de s'en remettre au commandement allié (le SHAEF, Supreme Headquarters of the Allied Expeditionary Forces) pour l'organisation centralisée des opérations de rapatriement. Le SHAEF délégua à son tour les aspects humanitaires du «problème des personnes déplacées» à l'UNRRA (United Nations Relief and Rehabilitation Administration), organisme fondé en novembre 1943.
Au cours des premiers mois, de mai à septembre 1945, les progrès furent spectaculaires. En moyenne, 33.000 personnes par jour furent rapatriées hors des zones occupées par les puissances occidentales, avec des pointes de plus de 100.000 personnes par jour entre fin mai et début juin. Les deux millions de citoyens soviétiques et le million et demi de citoyens français constituèrent plus de 60 % des personnes déplacées (displaced persans, DPs) dans la zone occidentale, suivis de 900.000 Polonais, d'environ 300.000 Belges et autant de Néerlandais. Un noyau dur de personnes «irrapatriables» resta dans les camps de transit jusqu'au début des années 1950, notamment des réfugiés politiques de Pologne et des États baltes, et des réfugiés juifs des pogroms d'après-guerre en Europe de l'Est.
Ce rapatriement par les forces alliées, à partir du printemps 1945, était la plus vaste opération humanitaire jamais entreprise, impliquant le plus grand nombre d'individus pris en charge par un organisme international.
Mais les questions d'échelle et d'organisation logistique n'étaient pas les plus épineuses ni les plus durables.
La principale erreur des planificateurs militaires fut leur sous-estimation des implications politiques et humaines de l'opération.
Le tri des rapatriés était un problème politique de premier ordre, aux lourdes conséquences. L'accueil d'un volontaire SS ne pouvait être le même que celui réservé à un rescapé des camps de concentration. À travers ce tri et la catégorisation des rapatriés s'effectuait un rudimentaire «Nuremberg des masses» pour établir le parcours de chaque rapatrié.
La masse humaine que la guerre avait abandonnée sur le territoire de l'ennemi vaincu confrontait les Alliés et les gouvernements nationaux à tous les aspects, y compris les plus déchirants, de l'héritage de la Seconde Guerre mondiale.
(source: "Mémoires patriotiques et occupation nazie" par Pieter Lagrou)

Re: Le rapatriement d'Allemagne des populations déplacées

Nouveau messagePosté: 18 Juil 2012, 12:04
de HistoQuiz
Bonjour

Il faut que je me procure ce livre car je n'ai que peu de connaissances sur cet "épisode" de l'immédiat après guerre.
Dès la fin des combats, des millions de personnes (Allemands ou étrangers) étaient sur les routes, tentant de rejoindre leurs villes ou leurs pays.
Quant aux juifs, je crois qu'ils étaient souvent pris en charge par des organismes juifs en vue d'une "évacuation" vers la Palestine.
En ce qui concerne les citoyens soviétiques travaillant en Allemagne (je ne parle pas des prisonniers russes en Allemagne bien qu'ils eurent le même traitement que les travailleurs russes), ils n'étaient pas chauds-chauds pour retourner en URSS....ils finirent dans les goulags.
Quoiqu'il en soit, ce fut un beau casse-tête pour les autorités.

Re: Le rapatriement d'Allemagne des populations déplacées

Nouveau messagePosté: 18 Juil 2012, 14:02
de HistoQuiz
...en ce qui concerne le rapatriement des Français, la Croix rouge a eu un rôle très important.
A l'arrivée d'un train à Paris ou dans une grande ville, la Croix rouge "dispatchait" les voyageurs. Tel était envoyé vers un hôpital, tel autre était aiguillé pour la poursuite de son voyage.
D'autres infos sur ce sujet seraient les bienvenus.

Re: Le rapatriement d'Allemagne des populations déplacées

Nouveau messagePosté: 18 Juil 2012, 21:13
de Prosper Vandenbroucke
HistoQuiz a écrit
D'autres infos sur ce sujet seraient les bienvenus.


C'est justement le but de la mise en ligne, car avoir l'avis de l'auteur c'est bien, mais avoir l'avis d'autres personnes est encore mieux.
Amicalement
Prosper ;)

Re: Le rapatriement d'Allemagne des populations déplacées

Nouveau messagePosté: 18 Juil 2012, 21:40
de dynamo
Le rapport que Earl Harrison remet en août 1945 au président Truman sur la situation des camps de DP sous contrôle américain en Allemagne est accablant : il décrit le surpeuplement, la promiscuité, la pénurie alimentaire, l'insuffisance de vêtements, les conditions sanitaires déplorables, l'incapacité de l'armée à prendre en charge des personnes traumatisées par la guerre et les camps.
Patton, est à ce sujet un mauvais exemple, il n'accepte pas les juifs polonais dans les camps de réfugiés.
A partir de l'automne 1945, des directives sont données par Eisenhower ; elles améliorent la situation, mais ne la résolvent pas.
De nombreux DP sont désormais apatrides ou ne veulent pas retourner dans leurs pays d'origine.
La situation est critique dans une Allemagne en ruines.
L'attribution des logements décents est un casse-tête pour les autorités, que faire ? attribuer un logement à une famille allemande dont on a besoin les bras pour refaire démarrer l'économie allemande ou l'attribuer à des DP qui ne sont pas certains de rester dans le pays.
Quand on voit qu'on est pas fichu de résoudre la crise du logement en 2012 dans nos économies occidentales.

Re: Le rapatriement d'Allemagne des populations déplacées

Nouveau messagePosté: 19 Juil 2012, 11:30
de Prosper Vandenbroucke
Bonjour tout le monde et d'accord avec vos réflexions, seulement il y a quand même eu de grosses lacunes lors de ces rapatriements et à travers le tri des rapatriés d'Allemagne.

Le rapatriement produisit un mélange explosif constitué à la fois des victimes les plus misérables du régime nazi, à savoir les survivants de camps de concentration, et de leurs pires ennemis, les collaborateurs ayant fuit avec l'armée allemande et les anciens volontaires de la Wehrmacht et de la SS.
L'indignation qu'inspira la découverte des crimes nazis personnifiés par les martyrs qui rentraient au pays, se déchargea aussitôt sur les brebis galeuses du troupeau des rapatriés. Il en résulta une atmosphère de suspicion généralisée. Selon les bruits qui couraient, le tri dans les camps de transit aurait été inadéquat, laissant s'infiltrer des agents de la Gestapo, des miliciens, voire des escrocs allemands ordinaires tentant d'empocher la prime de rapatriement pour rentrer aussitôt outre-Rhin et recommencer la manœuvre en boucle.

Certains collaborateurs belges appréhendant un retour vers leur pays d'origine où il serait impossible de faire oublier leurs engagements passés, se dirigèrent plutôt vers la France, y rachetant des fermes abandonnées et profitant de l'exode rural accéléré par les déplacements de population durant la guerre.
Leur concentration dans certains départements particulièrement dépeuplés, provoqua des remous dans la population locale et des soupçons quant à leur trajectoire et leurs motivations.
Je peux supposer qu'à l'échelle nationale, une bonne partie des collaborateurs rapatriés eurent d'excellentes raisons pour ne pas retourner dans leur lieu d'origine.
Comme l'ambassadeur des États-Unis à Bruxelles l'observait dans l'un de ses télégrammes à Washington en expliquant des incidents survenus en Belgique: Quand un homme revient de Buchenwald et pointe le doigt vers un notable de sa ville en disant: "cet homme est responsable de ma déportation en Allemagne et il doit être immédiatement arrêté et fusillé", il est difficile d'ignorer ses paroles

La colère des foules fut parfois provoquée par la mise en scène du rapatriement.
En avril 1945, le Commissariat belge au rapatriement invita la population bruxelloise et mobilisa les enfants des écoles publiques pour accueillir les premiers survivants de camps de concentration rapatriés par l'aviation alliée sur l'aérodrome militaire d'Evere, dans la banlieue nord de Bruxelles.
A la suite d'une erreur dans l'ordre d'arrivée des convois, la foule fut le témoin du débarquement de familles entières de collaborateurs, avec tous leurs bagages et leurs animaux domestiques.
En France, l'organisation de comités d'accueil fit aussi partie des principales missions des directions départementales du ministère du Rapatriement.

Quelle fut la place des travailleurs rentrant d'Allemagne dans cette atmosphère de confusion et de suspicion?
La majorité d'entre eux, employée dans les centres industriels de l'ouest de l'Allemagne, rentra avant les survivants des camps de concentration, et dont le retour était attendu avec autant de crainte que d'impatience.
La chronologie même de ces retours suscita l'indignation, mais elle n'était que le résultat de la géographie des déplacements de populations pendant la guerre, et non celui d'une liste de priorités établies selon la souffrance endurée ou le mérite patriotique.
Les mouvements de résistance en Belgique protestèrent contre le fait que leurs camarades déportés languissaient encore dans les bagnes nazis dans des conditions terribles, alors que "les travailleurs volontaires, leurs femmes, leurs enfants et même leurs caniches, leurs harmonicas et leurs valises" rentraient par milliers.
Aux Pays-Bas, le Conseil consultatif de la résistance adressa une lettre de protestation au gouvernement, exigeant une priorité absolue pour le rapatriement des résistants déportés "non seulement à cause des souffrances qu'ils ont subies, mais aussi et surtout parce que le motif de leur déportation en Allemagne leur donne droit à une telle distinction".
Dans le courant des mois de mars et avril 1945, des responsables locaux français se plaignirent, auprès de l'administration centrale du rapatriement, à propos des communiqués de presse concernant les convois de rapatriés attendus qui semaient la confusion en annonçant le retour de «déportés ».
Les comités d'accueil mobilisés pour honorer les héros "déportés politiques" étaient le plus souvent déçus car il n'y avait "que des déportés du travail" à accueillir.
A la suite de ces plaintes, le ministère donna l'instruction de distinguer les déportés "politiques" de ceux "du travail" dans chacun de ses communiqués afin de permettre la constitution de comités d'accueil appropriés.

Même si les travailleurs furent indubitablement considérés comme moins dignes d'une réception triomphale que les survivants des camps de concentration, leur classification resta pourtant incertaine.
Victimes ou traîtres? La question était quasi automatiquement réduite à l'alternative suivante: requis ou volontaires? La confusion qui régnait dans l'opinion publique avait été savamment cultivée par les autorités d'occupation et par leurs complices qui avaient présenté la réquisition du travail comme une ruée spontanée des peuples d'Europe vers l'Allemagne, soutenant son combat de titan contre le bolchevisme.
Pour alimenter cette propagande, on avait proposé aux requis des contrats d'engagement «volontaire ».
L'issue de la convocation était identique: signataires et objecteurs étaient tous contraints au départ, mais une récompense matérielle était promise aux premiers (une prime, une paire de chaussures). En définitive, en acceptant de travailler pour l'ennemi, ces travailleurs n'avaient-ils pas œuvré contre la libération de leur pays?
"Ils n'avaient qu'à se cacher" fut l'objection courante à tout recours à l'argument de force majeure invoqué par les requis.

Amicalement
Prosper ;)
(Source: livre cité )

Re: Le rapatriement d'Allemagne des populations déplacées

Nouveau messagePosté: 20 Juil 2012, 22:24
de Aldebert
Bonjour,
Prosper, au sujet du million et demi de citoyens français à rapatrier que tu cites, les prisonniers de guerre sont-ils inclus dans ce nombre.
Cordialement
Albert

Re: Le rapatriement d'Allemagne des populations déplacées

Nouveau messagePosté: 20 Juil 2012, 22:28
de Prosper Vandenbroucke
Aldebert a écrit:Bonjour,
Prosper, au sujet du million et demi de citoyens français à rapatrier que tu cites, les prisonniers de guerre sont-ils inclus dans ce nombre.
Cordialement
Albert

Bonsoir Albert,
Tu fais bien d'écrire que je cite, car c'est l'auteur du livre qui l'écrit.
Oui les PG français y sont inclus.
Amicalement
Prosper ;)

Re: Le rapatriement d'Allemagne des populations déplacées

Nouveau messagePosté: 20 Juil 2012, 23:25
de Aldebert
...je n'ai pas de connaissances particulières sur cet intéressant sujet, seulement un témoignage.

Sous l'occupation, en cette période de pénurie, quand il y avait un arrivage exceptionnel d'un bien de consommation, par exemple des pneus de bicyclette, la nouvelle se répandait très rapidement et les gens se précipitaient vers le lieu de vente. Chacun y allait alors de sa critique du produit proposé.

En 1945 quand un train de retour de prisonniers de guerre, était signalé devant arriver en gare de Rennes, j'en ai conservé plusieurs en mémoire, la nouvelle se répandait à travers le village exactement de la même façon.
J'entendais souvent "Peut-être mon mari sera-t'il dedans". Chacun y allait aussi de sa causette mais dans les yeux de certaines femmes on y lisait tant d'espoir. Il était donc indispensable d'assister sur le quai de gare à l'accueil des prisonniers. Un beau jour, ce jour peut-être, le retour, depuis si longtemps.

Ce parallèle peut sembler saugrenu mais pour moi ces souvenirs inscrits, apparemment différents sont indissociables. J'avais 7 ans.
Cordialement
Albert

Re: Le rapatriement d'Allemagne des populations déplacées

Nouveau messagePosté: 29 Mar 2023, 17:09
de Prosper Vandenbroucke
Je me permets de remonter un ancien sujet. peut-être y-a-t-il d'autres avis?????